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Crédit ©Shisu_ka/ Adobe stock
Si la France métropolitaine est dotée d’un climat modéré où l’apport annuel en eau est traditionnellement largement supérieur à ses besoins, cela n’empêche pas pour autant les pénuries au niveau local. Certaines nappes phréatiques peinent de plus en plus à se recharger. L’eau peut alors venir à manquer dans certaines régions, menant à des mesures de restriction. C'est ainsi qu'en 2022, la distribution d’eau a été perturbée au point que certaines communes ont dû se ravitailler en eau potable par camion ou bouteilles durant l’été. La pénurie d’eau à Mayotte en 2023 est également dans les mémoires. Dans de telles conditions, garder le même niveau de consommation d’eau parait impossible et mènerait à des pénuries.
Le CREDOC a pour vocation d’étudier les comportements et les opinions dans la société Française afin d’éclairer les décisions politiques. Depuis quelques années déjà, il s’intéresse particulièrement aux questions de développement durable et de gestion des ressources naturelles, afin d’analyser les comportements des Français et les marges d’action.
Dans le cadre de notre partenariat avec l'Institut pour la Recherche de la Caisse des Dépôts, nous nous sommes penchés sur les attitudes des Français vis-à-vis de l’eau, en tant que consommateurs, mais aussi en tant que citoyens. Les épisodes de sécheresse se sont multipliés ces dernières années et quasiment plus aucune région n’est préservée. Notre objectif est ici de déterminer comment les Français s’emparent de ce problème des pénuries d’eau, comment ils le comprennent et quelles stratégies ils adoptent pour y faire face. Nous avons aussi regardé les sacrifices supplémentaires qu’ils seraient prêts à accepter pour préserver cette ressource naturelle.
Les Français se préoccupent de plus en plus de la ressource en eau, notamment du fait de la multiplication des sécheresses ces dernières années. 7 Français sur 10 considèrent que le pays va manquer d’eau potable dans le futur, et cela se traduit dans leurs gestes. La moitié des Français déclarent faire des économies d’eau en 2023, soit plus de deux fois plus en proportion qu’en 2010, en grande majorité dans la perspective de préserver la ressource. Quand on rentre dans les détails, presque toute la population fait des petits gestes quotidiens : couper l’eau pendant la douche, le lavage de dents, mettre le lave-linge en mode économique, limiter ses bains….
Bien sûr, la préoccupation n’est pas au même niveau dans l’ensemble de la population. Les Français les plus âgés sont ceux qui font le plus d’économie en général et pour l’ensemble des petits gestes étudiés. Mais les plus jeunes sont aussi plus économes que leurs aînés au même âge.
Les gestes d’économie d’eau sont également plus fréquents dans les zones rurales et les petites villes que les grandes agglomérations, plus chez les habitants de maisons individuelles que d’appartements.
Nous avons eu deux sources d’étonnement en réalisant cette étude. Tout d’abord, les personnes fréquemment affectées par des épisodes de sécheresse sont bien plus optimistes que les autres quant à la disponibilité future en eau potable dans le pays, montrant comme une accoutumance aux situations de tension. Au contraire, les personnes ayant uniquement fait face à la sécheresse de 2022, soit de régions peu accoutumées à ce genre d’évènement telles que la Bretagne ou l’Est, sont bien plus alarmistes.
Le deuxième sujet d’interrogation est que, face à ces préoccupations croissantes et malgré une plus grande proportion de Français déclarant faire des économies, la consommation d’eau par les ménages est au même niveau aujourd’hui qu’en 2010. En considérant que les Français répondent de bonne foi, il y a plusieurs explications possibles. Tout d’abord, à côté des économies réalisées, certaines habitudes particulièrement intensives en eau telles que l’installation de piscines privées se généralise, et particulièrement dans des zones touchées par la sécheresse. Ensuite, des températures plus élevées réclament sans doute également davantage d’eau pour se rafraichir ou arroser ses plantes.
Afin de limiter les situations de crise et les anticiper, il est important de pouvoir réduire les consommations en amont. Les Français ont très peu de visibilité sur leur consommation réelle en eau et son coût est peu connu, même au niveau individuel. Informer les ménages sur ces points ainsi que sur l’impact de leurs gestes serait un premier pas.
Un des enseignements principaux de notre étude est que, face aux pénuries, une grande partie des Français est prête à faire un certain nombre de sacrifices si la puissance publique le leur demande. Généralement, les mesures environnementales restrictives sont peu populaires chez les Français (moins d’un tiers d’entre eux accepteraient une taxe environnementale). Ils font toutefois exception pour préserver la ressource en eau : quelque soit le type de mesure envisagé (taxe, règlementation.), plus de la moitié sont prêts à l’accepter dans cette perspective. L’interdiction du lavage de voiture, de prélèvement d’eau pour les piscines ou de l’arrosage du jardin en cas de pénurie rencontrent par exemple relativement peu d’opposition.
Toutefois, il ne faut pas oublier que la confiance dans le politique est un facteur clé pour obtenir l’adhésion à des mesures de restriction. Les personnes les plus réticentes aux mesures de restrictions pour faire face aux pénuries d’eau sont celles qui montrent le plus haut niveau de défiance vis-à-vis des institutions publiques et celles qui se sentent le plus délaissées par les pouvoirs publics.
Télécharger le Cahier de recherche « Pénuries d’eau : les Français au milieu du gué »