France 2030 : l’IA au service de la culture, une synergie prometteuse
À première vue, l'intelligence artificielle (IA) et la culture semblent appartenir à des univers distincts, voire antinomiques. Pourtant, le numérique et l’essor de l’IA transforment le domaine de la culture et de l’art à un rythme soutenu depuis plusieurs années.
De l’ordinateur Illiac et du logiciel Aaron à l’IA générative
L’utilisation d'algorithmes dans ce secteur n'est pas nouvelle ; elle remonte aux premières expériences de musique générée par ordinateur dans les années 1950. Par exemple, en 1957, l’ordinateur Illiac composait déjà des suites de musique expérimentale. Au début des années 1970, le logiciel Aaron, développé par l’artiste Harold Cohen, générait des images artistiques exposées comme des œuvres d’art.
Autrefois, les machines fonctionnaient selon des règles et des codes supervisés par des humains. Aujourd’hui, les applications de l’IA opèrent par apprentissage automatique : l’ordinateur est alimenté par de grandes quantités de données qui permettent de définir des règles algorithmiques. Plus récemment, l’IA a été utilisée pour restaurer des films anciens, des peintures ou des enregistrements audio dégradés, améliorant leur qualité et les préservant pour les générations futures grâce à la numérisation.
Depuis son essor en 2022 l’IA générative, transforme profondément le monde de la culture en influençant la création, la diffusion, la consommation et la préservation des œuvres culturelles. Des applications innovantes de l’IA émergent dans les arts visuels, la musique, le cinéma, la littérature, le patrimoine culturel, les musées, les bibliothèques… L'IA permet de créer des œuvres d'art, de la musique, des poèmes et des scénarios de manière automatisée ou en collaboration avec des artistes humains. Par sa capacité à analyser de grandes quantités de données culturelles, l’IA peut également identifier les tendances ou des influences, et aider à mieux comprendre l’évolution de l’art et de la pensée.
Cette immiscion grandissante de l’IA dans le monde de la culture suscite des débats passionnés sur son impact et ses potentialités. Il est indéniable que l'IA transforme notre manière de créer, de diffuser et de consommer la culture. Mais au-delà des controverses, il est possible de voir ces nouvelles technologies comme des opportunités de préserver notre patrimoine, de diversifier les pratiques artistiques et de rendre la culture plus accessible à tous.
L’IA au service des professionnels de la Culture
Les applications de l’IA sont nombreuses et les politiques publiques accompagnent désormais ces nouvelles formes d’expression et de production artistique. Ainsi, dans le cadre du Fonds national pour la Société numérique (FSN), puis du plan France 2030, la Banque des Territoires, opérateur de l’Etat, accompagne le développement des entreprises innovantes qui utilisent l’IA comme levier de découvrabilité, de connaissance et de protection des biens culturels. Plusieurs projets soutenus sont emblématiques et structurants pour les industries culturelles et créatives.
Indexer, protéger et valoriser le patrimoine musical
Ircam Amplify[1], la société de commercialisation des innovations audio de l’Institut de recherche et de coordination acoustique et musique (IRCAM), via l’utilisation d’algorithmes de traitement des données liées au son qu’elle développe, crée des produits et services innovants qui transforment l’expérience du son au quotidien. Grâce à cette capacité de reconnaissance et d’indexation des morceaux de musique par l’IA, elle est devenue un partenaire essentiel de l’industrie musicale dans la protection des titulaires de droits. En effet, sa solution technologique AI Music Detector, qui permet d’identifier la musique générée par IA, est aujourd’hui utilisée par des plateformes de streaming, des distributeurs, etc.
Classer et rendre accessible le patrimoine filmique et iconographique
L’IA présente un fort potentiel dans la description et le classement automatique de collections patrimoniales (analyse, indexation, traduction, génération de métadonnées sur les œuvres grâce à la reconnaissance d’images, de textes ou de sons) et optimise leur accès et leur découvrabilité grâce à des moteurs de recherche multimodale. Elle permet une gestion plus efficace et une valorisation du patrimoine culturel dans le champ des archives, des bibliothèques, des musées, des monuments historiques ou encore de l’archéologie.
L’association Diaz Interegio, qui porte le projet « Mémoires filmiques des territoires » a développé une plateforme qui permet d’interroger depuis un lieu unique l’ensemble des collections de mémoire filmique des membres du réseau Diaz Interegio . Grâce à l’IA, le volume important de données provenant des cinémathèques et des centres d’archives francophones peuvent être traitées, indexées et valorisées.
Le projet Gallica porté par la Bibliothèque nationale de France (BNF), soutenu dans le cadre du dispositif « Numérisation du patrimoine et de l’architecture » de la filière des Industries culturelles et créatives, utilise l’IA pour rechercher et rapprocher des illustrations similaires au sein de vastes bases d’images, dans le cadre de la valorisation du patrimoine iconographique entrepris par la BNF.
Le Musée Guimet, accompagné dans le cadre du plan France 2030 pour son projet HikarIA
(2023-2026), en partenariat avec la société TEKLIA, a pour objectif d’étudier et de valoriser les collections de photographies anciennes du Japon qui y sont conservées grâce à l’IA. Ce projet consiste en une plateforme d’exploration et d’analyse d’un vaste corpus de photographies japonaises de l’Ecole de Yokohama grâce à l’IA (Deep learning), utilisée pour décrire ce fonds de photographies : la reconnaissance d’images permet d’indexer, de classer les contenus et les données numérisées qui sont ensuite mises en ligne. L’IA apporte ainsi une aide précieuse pour gérer des inventaires et des récolements.
©Musée Guimet, Dist. GrandPalaisRmn / image musée Guimet
Felice BEATO, Tōkaidō, 1863–77.
Tirage albuminé mis en couleur, AP11360.
©Musée Guimet, Dist. GrandPalaisRmn / image musée Guimet
KŌZABURŌ Tamamura, Geiko jouant du shamisen, début des années 1890.
Tirage albuminé mis en couleur, AP15928.
Ces deux photographies illustrant le projet HikarIA proviennent des fonds de photographies anciennes du Japon au musée Guimet. Ce sont des photographies dites « de style ou de l'Ecole de Yokohama », à savoir des photographies touristiques produites par des studios commerciaux pour un marché étranger, assez mises en scène et souvent colorisées à la main.
Les algorithmes d’IA sont entraînés à reconnaître des éléments visuels (ici : geisha, shamisen, …) dans ce corpus produit entre le milieu du 19ème siècle et le début du 20ème siècle.
Lutter contre le trafic et les contrefaçons
Par ailleurs, en contribuant à l’amélioration de l’identification, de la traçabilité et de la provenance des biens culturels, l’IA joue un rôle contre leur trafic en déterminant leur origine et en permettant de détecter des objets volés ou disparus. Elle peut également aider à détecter les contrefaçons, en analysant des caractéristiques spécifiques liées aux auteurs ou aux conditions de production historiques des œuvres d’art.
Personnaliser et diversifier l’expérience culturelle
Des recommandations sur mesure
L’IA générative permet de personnaliser l’expérience des utilisateurs grâce à des recommandations ciblées et de diversifier les pratiques culturelles.
Les algorithmes de recommandation proposent des contenus culturels adaptés aux goûts individuels en se basant sur les historiques de navigation ou les intérêts spécifiques ou similaires. Les plateformes de streaming utilisent l'IA pour recommander des œuvres culturelles en fonction des préférences des utilisateurs ou de leurs pairs. Mais l’IA peut également faire évoluer l’expérience de l’utilisateur en lui proposant de découvrir de nouveaux contenus et en diversifiant ses pratiques.
Le projet Gleeph[2], porté par la société F-451, lauréate de l’AMI « Culture, patrimoine et numérique » a bénéficié d’un investissement au titre du Programme d’Investissements d’Avenir pour développer notamment son algorithme de recommandation de livres utilisant le filtrage collaboratif et des techniques de calcul matriciel. Son IA assiste les libraires dans la suggestion d'ouvrages adaptés aux goûts des lecteurs et aide les éditeurs à identifier le public cible pour les livres à paraître. Ces outils de recommandations se retrouvent sur plusieurs sites Internet.
Cette application transforme l’ensemble des bibliothèques de ses membres en réseau social. Les lecteurs constituent leur bibliothèque personnelle, donnent leur avis, échangent avec d’autres lecteurs, et découvrent de nouveaux livres grâce aux suggestions de lecture proposées chaque jour. Gleeph offre également la possibilité de connaître en temps réel la disponibilité d’un livre chez le libraire plus proche. En mettant la technologie au service de tous les acteurs de la chaîne du livre, Gleeph propose un modèle porteur d’avenir pour la chaîne de valeur du livre face à la pression des grandes plateformes digitales.
Enrichir la visite des lieux patrimoniaux
Dans le domaine patrimonial, l’IA générative permet aussi aux établissements culturels de personnaliser leurs offres et les parcours proposés aux publics. Elle permet d’enrichir les expériences culturelles des visiteurs lors de leurs visites de musées, châteaux, grâce à des agents conversationnels et des recommandations personnalisées. On peut citer le développement de bornes interactives au Musée d’Orsay, « Bonjour Vincent », mais également le Château de Versailles qui, grâce à une IA conversationnelle, permet aux visiteurs de dialoguer en temps réel avec les statues et les fontaines du jardin.
Renouveler et amplifier l’expérience culturelle
L’immersion au cœur de la création
L’IA générative permet de créer des expériences immersives comme des visites virtuelles de musées ou des concerts en réalité augmentée, offrant un nouveau type d’expérience culturelle inédite, mêlant art et technologie[3].
Grand Palais Immersif, né d’un engagement commun entre la Réunion des musées nationaux - Grand Palais, la Banque des Territoires et VINCI Immobilier, propose des expositions d’artistes recourant à l’IA ayant un impact important sur le secteur de l’immersif.
Au sein du Grand Palais également, a été accueilli le KIF, Knowledge Immersive Forum 2024 “VOUS+IA”, un colloque à destination des professionnels mêlant conférences, démonstrations immersives, tables rondes et échanges sur les enjeux de l’IA : « l’intelligence artificielle constitue-t-elle une immense opportunité de démocratisation de la création, ou bien représente-t-elle le hack du siècle des tech sur les créateurs ? »
Parmi les expositions récentes utilisant l’IA , citons Artificial Dreams une « plongée grand format dans le monde poétique des algorithmes génératifs et de la création numérique assistée par l’IA »), Clubbing (plongée immersive et participative dans la culture de clubs iconiques accompagné de son avatar) et Pixels - Miguel Chevalier (« expérience interactive avec l’univers créatif de l’IA »)
Rendre la culture accessible à tous
L’IA permet également d’adapter et de personnaliser les interfaces et les contenus numériques aux besoins de chaque utilisateur grâce à des fonctionnalités comme la transcription en temps réel, le sous-titrage automatique ou la reconnaissance vocale. L’IA devient alors un levier d’accessibilité et d’inclusion culturelle en rendant les œuvres culturelles accessibles à un public plus large.
Conclusion : vers une culture « augmentée » et accessible
Les réflexions sur le développement de l’IA dans le secteur de la culture sont désormais bien engagées. Il est essentiel d’accompagner ces initiatives innovantes pour qu’elles répondent aux attentes des publics et améliorent leurs expériences culturelles.
L’IA joue un rôle significatif dans la conservation, la protection et la valorisation du patrimoine culturel. En intégrant ces nouvelles technologies, il devient possible non seulement de sauvegarder le patrimoine culturel, mais aussi de le faire évoluer, pour offrir une expérience culturelle améliorée.
L’IA permet d’explorer de nouvelles formes d’expression artistique et de repenser les conditions d’accès à la culture pour tous. Elle apporte également un soutien notable aux industries culturelles et créatives, notamment grâce à l’appel à projets France 2030[4] « Transition numérique de la Culture et appropriation de l’Intelligence artificielle », ouvert jusqu’en 2027, qui accompagne les porteurs de projets qui contribuent à la création et au développement de nouvelles expériences culturelles et artistiques.
En somme, l’IA ouvre des perspectives prometteuses pour la culture, dynamisant le patrimoine culturel et rendant l’art plus accessible. En soutenant ces innovations, il est possible de veiller à ce que la culture, sous toutes ses formes, reste vivante, dynamique et accessible à tous.
[1]Ircam Amplify a été soutenu dans le cadre du Programme d’Investissements d’Avenir et de l’AMI « Cuture, patrimoine et numérique ».
[2] France 2030 soutient ainsi des initiatives visant à développer des algorithmes de recommandation plus précis et personnalisés, tel que le projet Gleeph.
[3] France 2030 finance des initiatives visant à développer des expériences immersives en utilisant l’IA pour créer des environnements interactifs qui repoussent les limites de la créativité et de l’innovation.
[4] Piloté en lien avec le Secrétariat général pour l’Investissement (SGPI) et opéré par la Banque des Territoires et Bpifrance, cet appel à projets France 2030 met l’accent sur l’IA et contribuera à la transformation des filières des industries culturelles et créatives françaises.