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Crédit © Citadia
Comment surmonter les obstacles économiques et techniques pour réussir la renaturation des espaces imperméabilisés en milieu urbain ? Un exemple inspirant de renaturation : le parc du Plan de la Garde dans le département du Var.
À l’échelle mondiale, l’érosion de la biodiversité constitue un enjeu crucial. En France métropolitaine, l’indice du risque d’extinction des espèces a augmenté de 138%[1] depuis le début des années 1990. Les experts estiment que, au rythme actuel d'extinction – de 100 à 1000 fois supérieur au taux naturel – la moitié des espèces menacées pourrait disparaître d’ici un siècle 1.
Les implications de ce déclin massif de la biodiversité se répercutent directement sur l’aménagement du territoire à l’échelle locale. En particulier en milieu urbain, il est largement reconnu aujourd’hui que la « nature en ville » offre, au-delà des bénéfices écologiques, des services indispensables : gestion des eaux pluviales, amélioration du confort thermique, bien-être des usagers, liens sociaux, etc. Redonner une place significative à la nature dans des secteurs affectés par les activités anthropiques est donc primordial pour favoriser la biodiversité locale et améliorer le cadre de vie des populations.
À l’heure où les objectifs de « Zéro Artificialisation Nette » sont au cœur des préoccupations de tous les projets d’aménagement en France, la renaturation[2] des milieux artificialisés prend tout son sens. Elle vise à reconquérir la biodiversité et réintroduire la nature en ville pour renforcer la résilience des territoires face au dérèglement climatique.
En 2021, la Banque des Territoires, en collaboration avec la Plateforme Européenne de Conseil en Investissement, a lancé une assistance opérationnelle nommée SGREEN+. Cette initiative permet de soutenir la mise en œuvre de projets d’adaptation au changement climatique et de préservation ou restauration de la biodiversité dans les villes moyennes, mobilisables par 25 villes du programme Action Cœur de Ville (ACV). Concrètement, ces études visent à accompagner les communes sur des projets de renaturation pré-identifiés par les collectivités, avec des échelles d’interventions, des assistances et des objectifs adaptés.
La ville de Calais dans le département du Pas-de-Calais a par exemple entrepris des études pour la création d’un espace paysager sur le site de l’ancien hôpital communal, situé à proximité du centre-ville. L’objectif de cette étude a été de réaménager cette friche d’un hectare en un espace, conciliant nouveaux usages (détente, loisirs, jeux pour enfants) et protection de la biodiversité (forêt urbaine, haies, etc.). Accompagné par Citadia en 2023, les missions prédéfinies étaient multiples : rédaction du CCTP de consultation pour la réalisation des inventaires faune-flore sur quatre saisons, choix des espèces végétales, accompagnement lors de la prescription des travaux, et rédaction d’un plan de gestion.
Les opérations de renaturation en cours visent, d’un côté, le renforcement de la présence de nature en ville (ou au sein de secteurs très contraints), et de l’autre, le développement de nouveaux usages des espaces, vecteurs de liens sociaux et d’attractivité du territoire.
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Cependant, la renaturation d’un site est plus complexe qu’elle n’y parait et peut s’avérer complexe à mettre en place en raison des nombreuses contraintes qu’elle peut induire. En effet, les projets de renaturation se heurtent à plusieurs obstacles.
Tout d’abord, il est difficile de rendre économiquement viable un projet de renaturation dans l’état actuel des choses. Ces projets, généralement implantés sur les terrains délaissés en milieu urbain (friches, anciens parkings, carrières, etc.), sont en concurrence avec d’autres aménagements bien plus rentables pour le maître d’ouvrage, tels que la création de logements, de commerces ou de bureaux. Il est donc difficile d’équilibrer un bilan d’aménagement avec seulement un projet de renaturation. Pour compenser ce frein financier, plusieurs aides sont mobilisables par le porteur de projet : en guichet ouvert (Fonds Friche ; Fond vert / MTECT), en appel à projet (programme LIFE / Union Européenne), ou encore via le mécénat (Programme Nature 2050 / CDC Biodiversité).
La problématique d’équilibrage des bilans est d’autant plus cruciale que les friches nécessitent souvent diverses compétences techniques avant leur réaménagement. Il n’est pas rare que des inventaires faune-flore, des études sols pollués, ou géotechniques soient requis, fragilisant encore davantage l’équilibre financier. Les résultats de ces études impliquent souvent des travaux spécifiques avant renaturation, tels que la dépollution des sols pour essayer de restaurer les écosystèmes dégradés. Bien que nécessaires, ces interventions soulèvent une question étymologique : « renaturer » suggère à tort que l'on peut recréer la nature, alors qu'il serait plus approprié de parler de « réhabilitation » en raison de la diminution des services écosystémiques des sols restaurés. En effet, malgré les interventions réalisées, il est impossible de rétablir complètement les niveaux de services écosystémiques des sols tels qu'ils étaient avant leur anthropisation.
Enfin, la dernière contrainte correspond aux exigences réglementaires. Comme tout projet d’aménagement, les projets de renaturation sont soumis à une évaluation environnementale si leur terrain d’assiette dépasse les 10 hectares. Le projet devra donc mettre en œuvre une séquence ERC (Éviter, Réduire, Compenser) afin de protéger les espèces et les habitats présents, ce qui doit être pris en compte dans le calendrier du projet. D’autres contraintes réglementaires (permis d’aménager, ICPE, dossier Loi sur l’Eau, etc.) peuvent s’additionner ou se substituer à la réalisation d’une étude d’impact.
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Comme énoncé précédemment, les études SGREEN+ permettent de répondre en partie à ces obstacles en apportant une expertise externe au porteur de projet. Elles offrent des cadrages réglementaires, des recherches sur les sources de financement, et bien d'autres possibilités à mobiliser.
Pour que la renaturation soit efficace, il est essentiel de renaturer de vastes espaces plutôt que de se contenter du verdissement des centres-villes. Il est donc important de mobiliser des espaces suffisamment vastes pour accueillir ce type de projet et de les protéger au mieux pour permettre à la nature de reprendre ses marques. Cela nécessite un engagement total des services publics dans ces projets indispensables.
L'Espace Nature Départemental du Plan, qui connaissait autrefois un déclin, illustre une réhabilitation exemplaire. Ce projet aborde des enjeux de biodiversité et de sensibilisation, revêtant une importance cruciale dans un contexte où la préservation des écosystèmes est primordiale.
Situé entre les communes de La Garde et du Pradet dans le Var, l'Espace Nature Départemental du Plan a été identifié comme une zone de biodiversité importante. Par le passé, les activités agricoles et l’abandon des pratiques ancestrales ont participé à l’accélération de la dégradation de ce milieu, au détriment de la faune et de la flore. Des usages non désirés sont également venus s’implanter sur cet espace laissé à l’abandon (construction d’habitats légers sans autorisation ; déchetterie sauvage ; etc.)
C’est dans ce contexte que dès les années 1990, le Département du Var a identifié une opportunité de concevoir et de revalorisation ce site naturel en cours de déclin. Identifiée comme l’une des dernières zones humides côtières de Méditerranée, cet espace est classé en Espace Naturel Sensible (ENS), et également en Zone Naturelle d’Intérêt Faunistique et Floristique (ZNIEFF) de type II depuis 2020. Le Département a pris l’initiative d’acquérir ces terrains, via une procédure de DUP permettant de démontrer l’intérêt public majeur de ce projet. En une trentaine d’années, le site du Plan de la Garde est donc passé d’une friche au potentiel écologique important mais non valorisée, à un véritable réservoir de biodiversité.
Le projet a choisi de créer un espace naturel accessible au public pour offrir des lieux de détente et de sensibilisation à la biodiversité. Des études techniques ont permis de comprendre les dynamiques hydrauliques et écologiques du site, guidant la création de bassins pour maintenir l'état humide. Ces aménagements combinent objectifs écologiques et pédagogiques, intégrant des jardins familiaux et thématiques.
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En transformant un espace dégradé en un vaste réservoir de biodiversité, le projet de renaturation du Plan de la Garde offre un exemple inspirant de gestion responsable, démontrant la réussite d'une démarche réfléchie et durable. Les processus de renaturation, tels que celui-ci, revêtent une importance cruciale pour préserver les écosystèmes naturels et sensibiliser les différentes générations aux enjeux environnementaux. Ces espaces renaturés, proches des zones urbaines, ne sont pas seulement des refuges pour la biodiversité ou des espaces de gestion des crues, mais aussi des catalyseurs de liens entre l'homme et la nature, démontrant que la coexistence harmonieuse entre présence de l’Homme et préservation de l'environnement est une réalité envisageable.
Le projet illustre de manière tangible un exemple de solution fondée sur la nature, visant à préserver de manière pérenne les milieux naturels et la biodiversité associée, améliorer la gestion des crues et protéger les espaces urbanisés de certaines inondations, et enfin fournir un lieu de rencontre multigénérationnel en offrant des espaces de détente, de loisirs, et d'éducation environnementale.