Ce texte s’inscrit dans une série d’articles issus d’une recherche soutenue par l’Institut pour la recherche de la Caisse des dépôts et consacrée aux métaux de la transition énergétique.

Dirigée par Gilles Lepesant, Directeur de recherche en géographie au CNRS (CEFRES, Prague 2025), cette recherche examine les différents enjeux géopolitiques, industriels, sociaux et environnementaux des métaux nécessaires à la décarbonation du mix électrique ainsi que les stratégies déployées par l’Union européenne et par les pays qui l’approvisionnent. Ces travaux donneront lieu à un rapport en décembre 2025.

L’ambition d’atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050 dans le cadre du Pacte vert implique pour l’UE d’électrifier davantage son économie et de réduire la part des énergies fossiles dans son mix énergétique. L’enjeu est d’éviter qu’à une dépendance à l’égard des pourvoyeurs d’énergies fossiles ne se substitue une transition énergétique fondée sur des technologies et des métaux pour l’essentiel importés.

Une transition énergétique gourmande en métaux

Si le rôle du nucléaire est perçu différemment selon les États-membres, ces derniers ont tous pour objectif d’accroître la part des énergies renouvelables. À l’échelle de l’UE, l’ambition est d’atteindre 42,5% d’EnR dans le mix énergétique d’ici à 2030 (contre 24,5% en 2024 et 47% dans le seul mix électrique).

Les investissements ainsi nécessaires dans les réseaux, les parcs éoliens et photovoltaïques et les différentes technologies de stockage impliquent une hausse des besoins en métaux (principalement le cuivre, le lithium, le nickel, le cobalt, le graphite, le manganèse ainsi que certaines terres rares).

Tableau 1. Évolution de la demande pour une sélection de métaux

 

 

Évolution de la demande dans l’UE en 2030 par rapport à 2020

Évolution de la demande d’ici à 2050 par rapport à 2020

Lithium

x 12

x 21

Graphite

x 14

x 26

Nickel

x 10

x 16

Dysprosium

x 6

x 7

Neodymium

x 5

x 6

Platinum

x 30

x 200

Aluminium

x 4

x 6

Source : Centre Commun de Recherche (Commission européenne)[1]

Depuis le lancement en 2008 de l’Initiative Matières premières[2], la Commission européenne publie régulièrement une liste de métaux critiques. La plus récente (2024)[3] recense 34 matières premières critiques dont 17 jugées stratégiques en raison de risques d'approvisionnement plus spécifiques. L’objectif affiché à échéance 2030 est que les métaux extraits en Europe couvrent 10% de la consommation annuelle, les activités de raffinage 40% de celle-ci et les produits recyclés 25%. Pour s’affranchir d’une dépendance excessive à l’égard de la Chine, il a également été convenu que pour un métal donné aucun pays fournisseur n’approvisionne l’UE au-delà de 65% de sa consommation annuelle.

Le Règlement sur les matières premières de 2024 prévoit une série de mesures réparties visant à la fois à accroître la production européenne, à sécuriser l’approvisionnement et à renforcer l’économie circulaire (le taux de recyclage des 34 métaux identifiés comme critique est en moyenne de 8,3%). Le label de projet stratégique est en outre accordé à des projets contribuant à la sécurité d’approvisionnement de l’UE, susceptibles d’être mis en œuvre dans un délai raisonnable et bénéficiant d’une approche durable sur le plan social et environnemental. Accordé à 47 premiers projets en mars 2025[4], ce label doit permettre un accès plus aisé aux financements et une réduction des délais pour l’octroi des permis nationaux.  

L’Union européenne comme acteur international

Au-delà du recyclage et de la production de métaux sur le sol européen, structurer des partenariats avec différents pays fournisseurs s’impose pour assurer un approvisionnement fiable. Des volets consacrés aux minerais sont désormais inclus dans la quasi-totalité des accords commerciaux signés par l’UE (notamment dans le cas des accords signés en 2025 avec le Chili et le Mexique). Dans ces accords, l’UE vise à supprimer toute entrave à l’exportation de matières premières et à formuler des engagements en matière de coopération scientifique et de développement durable.

Dans la mesure où 90% des métaux critiques sont importés dans l’UE sans droits de douane (au titre de la clause de la nation la plus favorisée), la valeur ajoutée de ces accords doit être relativisée. Elle n’est pas mineure pour autant. Les pays producteurs sont en effet de plus en plus enclins à accorder un traitement privilégié aux investisseurs valorisant sur place les ressources extraites et une reprise en main du secteur des métaux a été engagée dans plusieurs pays. Après avoir nationalisé sa production de cuivre en 1971 (via la société d’État Codelco), le Chili a ainsi initié un processus similaire pour le lithium. Le pays a été en 2023 le premier pays d’Amérique latine à signer avec l’UE un Accord de nouvelle génération (AFA[5]) dans lequel il s’engage notamment à garantir un prix identique sur le marché intérieur et à l’export (avec néanmoins des avantages accordés dans le cas d’une valorisation sur place du lithium).

L’Accord UE-Mercosur couvre d’autres économies d’Amérique latine, notamment le Brésil qui est l’un des principaux pourvoyeurs de métaux et l’Argentine, puissance montante dans le domaine du lithium. Si la Bolivie rejoignait le Mercosur, son potentiel minier renforcerait naturellement la portée de l’Accord dans une région où la Chine a pris des positions fortes dans la plupart des grandes mines de la région. Des financements européens sont disponibles à travers la Stratégie Global Gateway énoncée en 2021 et supposée répondre au projet chinois de routes de la soie (Belt and Road Initiative).

Sécuriser les approvisionnements sans occulter les défis sociaux et environnementaux

Plus largement, des partenariats stratégiques sur les matières premières ont été signés avec dix pays dans le monde. L’idée est de sécuriser l’approvisionnement depuis des pays riches en métaux et de veiller au respect de principes sociaux et environnementaux. La prise en compte de ces derniers reste néanmoins incertaine. Une feuille de route destinée à les détailler devait être agréée six mois après la signature de chacun de ces accords mais aucune n’a encore été adoptée. Les enjeux sociaux et environnementaux sont par ailleurs abordés à travers la règlementation européenne, notamment les directives CSRD et CS3D[6] adoptées en 2024. Jugées trop ambitieuses et complexes à mettre en œuvre par les États-membres et le Parlement européen, celles-ci ont été édulcorées début 2025[7].

Une approche centrée sur le respect des normes sociales et environnementales par les entreprises européennes, leurs filiales et leurs partenaires commerciaux le long de la chaîne de valeur présente l’avantage de responsabiliser les industriels au-delà des seuls acteurs européens. L’UE doit ici à la fois affirmer ses exigences en matière de développement durable et se prémunir de critiques ciblant un colonialisme vert supposé. D’ores et déjà, le MACF (mécanisme d’ajustement carbone aux frontières) et le Règlement sur la déforestation ont suscité des récriminations de la part de pays pointant l’extraterritorialité de certains volets de la politique climatique européenne.

Au-delà du cadre européen peu à peu renforcé, les initiatives portées par les États-membres participent également de la stratégie européenne. Au Chili, le chancelier allemand vantait en 2023 les mérites d’une extraction minière durable en parrainant l’accord dans le secteur du cuivre entre un industriel allemand et la société d’État chilienne Codelco. Toujours au Chili, le Président français signait l’année suivante, des accords concernant le lithium, le cuivre, l’uranium (ainsi que l’hydrogène) et stigmatisait les entreprises prédatrices qui imposent « des clauses léonines pour mieux exploiter les ressources du continent, ne laissant derrière elles qu’une population appauvrie et une nature ravagée »[8].  

Une stratégie européenne à renforcer ?

Différents instruments restent absents de la panoplie européenne. À l’instar des pratiques de l’agence publique japonaise JOGMEC[9], une politique de stockage stratégique pourrait être mise en œuvre et un soutien financier à des projets miniers hors d’Europe pourrait être envisagé (un club des matières premières a été initié[10]). La question des métaux illustre au final la dimension climatique, industrielle et géopolitique de la transition énergétique. L’enjeu pour l’UE est à la fois d’atteindre les objectifs climatiques qu’elle s’est assignée, de sécuriser ses approvisionnements et d’acter par la contractualisation de partenariats internationaux la proximité qui prévaut désormais entre politique commerciale, stratégie industrielle et action climatique.

 

Notes

[2] Communication de la Commission au Parlement et au Conseil, Initiative « matières premières » — répondre à nos besoins fondamentaux pour assurer la croissance et créer des emplois en Europe. COM(2008) 699 final. Bruxelles, 4.11.2008.

[3] Règlement (UE) 2024/1252 du Parlement européen et du Conseil du 11 avril 2024 établissant un cadre visant à garantir un approvisionnement sûr et durable en matières premières critiques et modifiant les règlements (UE) no 168/2013, (UE) 2018/858, (UE) 2018/1724 et (UE) 2019/1020.

[5] Advanced Framework Agreement.

[6] La CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) vise à d’harmoniser le reporting de durabilité des entreprises à destination notamment des acteurs financiers. La CS3D (Directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité) fixe des obligations concernant l’impact social et environnemental de leurs activités.

[8] Marion Esnault, « Macron à la conquête du lithium en Amérique latine », Reporterre, 22 novembre 2024. https://reporterre.net/Macron-a-la-conquete-du-lithium-en-Amerique-latine.

[9] Japan Organization for Metals and Energy Security (JOGMEC).

[10] Francesco Findeisen, « The Club Approach, Towards Successful EU Critical Raw Materials Diplomacy », Policy Brief, Hertie School-Jacques Delors Centre, 31 octobre 2023.