Généralement cotées en bourse, les foncières sont les véhicules privilégiés des investisseurs dans l’immobilier commercial. Mais le terme Foncière est un mot valise qui comprend en fait deux catégories ; la première, classique, est une structure privée qui achète et développe des actifs immobiliers, dans une simple perspective de profitabilité ; la seconde, apparue ces dernières années, est initiée ou supportée par une collectivité locale pour porter un projet de relance de territoire.

Si le développement des foncières n’est pas récent[1], on constate un regain d’intérêt marqué ces dernières années pour ce véhicule ; cela plus particulièrement en raison de la fragilisation du commerce des centres-villes marqué par une forte croissance de la vacance et, en réaction, de la mobilisation des collectivités territoriales.

Les foncières d’initiative publique sont en effet très majoritairement orientées sur la redynamisation de leur tissu marchand. Celui-ci se trouve engagé dans une phase de forte transformation, liée au changement des modes de consommation, à la puissance de la périphérie, à la crise des centralités, et au développement du digital. On tend à considérer que l’impact du digital sur ce secteur comme équivalent à celui apporté par l’arrivée de la grande distribution sur le commerce traditionnel, et ses effets, sont encore plus sensibles en centralité.

De l’importance du soutien de la puissance publique

C’est dans ce contexte qu’un plan d’investissement de 300 millions d’euros visant à « contribuer à la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs » a été établi par la Banque des Territoires qui, par sa position d’actionnaire de référence, est l’acteur clef de ces foncières de redynamisation, avec les collectivités qu’elle accompagne. Son objectif, volontariste mais pas irréaliste, était de créer 100 foncières de redynamisation territoriale. L’engouement a été sensible, puisqu’en 5 ans ce sont 82 foncières de revitalisation qui ont été créées, des métropoles et villes moyennes jusqu’aux territoires ruraux. Elles sont également d’initiative variée, communes, intercommunalités ou Région.

Quels constats peut-on faire à date, alors que ces foncières sont dans une première phase de déploiement ?  

Ces structures peuvent se trouver confrontées à certaines difficultés de mise en œuvre, pour différentes raisons. Il est en effet compliqué d’intervenir dans un environnement urbain aussi complexe qu’un centre-ville, composé d’acteurs différents, en ciblant un foncier dont la maitrise est souvent malaisée, et sur la base d’un mode opératoire nouveau pour une collectivité territoriale. Il faut être agile, rapide et pouvoir intervenir en disposant des bonnes compétences. C’est la maitrise de cet ensemble de facteurs qui fait l’efficience des foncières privées ; la courbe d’apprentissage peut réclamer du temps à un acteur public.

Parallèlement, l’environnement partenarial évolue. Les Etablissements Publics Fonciers (EPF) participent à cette nouvelle donne ; en complément de leur rôle traditionnel de portage du foncier, les EPF prennent, maintenant assez fréquemment, des participations dans les foncières. Les bailleurs sociaux commencent également à se mobiliser de ce sujet, (cf. l’exemple de Delta Habitat), et participent, grâce à leur capacité d’intervention sur le logement, à l’action des foncières de revitalisation.

Des réussites notables

À Saint-Denis (93), la foncière Saint-Denis Commerce connait un très bon démarrage. Créée en 2019, avec un capital de cinq millions d’euros, elle a pour objectif principal  de diversifier l’offre commerciale.

Il s’agissait d’inverser le cercle vicieux de la déqualification commerciale du centre-ville, se manifestant par de la vacance, un turn-over important, la disparition de certains commerces et une baisse en gamme significative ; enfin, l’augmentation des loyers ne permettait pas à des commerces de bouche de qualité de s’installer, car considérés sur un marché à risque.  En maîtrisant son foncier, Saint-Denis commerce a permis à ce type de commerces de s’installer ; cette intervention s’est réalisée sur la base d’un plan de marchandisage à l’échelle de la ville, qui identifie, sur des secteurs et emplacements stratégiques, les activités préférentielles à installer, permettant de changer la perception et d’initier un effet d’entrainement.

Entre fin 2019 et 2021, plusieurs commerces de bouches se sont installés dans le centre-ville de Saint-Denis ; sur un objectif de 83 actifs, à horizon 2030, pour une surface d’environ 7000m2, ce sont déjà plus de 30 locaux commerciaux qui ont été acquis.

Dans un autre territoire – très différent de la banlieue parisienne et beaucoup moins naturel pour le commerce – la Foncière de Normandie a été créée en 2021. Son objectif est d’intervenir sur les centres-bourgs en milieu rural, où il s’agit, assez souvent, de sauver le dernier commerce avec des élus très sensibilisés à cette problématique. Grâce à la forte implication de ces derniers, à un montage très original via un démembrement du foncier, elle connait un très bon déploiement.

À Vire Normandie, la foncière a soutenu un collectif d’artistes en accompagnant la requalification d’un local dans la commune. En étant propriétaire des lieux, la foncière peut donc proposer un loyer attractif pour la quinzaine d’artistes qui l’occupe. À Tourouve-au-Perche, elle a acquis un local vacant pour le transformer en tiers-lieux culturel.

Dans ces deux cas, très contrastés, la foncière a joué un rôle d’accélérateur ; elle permet de d’enclencher la transformation de rues ou de locaux dont la vocation était loin d’être évidente, et pour lesquels l’initiative privée était défaillante ou absente.

Comment bien préparer le montage d’une foncière en amont ?

Quelques étapes sont cependant nécessaires pour pouvoir se lancer dans la création d’un outil de ce type, de nature structurante et qui nécessite des moyens importants.

L’analyse du potentiel, avec une claire définition des objectifs - une foncière oui, mais pour quoi faire ? - est un prérequis, beaucoup de collectivités ayant une perception trop élevée des capacités d’une foncière.

Autre prérequis, l’identification des moyens et des compétences mobilisables et l’adossement à une politique de revitalisation d’ensemble. La foncière, pour réussir son action, doit s’inscrire dans un écosystème qui est complexe car elle est liée à un marché fluctuant et à une cartographie foncière difficile, notamment en tissu ancien. Il est important d’analyser finement les emplacements stratégiques et les capacités à s’assurer de leur maîtrise

Enfin, les acteurs de la foncière se doivent d’être rapides dans la décision et dans l’exécution, faute de quoi le rendement et le résultat ne seront pas au rendez-vous.  C’est un sujet potentiellement à tension dans les collectivités territoriales dont le fonctionnement peut être en décalage avec ce mode d’intervention. La foncière est un véhicule qui nécessite un pilotage à la fois fin et fort.

Si l’on se projette sur le long terme, dans le double contexte d’un développement en régénération urbaine et des limitations induites par le ZAN, les foncières restent un outil de premier plan pour assurer la maîtrise foncière d’espaces stratégiques. Et comme pour les foncières privés, sa cote et sa pertinence seront au rendez-vous si elle sait traiter les fondamentaux de l’intervention immobilière.

 

Notes

[1] Le statut de société d’investissement immobilier cotée -SIIC- a été créé en 2003 en France