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La France est confrontée à deux transitions stratégiques majeures pour son développement à long terme : la transition environnementale et les transitions sociales et territoriales, parmi lesquelles figure la prise en charge du vieillissement de la population. Sur ce dernier secteur, l’objectif est de répondre à plusieurs défis cruciaux.
La population française vieillir et devient de plus en plus dépendante. En 2030, la France comptera une augmentation de 50 % des 75 ans et plus.
Parallèlement, l’offre d’hébergement traverse une crise profonde et est en pleine mutation : 66% des EHPAD[i] sont en déficit et souffrent d’un déficit d’image considérable, et par ailleurs, le nombre de places en EHPAD n’a pas évolué aussi rapidement que le vieillissement de sa population, avec de fortes disparités régionales.
Enfin, les attentes et les habitudes des seniors évoluent : aujourd’hui, 85 % des seniors souhaitent vieillir à leur domicile mais la société civile ne s’est pas préparée à cette évolution majeure.
Face à ces enjeux, des acteurs professionnels cherchent à faire émerger et structurer un « parcours du Bien Vieillir », essentiellement chronologique, et lié au degré d’autonomie.
La première « étape » consiste dans le maintien à domicile : l’offre émane d’entreprises essentiellement servicielles. L’objectif est de retarder le départ en établissement médico-social, en préservant la qualité de vie de la personne âgée.
Lorsque le début de perte d’autonomie rend plus difficile le maintien à domicile, l’offre relève d’un parcours résidentiel : les acteurs sont des opérateurs d’habitat inclusif. L’objectif est alors d’offrir une solution d’habitat davantage adaptée à la perte d’autonomie, à travers les Résidences Services Sénior et l’Habitat Inclusif.
Enfin, la perte d’autonomie lourde impose un accueil en établissement médico-social : l’offre est alors portée par des établissements spécialisés pour personnes âgées dépendantes et, plus récemment, comporte également des services dédiés à la vie en établissement.
L’habitat inclusif monte en puissance comme l’une des réponses possibles à l’exigence nouvelle de traiter simultanément trois grandes préoccupations des séniors : la question résidentielle, le maintien du lien social et le besoin de soin léger, avant la perte sévère d’autonomie.
Plusieurs opérateurs comme Domani ou Maison de Blandine développent une offre innovante. Plusieurs milliers de personnes sont concernées, et le modèle tend à se diffuser au niveau national ces dernières années à partir de régions pionnières. L’enjeu est à présent de l’essaimer partout et de le rendre le plus accessible possible, notamment financièrement, via le logement locatif libre mais également le logement social, et avec des réalisations concrètes. À ce jour, peu de modèles d’habitat partagé en logement social sont développés.
En septembre 2018, le Premier ministre avait demandé à Dominique Libault de conduire une étude amenant à des propositions de réforme pour faire face à l’accroissement du nombre de personnes âgées dépendantes en France et pour adapter l’offre proposée, le modèle alors semblant à bout de souffle. Cette étude abordait les grands thèmes suivants : le personnel qualifié, la simplification du système d’accompagnement et de soin de la personne âgée, le financement… Le rapport, qui a fait date, présentait ainsi 175 propositions pour une réforme ambitieuse de la politique du grand âge.
Le bilan est mitigé. Sur l’habitat Inclusif, les avancées politiques ont été limitées, sans vision forte, même si en parallèle, de nombreuses d’initiatives de terrain ont vu le jour. Un travail reste à faire sur les freins qui empêchent une accélération franche du marché : le manque de notoriété du modèle, le maintien de l’AVP[ii] la stabilité réglementaire – ERP[iii] non ESMS[iv] -, ainsi que l’attractivité des métiers. Les entreprises, et notamment celles de l’ESS[v] ont certainement un rôle à jouer.
Intrigués par la promesse paradoxale faite par Domani, « Habiter chez soi, ensemble », la visite d’une implantation récente de Domani en région parisienne nous a permis d’observer concrètement le quotidien d’un habitat partagé. Cette structure accompagne des personnes âgées dans des habitats à taille humaine (8 à 10 personnes par « maison », généralement regroupée par deux) en conjuguant qualité de service et maîtrise du budget.
Les 7 résidents de la maison Domani de Villemoison sur Orge ont évoqué les raisons de leur choix et leur ressenti quotidien au sein de cette maison. La coordinatrice de la « maison » était présente. Leur entrée dans la « maison » s’est effectuée après une période d’essai de quelques jours, leur permettant de s’assurer de leur bien-être dans les lieux avant tout engagement.
Quelles sont les raisons qui motivent le choix d’un habitat partagé ? Les témoignages des résidents révèlent des motivations diverses et personnelles. Une résidente, victime de chutes répétées dans sa maison individuelle est tombée plusieurs fois, a vu ses enfants rechercher une solution plus sécurisante ; un autre résident, ayant traversé une période de déprime dans une résidence service sénior, aspirait à davantage de convivialité ; plusieurs évoquent l’image dégradée des EHPAD et revendiquent la liberté individuelle que leur offre ce type de logement. L’échange s’est déroulé dans une atmosphère détendue, avec des personnes manifestement épanouies dans leur environnement.
L’espace commun, chaleureux et accueillant, constitue le cœur de vie de l’habitat. La coordinatrice y est présente quotidiennement pour accompagner les résidents dans leurs petites taches quotidiennes et favoriser leur participation à la vie de quartier. Une veille est assurée 24h/24, garantissant sécurité et tranquillité d’esprit.
Tous les repas sont préparés sur place par l’équipe avec la participation des résidents, et pris en commun. Ces moments de convivialité sont unanimement appréciés. Comme le confirment les résidents, tous « jouent le jeu » et savourent ces moments partagés. La coordinatrice se charge des achats alimentaires pour l’ensemble de l’habitat partagé.
Chaque résident dispose d'un logement privatif au sein de l'habitat partagé - un véritable chez-soi comprenant chambre et salle d'eau (environ 25 m²). Chacun possède ses propres clefs, tant pour l'entrée principale que pour son espace privé. La visite de ces appartements révèle des lieux largement personnalisés avec les meubles des résidents, bien qu'il soit possible d'opter pour un mobilier fourni. Les espaces communs sont quant à eux aménagés par Domani.
Le rôle de la coordinatrice mérite une attention particulière. Véritable pilier du dispositif, elle accompagne les résidents dans le maintien de leur autonomie et la préservation de leurs liens sociaux. Présente pour la préparation des repas, les courses et l'ensemble des tâches quotidiennes, elle intervient dès que nécessaire. Cette position centrale constitue à la fois la force du modèle et son défi : maintenir un recrutement de qualité pour ces postes essentiels.
Pour information :
La Banque des Territoires, en partenariat avec d’autres investisseurs et des acteurs publics, accompagne Domani dans la structuration et le financement de son déploiement. Ce partenariat prévoit la réalisation de plus de 100 logements à travers plusieurs projets répartis sur le territoire. Elle soutient également La Maison de Blandine qui propose, elle aussi, une solution alternative pour favoriser l’autonomie, le maintien à domicile et rompre avec l’isolement. Elle est d’ailleurs entrée au capital de la société aux côtés d’autres investisseurs et contribue ainsi à son développement.
[i] EHPAD : Les EHPAD (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) sont des maisons de retraite médicalisées qui proposent un accueil en chambre.
[ii] AVP : L'Aide à la vie partagée est une prestation accordée à une personne âgée ou une personne en situation de handicap, qui vit au sein d'un habitat reconnu « habitat inclusif » par le Département.
[iii] ERP : Les établissements recevant du public (ERP) sont des bâtiments, des locaux ou des enceintes dans lesquels sont admises des personnes extérieures.
[iv] ESMS : Les ESMS, établissements et services médico-sociaux, accompagnent les personnes handicapées. Ils sont financés par l'assurance maladie.
[v] ESS : L'économie sociale et solidaire (ESS) désigne un mode d’entreprendre qui cherche à concilier activité économique et utilité sociale.