Les effets du dérèglement climatique sur les stations de montagne sont désormais connus et perceptibles par tous. Une étude inédite publiée dans Nature Climate Change montre que, globalement, sans neige de culture et avec un réchauffement global à 2°C, 53% des 2 234 stations de skis étudiées seraient confrontées à très haut risque de pénuries de neige.  Cette proportion diminue avec le recours à l’enneigement artificiel, mais cela implique une augmentation, d’une part de la demande en eau - sachant que l’urgence eau est un enjeu plus critique que le manque de neige - et d’autre part, de la demande en d’électricité donc de l’empreinte carbone de l’activité, à laquelle viennent s’ajouter les impacts du transport et du logement. Autant de défis qui remettent en question les stratégies de développement du tourisme en montagne monoski, ou tourisme d’hiver.

 

Depuis 2021, Green Cross France et Territoires mène, en partenariat avec l’Institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts, un travail de recherche-action sur la résilience des stations de montagne. Après une première phase portant sur « L’analyse des effets économiques du changement climatique en station de montagne » synthétisée dans un Cahier de recherche paru en octobre 2022, ces travaux se sont poursuivis autour des questions de co-construction et de passage à l’action. Comment préparer les domaines skiables à l’après-ski ? Comment éviter l’écueil de la mal-adaptation?  A quel stade en sont les stations de ski de la transformation de leur modèle ?

Eclairage avec Nicolas Imbert, directeur de Green Cross France et Territoires et Lucile Pillot, chargée de mission chez Green Cross France et Territoires.

 

En ce début 2024, où en sont les stations de ski sur la question de leur avenir, et sur la mise en œuvre d’actions en matière d’adaptation au changement climatique ?

En tout premier lieu, on observe d’abord de très fortes disparités entre les stations de skis sur cette saison 2023-2024. Une grande partie des stations de ski de moyenne montagne ont vu leur saison très altérée par le dérèglement climatique, et ont rencontré des difficultés à ouvrir ou à rester ouvertes par manque d’enneigement. En contrepartie, la saison a été excellente pour les plus grandes stations de ski, en haute altitude, qui ont même été parfois confrontées à des phénomènes de sur fréquentation.

Des actions d’accompagnement se mettent en place au niveau national, notamment dans le contexte du Fonds Vert, mais elles restent encore difficilement accessibles, trop faiblement dotées et dimensionnées par rapport aux enjeux.

Les réseaux se multiplient, avec une implication accrue des socio-professionnels, des acteurs économiques et des athlètes, mais l’évolution vers des réseaux agissants et de co-construction restent encore à poursuivre, beaucoup de réseaux n’étant encore dimensionnés que dans une logique d’animation de territoire, sans avoir les moyens matériels et humains de pouvoir porter les projets à la hauteur des enjeux.

Et, quelles que soient les dimensions des stations, nous constatons désormais que toutes se posent des questions par rapport à leur avenir, et aux orientations à adopter par vallée, par bassin et par territoire. Avec des modalités qui seront forcément différentes entre les Pyrénées, le Massif Central, les Vosges, les Alpes du Nord, les Alpes du Sud et la Corse.

 

Quel est le bilan de la seconde phase de l'étude ?

La première phase de l’étude était clairement là pour poser le cadre tandis que cette seconde phase a été celle nous permettant d’initier l’activation des transformations. En faisant le choix de se focaliser sur quatre priorités : changer d’échelle dans la rénovation énergétique des bâtiments, évoluer du tout-ski vers un tourisme responsable 4 saisons, renforcer les cohésions (dont les mobilités), développer la résilience eau et alimentaire en station de montagne.

Elle a été l’occasion de mobiliser plus largement des entreprises et réseaux professionnels désireux de passer à l’action et de prototyper des pistes de solutions, mais également d’élargir notre réseau de territoires impliqués, tant avec le territoire d’accueil de Bourg-Saint-Maurice, les Arcs qu’avec les territoires invités : Val d’Aoste, Valais, et Briançonnais, qui se sont mobilisés, et en continuité avec notre saison 1 initiée à Courchevel.

Nous avons compris et entendu l’alerte sur les enjeux de l’eau en haute montagne, qui n’était pas un enjeu majeur jusqu’à maintenant, et le devient. La question de l’eau risque d’être un problème critique en montagne avant même le manque de neige, qui lui-même est désormais un sujet opérationnel. 

Nous avons également pu mesurer le chemin qui reste à accomplir, et notamment les investissements publics et privés aussi nécessaires qu’urgent, pour mettre en place des solutions en réponse aux urgences écologique, énergétique et sanitaire concernant les mobilités et la rénovation énergétique.

Nous avons constaté la maturité profonde des socio-professionnels qui se mobilisent, qu’ils s’agissent des offices du tourisme cherchant une clientèle à laquelle ils sont capables de proposer des modes de déplacement bas-carbone, des guides sentinelles et relais du dérèglement climatique, des sportifs et marques engagées souhaitant évoluer vers un sport plus écologiquement vertueux….

Nous avons enfin rencontré des femmes et des hommes, jeunes et moins jeunes mais toujours enthousiastes, passionnés et désireux de vivre la résilience en montagne en évoluant maintenant pour en conserver et la beauté, et le dynamisme, et les bienfaits.

Comment avancer plus loin avec les stations ? Celles de moyenne montagne et celles d'altitude, qui ont des enjeux différents ?

Les solutions seront nécessairement diversifiées, et par bassin géographique, et par typologies de stations. Les stations de moyenne montagne ont vraiment été confrontées cette année à l’adversité, leur fréquentation et leur public évoluent drastiquement, et il s’agit à la fois de désinvestir ce qui doit l’être, d’être accompagné par la puissance publique là où c’est vital dans leur reconversion notamment agricole, forestière et sur les enjeux liés à l’eau. Les stations d’altitude sont conscientes que ces années atypiques, mais souvent avec des résultats exceptionnels, sont aussi celles où il faut investir pour préparer l’avenir.

L’ouverture à l’étranger doit nous aider à anticiper. En Suisse par exemple, l’idée de mettre en place des fonds de péréquation et de renaturation fait son chemin à grande vitesse, qui permettra à la fois de ne pas laisser des infrastructures en station sans solution, et de préparer un avenir apaisé tant pour les acteurs économiques que pour les écosystèmes et les activités humaines.

Deux domaines doivent être travaillés transversalement, et sont désormais prioritaires. La résilience alimentaire, tant sur l’accès au foncier agricole que sur des filières de production et de transformation autour de produits diversifiés et de qualité, ainsi que la formation opérationnelle à la résilience écologique, notamment via des campus alpins, learning centers ou autres établissements décentralisés.

Et, plus que jamais, deux domaines nécessitent un changement d’échelle dans la mise en place des solutions : la mobilité, qu’il s’agisse de celle des personnes comme des marchandises, et la rénovation énergétique. Avec, dans les deux cas, des emplois non délocalisables à la clé, mais aussi une meilleure inclusion sociale et une capacité pour les populations à se projeter localement sur le temps long.

 

 

Pour approfondir :

La synthèse des travaux de cette deuxième phase de recherche est à retrouver dans le Cahier de recherche de l’Institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts.

Télécharger le cahier : Résilience des stations de montagne - Phase 2. 2023 -2024