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Fortnite, Call of Duty, FIFA, League of Legends… ces noms ne vous disent peut-être rien ou bien sont les synonymes du véritable cauchemar que vous ont fait passer vos enfants pendant le confinement. Pourtant, ces quelques mots sont aussi les synonymes d’un nouveau secteur qui connaît actuellement un véritable boom : l’esport !
Avant de débrancher la console et de confisquer les manettes, voici un article qui pourra vous faire changer d’avis sur ce secteur émergent et qui, peut-être, vous donnera envie de devenir un joueur professionnel d’esport.

L’esport, qu’est-ce que c’est ?

Pour répondre à cette question, tournons-nous vers l’association référente sur le secteur en France : France Esports. Selon elle, « l’esport désigne l’ensemble des pratiques permettant à des joueurs de confronter leur niveau par l’intermédiaire d’un support électronique, et essentiellement le jeu vidéo, et ce quel que soit le type de jeu ou la plateforme (ordinateur, console ou tablette) ».

Derrière cette définition assez large se cache, selon le baromètre que l’association édite tous les ans, 10,6 millions de joueurs de jeux vidéo en France et, plus particulièrement, 1,3 millions de joueurs dits « Esportif Amateur ». Ces joueurs déclarent jouer à des jeux vidéo permettant d’affronter d’autres joueurs, dont la quasi-totalité participe à des parties classées, et qui se sont déjà inscrits à des compétitions organisées (en ligne ou en LAN – Local Area Network party). Si l’on devait comparer l’esport à d’autres pratiques sportives, le tennis recense plus d’un million de licenciés et le football, 2 millions de licenciés. Plus largement, ce baromètre révèle qu’il y a près de 3 millions de joueurs esportifs dits de « loisirs », c’est-à-dire des joueurs qui se confrontent dans des parties avec classement mais en dehors de circuits compétitifs.

 

L’esport est-il vraiment un sport ?

Oui, c’en est un. Non, ce n’en est pas un. Précisément, la pratique esportive a été reconnue par la loi pour une République Numérique de 2016 comme étant un sport. Elle implique un entrainement intensif, le développement d’une technicité particulière et une discipline stricte se rapprochant du haut-niveau. En effet, les joueurs esportifs professionnels s’entrainent jusqu’à 8h par jour sur un jeu, tout comme un tennisman de haut-niveau !

Néanmoins, l’esport n’est pas à proprement dit un sport puisque le développement de sa pratique ne suit pas la même trajectoire que le développement sportif. Concrètement, il n’existe pas de fédération française de l’esport qui aurait une délégation du ministère des sports pour l’organisation de la pratique amateure sur tout le territoire.  Aussi, et c’est là où réside la différence majeure avec le sport, le support de la pratique esportive, le jeu en lui-même, appartient à une société privée, l’éditeur de jeu vidéo, qui est protégé par le droit de propriété intellectuelle. La pratique est donc encadrée par le droit d’auteur, à l’inverse du football ou du basketball, où la pratique est libre et où les fédérations peuvent organiser « à leur guise » la pratique amateure et compétitive. Le développement de circuits compétitifs, d’événements ou tout simplement de la pratique amateure ne peut pas se faire sans l’accord de l’éditeur de jeu vidéo.

 

Comment se matérialise la pratique esportive ?

L’esport se pratique de pleins de manières différentes, entre amis ou en famille sans réels enjeux, ou bien à haut niveau au sein d’équipes professionnelles. Là, évidement, c’est un tout autre niveau ! Cela demande des heures et des heures d’entrainement, l’intégration dans des équipes professionnelles, la participation à de grandes compétitions, etc. Mais, le jeu en vaut la chandelle : sur les plus importantes compétitions, les « cash prize » (les gains du tournoi en bon français), peuvent représenter jusqu’à plusieurs millions d’euros pour une équipe ou un joueur.

D’ailleurs, tout comme le sport où il y a différentes disciplines (football, basketball, pelote basque, pétanque, course landaise, etc.), il y a dans l’esport plusieurs disciplines distinctes. Et, comme dans le sport, un joueur esportif excellent sur un jeu, ne le sera pas forcément sur un autre (mettez un joueur de pétanque de haut-niveau au football professionnel, nous verrons le résultat). Ainsi, l’esport compte un nombre de discipline important, regroupant parfois plusieurs jeux au sein d’une même catégorie : simulation sportive (FIFA, PES, NBA 2K, Madden NFL, etc.), simulation automobile (Formula 1, Colin McRae Rally, Dirt, WRC, etc.), jeux de stratégie (League of Legends), jeux de tir (Counter Strike, Call of Duty, etc.), Battle Royal (Fortnite), etc.

 

Ci-dessous, une arborescence non-exhaustive, réalisé par Nicolas Besombes chercheur en esport à l’Université de Paris, présentant les différentes catégories et jeux pratiqués dans l’esport.


 

Ensuite, tout comme le monde sportif, le monde esportif a ses disciplines reines sur des jeux devenus incontournables captant la majorité de l’audience de la scène esportive. Actuellement, le jeu phare est « League of Legends » édité par la société Riot Games . C’est sur ce jeu que les audiences sont les plus importantes et que les gains sont les plus gros. Pour la finale de la ligue mondiale du jeu en octobre 2019 à l’AccorHotels Arena, un nouveau record d’audience a été établi avec 21,8 millions de spectateurs en moyenne par minute et avec un pic de 44 millions de spectateurs simultanés.

Nous évoquions les audiences de l’esport « en simultanée » car, oui, l’esport se regarde. Et se regarde même beaucoup ! La plupart des amateurs esports regardent leurs joueurs préférés d’esport sur des plateformes de streaming vidéo comme YouTube ou Twitch. C’est cette dernière qui a le plus grand impact sur le secteur. Grâce à Twitch, des joueurs esportifs professionnels ou des joueurs de jeux vidéo amateurs peuvent se filmer et diffuser en direct leurs parties. Cela paraît anodin, mais le contenu et l’audience générés par la plateforme sont considérables : près de 9,3 milliards d’heures de visionnage cumulées en 2018 (2,3 milliards pour YouTube) et 3,4 millions d’utilisateurs uniques (« streameurs ») qui diffusent du contenu par mois.  Ce streaming vidéo en direct (on parle de « live streaming ») permet à certains « streameurs » de créer une importante communauté de fans qui les « suivent » et, par conséquent, de monétiser cette communauté par de la publicité, du sponsoring, etc. C’est par ce biais que certains joueurs professionnels et amateurs peuvent dégager des revenus conséquents grâce à cette plateforme.

 

En quoi l’esport concerne les territoires ?

Issu du milieu associatif et amateur, le secteur de l’esport a émergé en France au début des années 2000 par l’organisation de LAN party (parties de jeux vidéo en réseau fermé). La « Gamers Assembly » organisée chaque année à Poitiers depuis 2000 illustre bien l’évolution du secteur. D’un événement confidentiel rassemblant quelques « geeks », elle est devenue un événement incontournable de la scène esportive européenne, rassemblant 20 000 visiteurs et 3 000 joueurs. De ce fait, Poitiers est devenue la ville précurseur de l’esport en France !

De plus en plus de collectivités territoriales s’intéressent au phénomène esport[1] en favorisant l’organisation d’événement sur leur territoire, en participant à la création d’équipe professionnelle, en créant des formations publiques, etc. Ce sont surtout les villes dans les territoires, et notamment les villes du plan Action Cœur de Ville, qui s’emparent du phénomène esport. La ville de Poitiers, précurseur dans le domaine, appuie toujours fortement sa politique de positionnement de son territoire. Face à l’engouement et aux retombées économiques, le Grand Poitiers a réussi à attirer des entreprises (studios de jeux vidéo ou éditeurs par exemple), a investi dans une équipe eSport et a participé à la création du premier centre de formation public destiné aux joueurs de eSports au sein du CREPS (déclinaison régionale de l’INSEP, centre de formation des sportifs de haut niveau).

D’autres villes ont ensuite suivi son exemple en accueillant des événements esportifs (Orléans, Metz, Montpellier, Angoulême) ou en mettant en place des formations. Sur ce dernier point, il faut noter que la ville de Mulhouse a participé à la création d’une école esport et qu’une expérimentation est en cours dans un lycée sport-étude pour la création d’une filière eSport-étude à l’échelle nationale (partenariat triparties entre la ville, la Région et le rectorat d’Alsace).

Les Conseils régionaux s’intéressent aussi de près au sujet de l’esport. La région Centre-Val de Loire a réalisé une étude en juin 2019 visant à mettre en lumière l’écosystème esport sur son territoire. La Région Occitanie, quant à elle, participe au financement d’événements et d’équipe esportive professionnelle.

Par ailleurs, la Ville de Paris a défini une politique publique d’action vers ce secteur dès 2014 et a encouragé Paris&Co (son agence de développement économique incubateur) à créer une structure spécialisée en esport : Level 256. Depuis, la Ville de Paris a accueilli de grandes compétitions internationales : la finale de la ligue européenne de League of Legends en 2017 et la finale mondiale de League of Legends en 2019.

Aujourd’hui, les collectivités territoriales sont de plus en plus nombreuses à vouloir accueillir des événements, à développer la pratique sur leur territoire et, plus largement, à bénéficier des retombées positives du secteur.

 

Pourquoi la Banque des Territoires s’intéresse-t-elle à l’esport ? Et que fait-elle ?

Dans son rôle d’accompagnement des politiques publiques, d’aide au développement économique et à l’attractivité des territoires, la Banque des Territoires s’investit sur le secteur de l’esport. Encore jeune, ce secteur a besoin de se structurer et de se professionnaliser. Là est l’engagement porté par la Direction de l’Investissement depuis plus d’un an.

Pour évaluer la taille du marché, nous co-finançons une étude portant sur le marché de l’esport en France. En partenariat avec la DGE, la Direction des Sports du Ministère des Sports, le Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs (SELL), France Esports et le Level 256, l’étude a pour objectif de donner le volume du marché en France et d’identifier des pistes d’actions (et d’investissements en particulier) afin de positionner la France comme leader mondial de l’esport. Les résultats de l’étude sont attendus pour l’automne 2020.

Pour accueillir des événements sur les territoires et développer la pratique, nous travaillons de concert avec les Directions Régionales de la Banque des Territoires pour identifier des projets à financer. En illustration, nous suivons avec la DR Nouvelle-Aquitaine un projet de lieu de divertissement autour des technologies de loisirs 2.0 intégrant, notamment, une arena esport.  

De plus, pour accompagner la structuration du secteur et identifier des cibles d’investissement, nous avons conclu un partenariat avec l’incubateur de Paris&Co dédié à l’esport, le Level 256. Sur le même principe que notre partenariat avec le Welcome City Lab (l’incubateur de Paris&Co en charge du tourisme), nous souhaitons, grâce à ce partenariat, améliorer notre compréhension du secteur, l’aider à se structurer et identifier des cibles d’investissements.

Pour accompagner la structuration du secteur et permettre aux collectivités territoriales de s’investir sur l’esport, nous avons conclu un partenariat avec l’association France Esport. Grâce à ce partenariat, l’association va pouvoir s’atteler à la régionalisation du baromètre qu’ils éditent tous les ans, d’avoir une cartographie fine du secteur sur les territoires et permettre aux collectivités territoriales de bénéficier de formations ou tout autre accompagnement.

Pour finir, la Caisse des Dépôts a, en fait, toujours été présente sur le secteur de l’esport ! Oui, au même titre que les mineurs percevant des cachets d’artistes, la Direction des Clientèles Bancaires en charge des consignations recueille les gains des joueurs esportifs mineurs. D’ailleurs, il faut souligner la création toute récente d’une nouvelle offre de consignations dédiée aux mineurs de 12 à 16 ans percevant des rémunérations grâce aux compétitions esportives. Quand on vous dit que l’esport fait bouger toute la Caisse !

En espérant que ces quelques lignes vous ont permis de découvrir ce beau sujet qu’est l’esport. Pour aller plus loin, vous pouvez consulter les pages de l’association France Esports qui vous présenterons plus en détail le secteur et ses enjeux. Vous pouvez également découvrir le monde extraordinaire de Twitch et ses millions de chaînes. Et aussi, si vous résidez en Ile-de-France, vous rendre avec vos enfants à la Maison de l’esport, au sein du Level 256, dans le 20ème arrondissement de Paris – et  pourquoi pas, les inscrire à un stage gratuit d’esport pendant l’été.

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