Longtemps rattaché à l’agriculture, le terme de « friche[1] » renvoi aujourd’hui à une multitude de situations et d’emprises aux logiques plus urbaines : friche industrielle, friche d’activité, délaissé urbain, dent creuse, etc. La friche urbaine, en tant que « délaissé », laisse souvent place au vivant. Par le développement incontrôlé d’une nature spontanée et diversifiée mais aussi par les différents usages qu’elle va supporter durant son « oisiveté » et dont certains convoquent nos souvenirs d’enfants libres de toute surveillance.

[1] Friche : Terrain dépourvu de culture et abandonné.

Si les friches de centre-ville sont légion, elles concernent généralement des emprises modestes que la ville a appris à recycler spontanément (en nouveaux îlots de logements, en bureaux, parcs de stationnements, jardins ou squares de quartier, …). A contrario, les friches industrielles, autrefois plus éloignées des polarités urbaines, ont la particularité de s’inscrire dans un foncier plus généreux. Le développement spatial croissant voir surconsommateur des villes depuis l’avènement de l’automobilité, couplé à une désindustrialisation du territoire métropolitain depuis les années 70 ont, ensemble, dessiné des contours plus nets entre la ville contemporaine et ces anciens sites actifs aussi essentiels que mal aimés, perçus dans l’imaginaire collectif comme des lieux de labeur souvent pollués et créateurs de paysages stériles hors d’échelle. Entre les objectifs portés par l’Union Européenne - stopper les extensions urbaines d’ici 2050 - et les différentes politiques publiques de certains états membres (ZAN en France, LAT en Suisse, « Zero Béton » en Belgique), la friche industrielle est devenue le nouvel Eldorado du développement territorial.

Dès lors se pose la question de la « respiration » dans une ville qui se veut plus compacte, plus intense, plus concentrée. Des préoccupations qui font écho au traumatisme ressenti durant la crise sanitaire. Car si la valeur foncière d’une friche est connue, ses potentielles valeurs environnementales, culturelles, sociales, sensibles et agronomiques reste aujourd’hui peu valorisées et difficilement quantifiables dans nos logiques d’aménageurs et d’économistes de la construction.

De la friche industrielle au parc paysager de la Loubière à Toulon

Le quartier de la Loubière à Toulon, autrefois hors de l’enclave militaire dessinée par les remparts autour du centre-ville, s’inscrit aujourd’hui pleinement au sein du bassin de vie et d’emploi toulonnais. Cet ancien quartier ouvrier, caractérisé par un noyau urbain « villageois », a longtemps été considéré comme un « arrière urbain » associé à un passé d’industrie gazière de plus d’un siècle (industrie active jusqu’en 1965).

Pendant des années, les friches industrielles de Gaz Réseau Distribution France (GRDF), bordant les boulevards de la Démocratie et Fernand-de- Lesseps, se sont fondues dans le paysage du quartier de la Loubière. L’ancien site de l’usine à gaz de Toulon, longtemps reconverti en espaces de parking et de stockage dédiés à EDF/GDF, formait jusqu’ici une enclave particulièrement hermétique. Mais les habitants ne se sont jamais accommodés au fait de vivre à proximité de sites pollués et, qui plus est, désertés.

La métamorphose du quartier démarre en 2017 avec la valorisation foncière des friches attenantes au noyau urbain historique -  ave la construction de logements sociaux et de bureaux -  et illustrant une densité inédite pour le quartier. Suite de cette première valorisation, restait à décider de l’avenir des 2,6 hectares de friches situés au sud du quartier, le long de la voie ferrée. Le projet d’aménagement de la friche industrielle de la Loubière a consisté en la reconquête urbaine de cette enclave - encore partiellement occupé par Enedis ET GRDF - qui, dès sa mise en vente, a attiré l’ensemble des investisseurs locaux.

Composer un quartier durable

En 2017, la Ville de Toulon confie à la SAEM Var Aménagement Développement la concession d’aménagement pour le renouvellement urbain du centre-ville de Toulon. Celle-ci vise notamment à poursuivre le désenclavement et le rayonnement du centre historique en renforçant les liens avec les pôles attractifs existants ou en devenir, situés en périphérie.

Parmi d’autres projets d’ampleur au Nord de la ville, la reconquête de la friche industrielle de la Loubière se justifie d’abord par un besoin de rénovation et de regroupement de plusieurs infrastructures publiques. Dans un souci de valorisation d’un tènement foncier pollué aux valeurs environnementales et patrimoniales nulles, la reconstitution d’ilots traditionnels est un temps envisagée sur la globalité du site.

Fort heureusement, le souhait de la Ville de Toulon, au travers de sa réflexion globale de renouvellement territorial et face à une demande croissante de ses résidents, s’oriente finalement vers la réintégration et la reconnexion intégrale de la friche de la Loubière à son quartier originel via un espace public majeur de 13 000 m². L’aménagement du site de la Loubière constitue donc une opération d'ensemble : la création d’un parc paysager et d’espaces publics traversants l’ancienne enclave ainsi que la création de trois ilots voués à accueillir des constructions (bureaux, services publics ou d’intérêt collectif) dont les accès sont gérés par ces mêmes espaces publics.

En 2020, le chantier du parc paysager de la Loubière (première tranche de l’opération) est lancé pour structurer le renouveau du quartier. L’aménagement du parc demande des travaux considérables mais nécessaires à l’assainissement d’un site lourdement impacté par la pollution industrielle (25 000 m3 de terre seront retraités au profit d’un sol vivant). En complément de l’installation d’une biodiversité végétale inédite, il s’agit également d’œuvrer à la création d’un véritable écosystème. En partenariat avec la LPO (Ligue de Protection des Oiseaux) et un apiculteur local, de nombreux habitats sont alors introduits au sein du parc paysager de la Loubière.

La reconversion de la friche : une pièce maîtresse du développement local

Si le parc de la Loubière n’est en définitive qu’une pièce du développement territorial communal, il s’affirme comme un investissement « levier » de première importance. Proposer un espace de respiration arboré au sein d’un tissu urbain dense et contraint apparait aujourd’hui comme une évidence incontestable. Encore fallait-il l’affirmer politiquement et équilibrer son financement. Le défi du projet n’était pas programmatique - le pari programmatique étant gagné d’avance dans un contexte urbain stigmatisé par une industrie polluante et « spatiophage » - mais plutôt dans sa capacité à réaffirmer la géographie du site et son positionnement métropolitain tout en créant les conditions idéales pour un rétablissement du vivant sous toutes ses formes.

La reconversion de la friche industrielle de la Loubière s’achèvera en 2025 avec la livraison des derniers îlots en cours de construction (parking silo, parc tertiaire).