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Métaux et transition énergétique : un modèle scandinave ?

Date de publication 03 novembre 2025

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©tsuguliev / AdobeStock

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Avec un bouquet énergétique largement décarboné et une concentration de projets industriels innovants, les pays scandinaves figurent parmi les plus avancés en matière de transition énergétique. Ils peuvent en outre compter sur un potentiel minier précieux pour constituer des chaînes de valeur dans les secteurs concernés. Les enjeux environnementaux et sociaux constituent néanmoins un défi.

Un pôle minier majeur

La Suède est de loin le principal pourvoyeur de métaux en Scandinavie avec environ 50 à 60 % de la production minière de la région. L'industrie minière suédoise est l'une des plus anciennes et des plus importantes d'Europe. Sa production de fer remonte au IXe siècle et la mine de cuivre de Falun fournissait au XVIIe siècle jusqu'aux deux tiers des besoins de l'Europe. L'essor d’une industrie sidérurgique a suivi avec l’émergence de plusieurs acteurs majeurs de l’industrie européenne. Ce secteur contribue à hauteur de 3 % au produit intérieur brut (PIB) et représente 20 % des exportations du pays.

Premier producteur de fer européen (90 % de la production), la Suède est également quatrième pays producteur de cuivre. À l’échelle mondiale, ces niveaux de production demeurent modestes mais des perspectives sont apparues dans le secteur des terres rares. Dès les années 60, des réserves substantielles avaient été identifiées à proximité du gisement de minerai de fer de Kiruna et le pays aurait le potentiel de fournir environ 18 % des besoins européens en oxydes de terres rares[1]. En 2023, les responsables de la mine évoquaient néanmoins un délai de dix à quinze ans avant la mise en exploitation du gisement, la rentabilité de l’exploitation restant à préciser et l’obtention des autorisations étant conditionnée aux négociations avec les autorités et les populations locales. Autre puissance minière notable, la Finlande est le seul pays de l'UE à abriter des mines de cobalt[2] et détient des positions fortes dans plusieurs autres métaux (fer, cuivre, zinc, nickel, chrome, or).

L'industrie minière norvégienne est moins importante que celle de la Suède et de la Finlande, mais le pays est le principal producteur de graphite naturel (une ressource essentielle à l’industrie de la batterie) au sein de l'UE. Les autorités norvégiennes ont en outre manifesté leur intérêt pour l’exploitation des fonds marins. En 2024, des blocs représentant une surface de près de 300 000 km² furent sélectionnés pour l’octroi de licences d’exploitation à partir de 2025.

Le Groenland, une richesse minière en trompe-l’œil ?

Constitutif du Royaume du Danemark, le Groenland abrite un large éventail d'environnements géologiques et une grande diversité de minéraux. À ce jour, l’industrie minière y est néanmoins peu développée. Deux mines seulement sont en exploitation (pour l’exploitation d'anorthosite et de l'or). Les deux gisements prometteurs de terres rares (Kvanefjeld et Kringlerne) sont, eux, à l’arrêt. À Kvanefjeld le projet était sur le point d’obtenir un permis d'exploitation quand, en 2021, le gouvernement groenlandais a, sous pression de l’opinion publique, rendu illégale l'exploitation de gisements ayant une forte teneur en uranium, dont celui-ci. L’affaire a été portée en justice. Dans l’autre gisement, les concentrations d'uranium sont plus faibles mais la teneur en terres rares demeure incertaine. Faute de financement, le projet était mi- 2025 à l’arrêt. Plus généralement, les autorités ont accordé de nombreux permis d’exploration. Freinés par les contraintes climatiques, le manque de main d’œuvre (l’île compte moins de 60 000 habitants), la fiscalité locale et les exigences de la règlementation en vigueur, les projets miniers tardent néanmoins à se concrétiser. Sur l’île comme dans le reste de la région, les défis environnementaux et sociaux sont plus difficiles que jamais à relever.

Des défis environnementaux et sociaux

En Finlande, la mine de zinc et de nickel de Talvivaara a fortement affecté les milieux naturels[3]. En Norvège, le contrat liant un acteur minier et un industriel allemand du secteur du cuivre a été dénoncé par ce dernier en raison des oppositions suscitées localement par la mine de cuivre concernée[4]. À peine annoncée par le gouvernement norvégien en 2024, l’exploitation des fonds marins a été suspendue en raison des protestations d’organisations environnementales et des mises en garde d’autres États européens comme la France (sans compter le scepticisme affiché par l’Autorité internationale des fonds marins, l’AIFM).

Dans l’ensemble de l’espace scandinave, les nombreux projets d’infrastructures, de parcs éoliens, de gisements miniers se heurtent à l’opposition des Sami. Les représentants de ce peuple autochtone (leur nombre est estimé à 40 000 en Norvège, à 20 000 en Suède, à 10 000 en Finlande et à 2 000 en Russie) sont pour une grande part des éleveurs de rennes. À leurs yeux, l’environnement naturel n’est pas uniquement une condition nécessaire à la préservation de leur mode de vie et de leurs activités. Il est constitutif de leur identité et de leur culture[5].  Cette communauté est parvenue à obtenir des droits politiques grâce notamment à un Parlement constitué en Norvège (1989), en Suède (1993) et en Finlande (1996). Une Convention de l’ONU (ratifiée par la seule Norvège)[6] stipule que l’assentiment de ce parlement est requis pour tout projet affectant la communauté. Avec la mise en valeur des espaces situés au nord du cercle arctique, les contentieux entre cette communauté et les acteurs industriels et étatiques à propos de projets de mines, de routes et de parcs éoliens n’ont cessé de se multiplier ces dernières années.

L’émergence d’opportunités industrielles

Automatisation des opérations en sous-sol, recours croissant à des sources d’énergie décarbonées, électrification des procédés d’extraction, gestion des déchets optimisée pour éviter les rejets dans le milieu naturel : si la mine verte est une illusion, les acteurs miniers scandinaves revendiquent des avancées dans la durabilité de leur activité minière. Les richesses du sous-sol peuvent en outre initier des activités industrielles bénéfiques à la transition écologique.

À l'instar de la Suède et de la Norvège, la Finlande possède ainsi une importante industrie de raffinage (10 % du cobalt mondial y est raffiné). En Suède, une coopération s’est nouée entre un industriel minier et une entreprise norvégienne pour la mise en œuvre d’une technologie innovante de séparation des éléments de terres rares[7]. À terme, l’ensemble d’une filière pourrait ainsi se constituer et réduire la dépendance de l’UE à l’égard de la Chine.

En Finlande, le premier site producteur intégré d’hydroxyde de lithium (lithium de qualité batterie) en Europe est en cours de construction (projet Keliber) grâce à un investissement sud-africain. La mise en place d’un écosystème allant jusqu’à la production de masse de batteries reste néanmoins incertaine comme l’a démontré le placement en faillite en Suède de l’entreprise Northvolt[8].

Des perspectives incertaines face à la domination chinoise

La Scandinavie joue un rôle d’appoint non négligeable pour certains métaux (cuivre, nickel, cobalt, fer notamment) et des acteurs industriels ont émergé sur la base de ce patrimoine minier, lesquels se positionnent peu à peu sur les technologies de la transition, notamment dans le secteur de la batterie. Le scénario danois (pays devenu acteur mondial dans le secteur de l’éolien à partir d’une valorisation des gisements de vent par des acteurs privés) tarde néanmoins à se concrétiser tant la concurrence de la Chine limite désormais les chances de succès de l’industrie européenne. Surtout, les pays concernés sont tiraillés entre les perspectives d’un marché des métaux annoncé en forte croissance et des opinions publiques plus rétives que jamais à accepter le coût environnemental de l’extraction minière.    

Notes
[1] Cecilia Jamasmie, Europe’s largest rare earths deposit found in Sweden, 12 janvier 2023. https://www.mining.com/europes-largest-rare-earths-deposit-found-in-sweden/. Consulté le 20 juillet 2025.

[2] Rasilainen K., Eilu P., Huovinen, I., Konnunaho, J., Niiranen,T., Ojala, J., Törmänen, T. 2020. « Quantitative assessment of undiscovered resources in Kuusamo-type Co-Au deposits in Finland », Geological Survey of Finland, Bulletin 410, 32 p. 3.

[3] « Talvivaara’s emissions have devastated nearby lakes, shows study », Helsinki Times, 13 septembre 2017.

[4] Mark Burton, « Norway: Copper producer Aurubis terminates deal with Norwegian mine on concerns over environment & wildlife », Business & Human Rights Resource Centre, 27 août 2021.

[5] Maija M. Lassila, « Mapping mineral resources in a living land: Sami mining resistance in Ohcejohka, northern Finland », Geoforum, vol. 96, 2018, p. 1-9.

[6] Convention relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989 (N° 169) adoptée le 27 juin 1989 par la Conférence générale de l'Organisation internationale du Travail.

[7] LKAB, Communiqué de presse, LKAB becomes main owner in REEtec AS, builds strong Nordic industry for rare earth elements, 8 novembre 2022. https://lkab.com/en/press/lkab-becomes-largest-owner-in-reetec-as-builds-a-strong-nordic-industry-for-rare-earth-elements/. Consulté le 20 juin 2025.

[8] Le projet industriel pourrait être relancé sous une autre forme et certaines activités de recyclage (Hydrovolt) ont été reprises par d’autres industriels. In : Batteriesnews, Struggling Northvolt sells remaining stake in battery recycler to Hydro, https://batteriesnews.com/struggling-northvolt-sells-remaining-stake-in-battery-recycler-to-hydro/. Consulté le 20 septembre 2025.