Forêts, cycle de l’eau et droits de la nature

Date de publication 19 novembre 2025

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Nous comprenons de mieux en mieux ce qu’est une forêt, au moment même où nombre d’entre elles sont en danger. Une forêt est un écosystème, se définissant par deux caractéristiques fondamentales : la diversité et l’interdépendance des éléments qui le composent. Une collection d’arbres plantés de mêmes âge et essence, destinée à des coupes rases régulières, est une anti-forêt. 

Une forêt, ce ne sont pas simplement des plantes, mais des animaux du sol, de la surface et des airs, et donc un sol, de l’eau, une lisière, et de nécessaires communications avec d’autres écosystèmes. On peut même définir la surface minimale d’une forêt – 50'000 hectares – par celle requise par la faune nécessaire. Il n’est évidemment pas de vie animale sans production primaire, sans vie végétale, mais la réciproque est en partie vraie, ne serait-ce que pour le transport des graines et donc la reproduction végétale, ainsi que pour l’apport de fertilisants naturels d’origine animale par les flux migratoires et les déjections.

Les forêts assurent de multiples fonctions que l’on peut, de notre point de vue, appeler des services écosystémiques. Ces fonctions ou services ne se limitent pas aux seules ressources diverses comme notamment les bois de construction ou de chauffe, ni à la séquestration du carbone ou encore au stockage et à la filtration de l’eau. Nommons la fonction rafraîchissante sans laquelle la vie serait fortement impactée aux tropiques compte tenu de la quantité d’énergie solaire parvenant au sol, absorbée par l’évotranspiration ; la fonction sanitaire qui se développe avec la sylvothérapie depuis les années 1960 ; la fonction récréative. Une de ces fonctions fondamentales est encore le rôle des forêts dans le système hydrologique planétaire. C’est grâce aux forêts que les pluies pénètrent dans les continents. Et ce n’est pas uniquement le cas pour l’Amazonie, particulièrement étudiée. La destruction par la tempête Klaus de 2009 dans le massif des Landes (Aquitaine) de tout un secteur forestier a entraîné une dramatique diminution de la couverture nuageuse locale, et par conséquent des pluies. Nous avons appris ces dernières années que les arbres, et plus encore quelques essences particulières, produisent en masse des aérosols entrainant la condensation des flux de vapeur qui survolent la canopée et leur retombée sous forme de pluies ; lesquels flux sont en partie la conséquence de l’évapotranspiration des arbres. Ce phénomène peut restituer jusqu’à 60 % des pluies déversées sur les forêts. Par ailleurs, nous avons plus récemment encore appris que la photosynthèse est également productrice d’eau nouvelle.

De ce rappel de nos connaissances découlent quelques leçons primordiales : les forêts constituent une composante fondamentale du fonctionnement écologique planétaire ; elles disposent d’un cahier des charges garantissant leur bon fonctionnement, qui peut constituer le support d’un droit des forêts. Avec la conférence de Kunming – Montréal de mars 2023, les nations signataires se sont engagées, en vue de restaurer la biodiversité mondiale et partant le fonctionnement de la biosphère, à placer sous protection forte 30 % de leur territoire. La reforestation avec des forêts progressivement laissées en libre évolution est une composante fondamentale d’un tel objectif. Il s’agit plus généralement de redonner libre cours à l’agentivité de la nature, au fait qu’elle ne se réduise pas à une matière passive, mais agisse et réagisse. Une forêt n’est pas en effet une collection passive d’individus, de part en part modelée par l’agir humain. C’est un écosystème qui ne parvient à un fonctionnement plénier que s’il peut déployer ses fonctions et réagir de lui-même aux aléas, climatiques notamment. Ces conditions faute desquelles une forêt ne peut se réaliser peuvent constituer les fondements d’un nouveau droit forestier, de droits de la nature forestière.

Un autre type de déploiement forestier, et plus largement végétal, pourrait avoir lieu dans nos villes et les aider à encaisser, avec leurs populations humaines notamment, des températures qui s’élèveront par moment, dans les prochaines décennies, à 40 ou 50 degrés Celsius. Il pourra s’agir de bandes forestières ou micro-forêts, de végétalisation des façades et des toits avec la contribution de lianes, aussi bien que de désasphaltisation partielle pour réduire les surfaces minérales aux sols. Une mesure essentielle au bon fonctionnement du tout, également du point de vue des coûts et du bilan énergétique, sera la collecte systématique et le stockage des eaux de pluie provenant des toits des immeubles.

Nous proposons quant à nous de ménager, le plus souvent à la jonction de départements, des forêts placées progressivement en libre évolution, au sein desquelles il conviendrait en priorité de laisser des arbres vieillir. De telles forêts ne s’opposeraient pas à toute forme de gestion pour la récolte de bois, à condition que celle-ci se limite à prélever la rente sans affecter le capital. Les surfaces placées actuellement en France sous protection forte s’élèvent à 0,6 % du territoire, alors qu’elles montent en Allemagne à 2 %. Elles constitueraient une manière de lutte contre le changement du régime des pluies associé à l’actuel dérèglement climatique. L’idée est par ailleurs que ces forêts soient connectées par des corridors destinés aux libres circulations végétales et animales, afin de permettre à l’agentivité naturelle de se redéployer au bénéfice de la pérennisation de la vie sur Terre, en reliant in fine à l’échelle européenne toutes les forêts entre elles.

La Caisse des Dépôts soutient le programme de recherche « Droits de la nature et gouvernance ». Il est géré par l’Institut pour la recherche de la CDC et dirigé par l’association Zoein France, en partenariat avec la Fondation Zoein. Son objectif est d’analyser l’articulation entre les droits de la nature et la gouvernance territoriale de l'eau à partir de plusieurs initiatives en France et en Europe (Lagune de Mar Menor, Marais de Bourges, Assemblée Populaire du Rhône, réflexion sur les forêts primaires en Europe).
Les travaux de recherche participent à soutenir l'émergence de nouvelles manières de se représenter la nature comme « commun » et les nouvelles formes politiques et institutionnelles qui en émergent. Ils visent ainsi à documenter et à travailler avec les acteurs engagés vers de processus de transformations des politiques publiques dans un contexte de basculements majeurs et d’urgence écologique".

Le programme de recherche est co-dirigé par Dominique Bourg, professeur honoraire de l’Université de Lausanne, et coordonné par Caroline Lejeune, philosophe et politiste. Il bénéficie de la participation active de Thomas Fabre sur les terrains de Mar Menor et Bourges.

L’association Zoein France est le relais en France de la Fondation d’utilité publique de droit suisse Zoein. Elle travaille sur la mise en œuvre d’expérimentations territoriales et explorent de nouveaux systèmes socio-économiques et démocratiques axés sur les enjeux écologiques et la réduction des inégalités sociales