Une urbanisation de plus en plus consommatrice de ressources

Selon les données de la Banque Mondiale[1], plus de 50% de la population vit aujourd’hui dans les aires urbaines, et ce chiffre est amené à croître. Or, ces villes sont consommatrices de ressources non renouvelables ou portées à se raréfier : matériaux de construction, eau, énergie, sols et terres.

Parmi les ressources consommées par les villes, on pense le plus souvent aux produits alimentaires ou aux objets qui se retrouvent dans nos poubelles, communément regroupés sous le terme de déchets ménagers et assimilés. Selon l’ADEME[2], 39 millions de tonnes de déchets ménagers sont produites chaque année en France, soit 580 par an et par habitant. Le traitement de ces déchets a un impact sur les émissions de gaz à effet de serre, sur la consommation d’énergie sous-jacente et la contamination des milieux (air, eau, sol)

Toutefois, même si les déchets ménagers sont l’image la plus visible de ce que rejettent les villes (et les conséquences du mouvement social des éboueurs en mars 2023 à Paris en témoignent), les déchets de la construction et de l’urbanisation restent prégnants. En effet, les minéraux métalliques et non métalliques utilisés principalement dans la construction constituent plus de la moitié des matières consommées en France (concernant respectivement 3 % et 53 % des 737,2 Mt des matières en 2021). Ces derniers présentent un impact notable sur l’environnement, sans mentionner les émissions de gaz à effet de serre et l’énergie dépensée lors de leur extraction et transports.

Ces ressources consommées, dans une économie linéaire, sont généralement gaspillées. 75,7% des déchets d’activités économiques proviennent du secteur de la construction en 2020. Ils sont généralement enfouis dans des installations spécifiques, occasionnant des coûts de prise en charge spécifiques.

L’urbaniste et chercheuse Sabine Barles résume cette problématique en émettant le constat que le métabolisme des villes, c’est-à-dire l’ensemble des flux d’énergie et de matière qu’elles produisent et rejettent, s’est externalisé et linéarisé (Barles 2016)[3]. C’est-à-dire que, selon elle, les sociétés puisent sans cesse des ressources vierges dans la nature, les transforment, les transportent, les consomment et les rejettent ailleurs sous une forme dégradée[4], occasionnant à terme la dégradation de notre environnement et le dépassement des limites planétaires[5] (économie linéaire[6]). Comment ralentir ce processus et s’assurer d’un équilibre entre nos modes de vie et l’équilibre de notre planète ?

 

Comment engager une bifurcation circulaire ?

L’économie circulaire se pose comme modèle alternatif, en proposant une approche en cycle de vie des processus économiques. Selon l’ADEME, il s’agit « d’un développement d’un système de production et d’échanges prenant en compte, dès leur conception, la durabilité et le recyclage des produits ou de leurs composants de sorte qu’ils puissent être réutilisés ou redevenir des matières premières nouvelles, afin de réduire la consommation des ressources et d’améliorer l’efficacité de leur utilisation »[7]. Souvent perçue comme trop technique, et cantonnée à un secteur précis qui est celui de l’industrie, l’économie circulaire repose en réalité sur deux interrogations simples, qui peuvent facilement être transposées dans un diagnostic territorial et un plan d’actions :

  • D’où vient ce que je consomme et que je gaspille ?
  • Comment est-ce que je peux réduire, réutiliser et réemployer ce que je produis et rejette sur mon territoire ?

L’économie circulaire est alors une traduction très concrète des politiques de sobriété à l’échelle des territoires.
 

Comment revaloriser nos ressources locales ?

Penser à partir de l’économie circulaire implique de sortir d’une logique de silos et de s’intéresser aux flux et aux filières, en tant que pourvoyeurs de potentielles nouvelles ressources (Veyssière, 2021)[8]. C’est l’approche du métabolisme urbain, qui permet d’avoir une vision d’ensemble des flux de matériaux, d’eau et d’énergie importés par le territoire et rejetés sous la forme de déchets. Plusieurs territoires, de toutes typologies, se sont lancés dans cette démarche.

En 2019, la Métropole Européenne de Lille a mené, avec la participation du programme de recherche POPSU et de l’Université Paris 1, une étude diagnostic de métabolisme urbain[9], qui a fait ressortir plus particulièrement les enjeux liés à l’eau, aux matériaux de construction et aux flux alimentaires. La Métropole a couplé cette démarche de diagnostic avec une étude sur la gouvernance de ces filières, qui a servi de socle pour nouer des partenariats dans le cadre de sa stratégie d’économie circulaire. Engagée par ailleurs dans un projet de Plan Alimentaire Territorial (PAT), mobilisant l’ensemble des acteurs de la filière agricole (transformation et distribution) et la Métropole, elle a pu réfléchir à des axes de valorisation des biodéchets et relocalisation des boucles alimentaires.

A l’échelle d’un projet d’aménagement, certains aménageurs ont pu mener des études pré-opérationnelles sur les stocks de matériaux réemployables et les flux mutualisables à l’échelle de plusieurs chantiers. C’est le cas des projets identifiés dans le cadre de l’étude NPNRU matériaux, menés par l’Etablissement Public Territorial Est Ensemble[10]. Cette étude croisait gisements en déchets et besoins en matériaux lors de nouvelles opérations de gisements urbains, ce qui a permis d’envisager des formes de mutualisations, expérimentées lors de l’opération sur la ZAC Youri Gagarine à Romainville (93).
 

Comment engager des pratiques d’économie circulaire sur mon territoire ?

S’engager dans une véritable stratégie d’économie circulaire suppose de mettre en œuvre un certain nombre de pratiques pour recirculariser les flux à l’échelle d’un territoire, en voici plusieurs exemples :

  • Consommation responsable et boucle alimentaire :

L’entrée privilégié dans l’économie circulaire a été d’abord la mise en place de pratiques de prévention des déchets, par l’entrée des Plans Locaux de Prévention des Déchets Ménagers et Assimilés. Ceux-ci offrent plusieurs leviers pour favoriser les pratiques de recyclage et de réemploi, même s’ils ciblent d’abord les déchets des ménages au lieu des déchets d’acteurs économiques.

La mise en œuvre d’une démarche d’économie circulaire suppose d’aller au-delà, en engageant citoyens, acteurs publics, associatifs et entreprises dans la boucle. Par exemple le Projet Alimentaire Territorial de la ville de Strasbourg prévoit plusieurs actions pour réduire le gaspillage alimentaire et promouvoir l’économie circulaire, notamment en mettant en place le tri des déchets alimentaires et en soutenant des porteurs de projets innovants (cantines participatives, maraîchage citoyens).

  • Bâtiment et opération d’aménagement circulaire

La réduction des flux de matériaux de construction passe par l’adoption de pratiques circulaires, comme l’éco-conception des bâtiments, le réemploi et le recyclage, et la mise en œuvre des 3R (réduire, réemployer et recycler). L’adoption du ZAN est déjà un moyen de réduction. En réduisant le volume d’opérations neuves sur du foncier agricole et naturel, et en privilégiant la rénovation et la réhabilitation de l’existant, on pratique déjà une forme d’urbanisme circulaire.

Les opérations de démolition et de renouvellement urbain sont une opportunité de valoriser le stock de matériaux de construction, en mettant en place des formes de réemploi au stade chantier. Plusieurs opérations ont déjà été menées selon ces principes. Citons le site de la Caserne Mellinet, ancienne caserne militaire située à Nantes, qui devra accueillir à terme 1700 logements. En 2015, Nantes Métropole Aménagement et l’Agence Foncière de Loire Atlantique lancent un marché, remporté par l’association d’architectes Bellastock, spécialisée dans le réemploi. Suite à un diagnostic matière, plus 1200 m3 de pierre naturelle et de charpente ont été récupérées et stockées sur site. Le stock a ensuite été mis à la disposition d’associations et d’habitants, lors de chantiers participatifs.

  • Urbanisme circulaire et planification

Plus en amont, l’éco-conception d’un projet anticipe la réflexion sur son devenir et ses usages futurs. Les approches en termes de réversibilité (transformer un immeuble de bureau, des parkings silos en logement) vont en ce sens, et peuvent être menées dès la conception architecturale du projet, mais aussi en aval, en intervenant sur l’existant.

La planification urbaine, en parallèle de l’aménagement opérationnel, est un levier pour favoriser les pratiques de réemploi et d’écoconception, notamment en sécurisant du foncier pour le stockage, et agir sur la programmation urbaine et les mutualisations dans les OAP sectorielles et stratégiques.

Ainsi, l’ADEME a accompagné 15 territoires pionniers dans le cadre de l’Appel à Manifestation d’Intérêt Economie Circulaire et Urbanisme. Celui-ci a donné lieu à la production d’un guide méthodologique à destination des maîtres d’ouvrage[11]. Y est notamment traitée la question de l’usage et de la programmation actuelle et future des lieux dans la planification. Cette manière de concevoir l’urbanisme permet ainsi d’expérimenter, dès le temps de conception du projet urbain, des nouveaux modèles nécessaires à la transition vers une économie circulaire (plateformes de réemploi de matériaux, fermes urbaines, fablabs, ressourceries). Cette approche conduit à s’interroger sur la mobilisation du foncier existant à requalifier, et donne des leviers pour activer le potentiel des friches.

En effet, l’objectif ZAN et de sobriété foncière est en soi un marqueur fort pour appliquer l’économie circulaire à l’urbanisme. Le SDRIF-E, schéma de planification à l’échelle de la Région Ile-de-France, s’est saisi de cette question pour les vingt prochaines années[12]. Pour contenir l’étalement urbain et (re)construire la ville sur la ville, la révélation des potentiels fonciers, des gisements de matériaux de réemploi et des projets où pourront être mutualisés les flux sont ainsi des enjeux majeurs.

L’économie circulaire, de par son ampleur, touche plusieurs sujets de stratégie et de planification territoriale. Elle est indéniablement au service d’un projet global de bifurcation du territoire et révèle les opportunités de valorisation des ressources locales. Sortons ensemble du modèle linéaire !

 

[1] Banque Mondiale, Urban Development Overview, 2022 : https://www.worldbank.org/en/topic/urbandevelopment/overview

[2] Rapport déchets 2023 ADEME

[3] BARLES, Sabine, 2016, L’invention des déchets urbains, Champ Vallon, 304 p.

[5] Concept exposé dans la revue Nature 2009 par Rocktröm mettant en évidence les seuils pour un espace de développement sûr pour l’humanité.

[6] Extraction, Fabrication, Distribution, Consommation, Fin de vie

[7] Définition ADEME, 2014

[8] VEYSSIERE Sonia, 2023, L'économie circulaire, levier de développement territorial ? Une analyse de 16 projets dans le cadre de la stratégie REV3 de la Région Hauts-de-France, Thèse de doctorat, bientôt en open access.

[9] BARLES, Sabine, DUMONT Marc, Métabolisme et métropole La métropole lilloise, entre mondialisation et interterritorialité, Cahiers du POPSU, 144 p : https://www.urbanisme-puca.gouv.fr/metabolisme-et-metropole-la-metropole-lilloi….

[10] Cf Plan d’économie circulaire de l’EPT Est Ensemble, 2019 : https://www.estensemble.fr/sites/default/files/plan_ec_fr2019_vf_1.pdf