Crédit ©Boris Stroujko / shutterstock

article CD'solutions 25 Mar. 2024

Réinterroger sa politique de l'habitat à l'aune de la trajectoire ZAN et de la crise de la construction : les documents d’urbanisme règlementaire sont aussi des lieux d’innovation

Engagée dans une politique volontariste de l’habitat, la Communauté d'Agglomération Lannion Trégor a fondé sa stratégie sur une vision globale de développement du territoire en tenant compte, dans ses objectifs de production de logements, des perspectives dynamiques de développement du territoire mais aussi des impératifs de la loi Climat et Résilience. Depuis 2020, la Communauté est engagée dans un travail de planification stratégique à travers l’établissement de trois grands plans que sont le PLUi-H, le PDM (Plan de Mobilités) ainsi que le PCAET. Si chacun de ces documents fait l’objet d’un travail spécifique, la Communauté a néanmoins souhaité mener une démarche d’élaboration conjointe, et de manière concertée avec différents acteurs du territoire, tant les enjeux portés par ces trois documents-socle sont étroitement liés et s’interpénètrent, ceci afin de veiller à ce que les actions mises en œuvre dans le cadre de chacun de ces documents soient bien cohérentes et complémentaires.

Emmanuelle Durand, Directrice d’études au sein du groupe Citadia accompagne Lannion-Trégor Communauté sur la conception de son PLUi-H, une approche ambitieuse qu’elle évoque aux côtés d’Yvan Follezou, Directeur de l'Aménagement et de l'Habitat.

 

Quelle est l’originalité de la méthode de définition des besoins en logements dans le cadre du PLUIH ?

Yvan Follezou : Les élus ont fait le choix en 2020 d'engager le travail sur le PLUi-H conjointement avec le PCAET et le PDM. Nous avons travaillé ces quatre plans (urbanisme / habitat / mobilité / climat) avec un même comité de pilotage d’élus afin d’élaborer une mise en problématique du territoire jusqu’aux orientations du PADD. En ce qui concerne l’originalité de la démarche, nous avons veillé à garder un lien avec l’emploi et le développement économique tout au long des travaux, c’est en effet un point sur lequel nous apportons la plus grande vigilance. Cette méthode permet de ne pas tomber dans une approche en silo qui ne croise pas les thématiques.

Emmanuelle Durand : La transversalité a été la pierre angulaire de notre méthode d’élaboration du PLUi-H. Nous menons une démarche conjointe qui permet de définir des besoins en logement et de les faire atterrir en droits à construire, ce qui présente des avantages par rapport à un PLUi sans volet habitat où les besoins sont perçus uniquement sous le prisme du foncier. L’Agglomération a subi une augmentation récente de la tension du marché liée au développement des résidences secondaires et des meublés de tourisme. Le territoire a construit par le passé environ 350 logements par an sans accueillir aucun habitant supplémentaire. La question du nombre de logements à construire était donc cruciale.

Sur le plan quantitatif, le territoire a opté pour un scénario de développement affirmé et pragmatique, mais ambitieux sur la maîtrise des logements non occupés à l’année. D’un point de vue qualitatif, l’originalité de la démarche a constitué à nous baser sur le profil des nouveaux ménages : demain combien de personnes seules ? de familles monoparentales ? Il a s’agit de déterminer quels logements seraient les plus appropriés en prenant en compte les modes de vie et la qualité d’usage des logements. De fait, nous aboutissons à une quantification assez précise des formes urbaines et des typologies adaptées à la population de demain sur ce territoire.

Le constat auquel nous a conduit ce cheminement intellectuel est que 60% des logements de demain devaient être sous forme collective ou intermédiaire alors même que le territoire compte actuellement 80 % de maisons. Finalement, les besoins fonciers et la perspective ZAN prennent un tout autre sens quand les besoins auxquels nous devons répondre ne sont plus ceux de la maison en extension, mais plutôt des formes plus denses, avec des besoins de centralité pour accéder aux commerces et à l’offre de santé.

YF : La difficulté est de réaliser cet exercice sur un territoire avec 57 exécutifs locaux, qui ont autant d’habitudes et de références de modèles d’habitat. Passer d’un schéma de développement à 90 % de maisons individuelles en lotissement à un nouveau modèle qui fait sens est le cœur de notre projet. Et ceci n’est pas fondé uniquement sur des représentations !

La commune-pôle et les villes côtières captent davantage de population mais il faut veiller à irriguer le territoire de façon équilibrée. Par ailleurs, nous n’avons pas de grands opérateurs de production et de gestion de logement collectif : peu dans les communes les plus urbaines et pas du tout dans le rural. Car au-delà du produit, il faut aussi prendre en compte le mode de gestion, avec plus de locatif et de logement social pour garantir une continuité d’usage en résidence principale. C’est le seul moyen qui nous permettrait d’enrayer l’évaporation trop forte vers les résidences secondaires.

ED : Au-delà du changement de mode de pensée, il y a les changements de mode de faire. L'appareil productif local n’est pas aligné sur cela.

YF : Le lotissement est effectivement un modèle intégré d’un bout à l’autre et qui est rôdé. Les communes sont habituées ce modèle qui exerce de la consommation foncière en extension.

 

Comment avez-vous conduit la concertation avec les élus sur le sujet ZAN ?

YF : Nous avons la chance d’être en même temps territoire de SCoT et de PLUi. De fait, la mise en application de la hiérarchie des normes depuis le SRADETT nous revient. Nous avons la vision d’une grande partie de la chaîne depuis le SCoT jusqu’au permis de construire. La région Bretagne a été proactive sur le sujet et a pris le relais sur ses prérogatives depuis la loi qui instaure le ZAN. Les SCoT de Bretagne se sont réunis assez rapidement et un pacte breton s’est mis en place.

Sur ce sujet, la concertation avec les élus est presque une démarche dans la démarche. Nous avons organisé en parallèle de l’élaboration du PLUiH un travail avec les Maires pour digérer, informer et s’approprier les avancées du SRADETT pour les décliner dans le SCoT, et atterrir à des comptes fonciers pour les besoins en logement et en équipements à une maille communale. Le SRADETT nous donne un certain volume de droits à consommer au titre de la période décennale : les 200 hectares. Notre PLU va aller au-delà, jusqu’à 2040, donc il va devoir se préoccuper de la période d’artificialisation.

À partir de ce gisement d’ENAF de droits à consommer nous avons extrapolé sur le droit à artificialiser qui serait réduit de moitié pour suivre une trajectoire descendante d'ici à 2050. Nous avons donc raisonné avec 300 hectares disponibles sur 20 ans en réservant des grands comptes mutualisés pour les ZAE, les grands équipements. Le solde est destiné à être réparti entre les communes. Pour les répartir, la proposition (qui est toujours provisoire) est de s’appuyer sur le SCoT : la clé de répartition qu’il donne pour répartir les logements repose sur une armature territoriale qui tient compte d’un mix basé sur le poids de population, l’offre de services, les potentiels de reconquête de vacance, et aussi qui intègre la problématique de rattrapage SRU.

ED : L’objectif est effectivement que les besoins en habitat et la déclinaison des stocks fonciers se rencontrent. Ce que je trouve intéressant dans la démarche, c'est cette volonté d’avoir un pacte territorial pour s’accorder sur le fait que les grands projets ne doivent pas être attribués à certaines communes spécifiquement. On retrouve bien la logique de l’intercommunalité : il y a des comptes fonciers qui doivent être dédiés à des grands projets qui ont une vocation intercommunale et ce qui relèvera du droit à construire communal, c’est le logement et les petits équipements.

 

Quels sont les principaux freins/craintes soulevés par les communes et comment accompagnez-vous l’acceptation de ce changement de mode de faire ?

YF : Premièrement : quel est le modèle à mettre en place autour du ZAN pour des territoires comme le nôtre ? Nous avions un modèle qui fonctionnait depuis l’après-guerre. Maintenant les accès aux services, les mobilités, les coûts de l’énergie sont bouleversés. Le ZAN apparait comme une contrainte supplémentaire alors que dans le fond il est une donnée du même problème : l’accès à la ressource.

Nous interrogeons les deux bouts de la chaîne pour déterminer ce modèle. D’une part la question du foncier avec beaucoup d’interrogations et de craintes sur : « Comment maîtriser le foncier dans des bourgs, dégradés ou non ». Les outils fonciers ne sont pas extrêmement nombreux, dès lors qu’il n’y a pas d’accord sur des sujets comme les DUP, l’expropriation. Ce ne sont pas des modèles très pratiqués, et ils sont assez traumatisants. À l’autre bout de la chaîne, on peut maîtriser le foncier, trouver des opérateurs pour faire des logements (et encore), mais qui les gèrera ? Le problème est la gestion en particulier sur des typologies qui sont fléchées vers du locatif. Nous avons besoin de créer un foncier abordable de façon pérenne.

ED : J’ai l’impression qu’il y a une crainte aussi qui naît d’un raccourci : « Avec le ZAN nous pourrons moins construire alors que notre territoire est en forte tension ». Par le passé, nous avons vu que produire du logement sans maîtriser la destination n’est pas efficace. Il faut pouvoir accompagner les élus dans cette prise de conscience. Le ZAN ne signifie pas moins construire, mais plutôt différemment. Se pose effectivement la question de : qui va le faire ? dans les territoires où les acteurs de la promotion ne sont pas présents.

YF : Les communes ont un raisonnement logique. Celles qui ont produit des lotissements, qui ont beaucoup consommé, sont aussi celles où il y a eu un fort dynamisme de la population. Le modèle pavillonnaire fonctionne à court terme, mais à chaque renouvellement de génération il faut de nouveau activer la pompe. Les communes peuvent se dire que si elles n’avaient pas consommé du foncier, leur population aurait même connu une décroissance.

Dans un contexte où les résidences secondaires se développent et où les personnes qui viennent s’installer sur le territoire qui sont des retraités, le développement de lotissements soutient l’étiage. De fait, c’est un modèle qui est très consommateur à tous niveaux, donc peu efficient mais qui a le mérite d’apporter quelque chose. Il n’en demeure pas moins que le seul moyen de générer de nouvelles recettes fiscales pour les communes, à charges de fonctionnement en croissance, et donc de préserver des marges pour maintenir des politiques publiques et une cohésion sociale est d’agir sur les bases et donc in fine aménager un champ en terrains à bâtir qui créé une valeur directement mobilisable.

ED : L’idée n’est pas de donner un coup de braquet et de dire : « Demain, on ne fera plus de maisons », c’est un raccourci. Demain on fera aussi de la maison, mais moins qu'aujourd'hui. Notre rôle est d’accompagner ce changement de logiciel.  Les besoins d’hier ne sont pas ceux d’aujourd'hui et encore moins ceux de 2040. Parce qu’en 2040 la population sera très différente.

YF : À côté de ça, regardons le stock de 66 000 logements sur le territoire qui sont largement sous-occupés. Ils sont à 75 % composés de T4 quand 75 % des ménages comptent moins de deux personnes. Il y a donc un gisement dans les mètres carrés déjà en place. Il reste donc à trouver les outils fonciers, les ressources financières.

ED : En conclusion, il y a un besoin de transformation à l’échelle locale mais il faut un appui national sur la fiscalité du bâti, du non bâti et du meublé de tourisme qui appuie la trajectoire que souhaite tenir la collectivité. Les modèles financiers de l’habitat intermédiaire ou collectif doivent être reconsidérés pour ouvrir le champ d’action des opérateurs. Des outils plus souples de maitrise foncière doivent émerger afin que le bloc local puisse mener des politiques foncières de moyen et long terme.

Propos recueillis par Maider Darricau