Les récentes discussions parlementaires sur la programmation pluriannuelle de l’énergie montrent l’enjeu majeur que représente la composition future du mix énergétique de notre pays. Le débat s’est notamment porté sur la part respective, pour la production d’électricité, entre le nucléaire et les différentes sources d’énergies renouvelables, en particulier l’éolien et le solaire. L’hostilité affichée par certains à ces dernières s’est appuyé principalement sur leurs coûts supposés, mais malheureusement à partir de données fantaisistes et non comparées aux autres sources d’énergie.

Un domaine est en outre resté totalement absent pendant tous ces débats, celui de la résilience de notre système énergétique et électrique, c’est-dire la nécessité de faire face le mieux possible aux risques divers et variés qui peuvent l’affecter. Ces risques sont nombreux et avec des impacts très divers, mais un des plus sensibles est celui des accidents de production. Ce sujet, passé sous silence dans la dernière période, fait souvent l’objet, quand il est évoqué, d’analyses, d’affirmations et de comparaisons hâtives, non fondées avec rigueur sur une démarche scientifique.

Dans un décryptage[1] récemment publié, La Fabrique Ecologique récapitule l’ensemble des données et des études scientifiques dans ce domaine et analyse les conséquences à en tirer sur les choix d’investissement. L’impact possible des risques d’accident liés à la production d’énergie[2], doit être pris en compte de manière large, sans se limiter à ses conséquences sur la vie humaine.

Sur l’historique des accidents, de multiples nomenclatures et données existent[3] , mais chacune d’entre elles doit être prise avec précaution. Une étude comparative a été publiée, celle de l’Agence pour l’Énergie Nucléaire de l’OCDE[4] mais son utilisation doit être prise avec précaution compte tenu notamment de son ancienneté (2010).

L’historique des accidents de production d’énergie : la réalité des chiffres

La base de données ENSAD est la plus complète. L’ampleur de la période étudiée, presque un siècle et demi, explique l’importance de certains chiffres.

Pour le pétrole[5], la mortalité totale due aux accidents dans sa chaîne d’exploitation et celle de ses produits dérivés est de 14 432 décès, les dommages s’élèvent à plus de 69 milliards de dollars[6]. Pour le gaz naturel[7], 156 accidents de production et de transport sont répertoriés entre 1874 et 2014 pour une mortalité totale de 2 610 décès et des dommages économiques d’environ 8 milliards de dollars.

Pour le charbon[8] et ses produits dérivés, les accidents liés à la chaine d’exploitation représentent sur la période 9 611 décès pour des dommages se montant à plus d’1,5 milliard de dollars. L’étape d’extraction et d’exploration occasionne le plus d’accidents graves en concentrant 99 % des incidents et 98,2 % des décès. L’essentiel des accidents entre 1970-2008 intervient en Chine (90 %) (Burgherr & Hirschberg, 2014), tandis que le nombre d’accidents dans les pays de l’OCDE [9] est beaucoup plus limité (42 accidents représentant 1 292 blessés).

S’agissant des deux accidents nucléaires majeurs de ces dernières décennies, la crédibilité des sources est essentielle. Sur Tchernobyl, le rapport qui fait foi est celui établi en 2005 conjointement par les agences de l’ONU[10]. L’accident a été suivi de l’évacuation de 270 000 personnes, l’établissement d’une zone d’exclusion de 30 km, et un coût total sur trente ans estimé entre 300 et 500 milliards de dollars[11]. Selon le rapport de l’ONU, l’accident pourrait avoir entraîné jusqu’à 9 000 décès par cancer[12].

Sur Fukushima, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2013 et l’UNSCEAR[13] en 2014 puis 2022[14] ont procédé à des analyses des effets directs des émissions radioactives. Depuis 2011, cinq études de suivi sanitaire et épidémiologique ont été confiées à l’université de médecine de Fukushima. Ces différentes sources sont en principe fiables, même si on ne peut pas garantir que leurs résultats représentent à eux seuls un consensus incontestable[15]. L’accident a entraîné l’évacuation de plus de 150 000 personnes, la création d’une zone d’exclusion de 20 km autour de la centrale et un coût estimé à plus de 167 milliards d’euros[16]. Aux effets directs des radiations, il faut ajouter les décès découlant de mesures de relocalisation[17], évaluées à environ 2 000[18].

Les énergies renouvelables présentent des risques d’accidents très disparates (Sovacool, Kryman et al, 2015). Leurs statistiques sont fortement impactées par un seul accident impliquant l’hydroélectricité, la rupture du barrage de la centrale Shimantan en Chine, à la suite du typhon Nina le 8 août 1975, qui a entraîné la mort de 171 000 personnes et 9 milliards de dollars de dommages économiques[19]. Les autres énergies renouvelables ont une accidentologie limitée, due à la fois à leur caractère plus récent et à des profils accidentels faibles.

Le bon usage de l’historique des accidents de production dans les choix énergétiques

Dans le débat public, les données historiques sont parfois utilisées pour justifier des probabilités d’occurrence pour l’avenir. Cette logique peut avoir une certaine validité par exemple pour les séismes ou les crues, même si dans ce dernier cas le changement climatique rebat les cartes…. De telles extrapolations pour les accidents de production énergétique doivent en revanche être prises avec la plus grande prudence : les installations et pratiques d’exploitation changent, elles s’améliorent et progressent en termes de sécurité. L’analyse des données historiques reste cependant nécessaire, non pas pour dégager des probabilités pour l’avenir, mais pour caractériser les risques et les impacts possibles.

Dans les choix de mix énergétiques et électriques, les risques d’accidents ne doivent pas être passés sous silence. Ces données doivent être prises en compte de manière explicite et transparente au moment des choix d’investissement et de prévention. Pour cette raison, il est crucial que la sûreté soit gérée de manière vraiment indépendante, afin de garantir la confiance de la population.

La diversité des modalités des accidents possibles et de leurs fréquences plaide en outre pour une diversification du bilan énergétique, afin de ne pas dépendre d’une seule filière, de ses incertitudes et de ses risques.

 

Pour aller plus loin :

Télécharger le décryptage de La Fabrique Ecologique rédigé par Géraud Guibert et Théo Céraline : « Les risques d’accidents dans les choix de production énergétique : le bon usage des données historiques de long terme »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La Caisse des Dépôts soutient, via l’Institut pour la recherche, les travaux de La Fabrique Ecologique. La Fabrique Ecologique est un Think et Do-Tank dont l’objectif est de promouvoir l'écologie et le développement durable sur la base de propositions concrètes.

 

Notes

[2] Qui doivent être distingués de ceux concernant l’utilisation ou la consommation finale d’énergie, le plus souvent maitrisables par chaque individu et considérés comme tels.

[3] La base de données Energy-related Severe Accident Database (ENSAD) créée en 1998 par le Paul Scherrer Institue (PSI) et régulièrement alimentée et améliorée depuis ; la base de données « Major Accident Reporting System » (eMARS) de L’Union européenne faisant l’inventaire des accidents majeurs sur des sites classés Seveso depuis 1982, mais dont l’utilisation n’est pas obligatoire ; la base ARIA (Analyse, Recherche et Information sur les Accidents) pour la France, gérée par le ministère de la transition écologique, mais sans garantie d’exhaustivité ; la classification internationale pour le risque nucléaire, l'INES (International Nuclear Event Scale)..

[4] « Évaluation de risques d’accidents nucléaires comparés à ceux d’autres filières énergétiques » nea OCDE-evaluation-risques.pdf

[5] Qui demeure une source d’énergie largement utilisée, atteignant environ 31% de la demande énergétique totale IEA (2020), Global Energy Review 2019, IEA, Paris https://www.iea.org/reports/global-energy-review-2019. (ci-après : IEA, 2020)

[6] US$ : valeur de 2013.

[7] Qui pèse 23% dans la demande totale d’énergie en 2019 (IEA, 2020)

[8] 26% de la demande énergétique mondiale (IEA, 2020).

[9] Avant 1970 il en allait probablement autrement

[10] « Chernobyl’s Legacy: Health, Environmental and Socio-Economic Impacts », Forum Chernobyl. composé de huit institutions spécialisées de l’ONU : ainsi que des gouvernements du Bélarus, de la Russie et de l'Ukraine : Chernobyl's Legacy: Health, Environmental and Socia-Economic Impacts and Recommendations to the Governments of Belarus, Russian Federation and Ukraine (who.int)

[11] Comprenant les travaux de réhabilitation et les traitements : https://www.irsn.fr/foire-questions/faq-accident-tchernobyl#:~:text=Combien%20l…

[12] Dans la BD « Le monde sans fin » publiée en 2021, l’accident de 1986 se résume pourtant à « une trentaine de morts à bref délai » et à « 6 000 personnes » qui ont développé un cancer de la thyroïde, « qui se traite bien ». 

[13] Comité scientifique des nations Unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants.

[15] L’UNSCEAR s’est vu par exemple contesté par des organisations de la société civile pour des conclusions jugées hâtives sur le bilan sanitaire de Fukushima.

[16]  Source: estimation du gouvernement japonais

[17] Waddington et al, « J-value assessment of relocation measures following the nuclear power plant accidents at Chernobyl and Fukushima Daiichi », Process Safety and Environmental Protection Volume 112, Part A, November 2017.

[19] C’est ce qui fait dire à Jean-Marc Jancovici que le nucléaire est largement moins mortel que l’hydroélectricité, (France 5, 2022).