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L’agroforesterie, ou comment rendre nos paysages nourriciers et vivants

Date de publication 16 décembre 2025

Temps de lecture 5min

©La Société Forestière

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  • Kamélys Say

    Kamélys Say

    Développement des projets agroforestiers - La Société Forestière

En France, plus de 70 % des haies bocagères ont disparu depuis 1950, soit environ 1,4 million de kilomètres de linéaires effacés du paysage agricole[1]. Pourtant, là où l’arbre subsiste, il rend d’innombrables services : protection des sols, régulation du climat local, stockage du carbone, abri pour la faune... C’est dans ce contexte que l’agroforesterie, longtemps perçue comme une pratique du passé, retrouve aujourd’hui toute son actualité.

Qu’est-ce que l’agroforesterie ? 

L’agroforesterie est une approche associant, sur une même parcelle, la présence d’éléments ligneux (arbres, haies ou arbustes) à des cultures ou de l’élevage, à des fins fonctionnelles et/ou productives[2].
Cette approche inclut plusieurs modalités :

  • Ouverture ou éclaircissement d’une zone boisée afin d’y introduire des cultures (agrisylviculture) ou des animaux d’élevage (sylvopastoralisme), conciliant production agricole et gestion forestière.
  • Régénération naturelle assistée ou plantation d’arbres à faible densité sur des terres cultivées ou pâturées, incluant ainsi les haies bocagères (arbres périphériques de la parcelle) et les arbres intraparcellaires (dans les champs).

 

L’arbre champêtre n’étant pas l’arbre forestier, il convient de l’accompagner pour qu’il trouve sa place dans un écosystème agricole façonné par les humains. L’agroforesterie cherche donc à transposer à l’agriculture certains principes écologiques issus du fonctionnement des forêts.

Quels sont les principes fondateurs de l’agroforesterie ? 

L’agroforesterie s’inscrit dans une démarche agroécologique globale et adaptée : son efficacité dépend du contexte local, de l’état initial des sols, de la gestion pratiquée et, surtout, de la volonté et de la formation de l’agriculteur. Cette démarche s’appuie sur la diversité biologique et l’autonomie du monde agricole. Ainsi, comme le rappelle l’Association Française d’Agroforesterie[3] : « Les systèmes agricoles les plus résilients sont les moins homogènes : c’est cette ligne-là que tous les agroforestiers du monde poursuivent, celle de la diversification des paysages et de la polyculture des consciences. » 
Enfin, la mise en place d’un projet agroforestier suppose de respecter un certain ordre de priorités : 

  • Valoriser l’existant (haies, bosquets, ripisylves) ;
  • Accompagner la régénération naturelle
  • Si nécessaire, planter des arbres.

Les différents systèmes agroforestiers

L’agroforesterie recouvre une grande diversité de configurations, qui se distinguent par la diversité des essences, les modes de gestion (arbustes, taillis, têtards, arbres de haut jet, etc.) et les types de production associés (bois d’œuvre, bois énergie, fruits, fourrage, etc.).

  • Les haies bocagères sont des alignements d’arbres en périphérie des parcelles qui peuvent protéger les cultures du vent, abriter la faune et structurer le paysage. Cependant, malgré les 3 000 km de plantations annuelles estimées, la France aurait perdu 23 500 km de haies par an entre 2017 et 2021[4]. De plus, la plupart des données sur la densité des haies en France ne tiennent pas compte de la réalité de leur état. En Bretagne, par exemple, 80 % des haies sont peu fonctionnelles (monostrates, discontinues, déconnectées du reste du maillage bocager), voire dépérissantes, ce qui constitue la principale cause d’érosion du bocage, avant même les arasements[5]. Cette situation s’explique en grande partie par le fait que les agriculteurs supportent seuls les coûts de gestion, estimés à environ 450 €/km/an pour un entretien régulier[6].
  • Les alignements d’arbres intraparcellaires sont plantés directement au sein des parcelles cultivées ou pâturées, et les vergers-maraîchers combinent arbres fruitiers et cultures légumières. Ces systèmes peuvent répondre à la pression sur le foncier agricole en intensifiant la production par unité de surface, tout en jouant sur les complémentarités entre les espèces végétales.
  • Le sylvopastoralisme consiste à faire pâturer des animaux sous couvert forestier afin de tirer parti des complémentarités entre l’élevage et la gestion forestière. D’une part, il permet de profiter de la ressource pastorale et d’améliorer le bien-être animal grâce à l’ombrage et à l’effet coupe-vent, et d’autre part, il contribue à réduire le recours au débroussaillage mécanique en privilégiant un entretien plus doux, tout en participant à la diminution du risque d’incendie.
  • Les parcours volailles, aménagés avec des arbres, des haies et des bosquets, s’inspirent du comportement naturel des volailles, originaires des milieux forestiers. Sous les arbres, elles bénéficient d’un meilleur bien-être, en étant protégées du vent, de la chaleur et des prédateurs, et en ayant accès à une alimentation complémentaire.
  • Les pré-vergers associent les arbres fruitiers aux animaux d’élevage, par exemple :
    o    en Normandie : des vergers de pommiers sont pâturés par des bovins ;
    o    en Espagne : les dehesas combinent porcs ibériques et chênes verts ou lièges.
  • La vitiforesterie est l’association de la vigne avec des arbres. Elle répond aujourd’hui aux défis du réchauffement climatique : hausse du degré alcoolique, déséquilibres d’acidité et stress hydrique.
  • La mycosylviculture, ou le verger à champignon, consiste à cultiver des champignons au champs (truffière par exemple) ou en sous-bois. Elle permet notamment de valoriser des parcelles où la mobilisation du bois se révèle difficile et d’offrir une diversification économique des espaces boisés.

L’agroforesterie, une histoire mondiale

Loin d’être marginale, l’agroforesterie concernerait près de 1,2 milliard d’agriculteurs dans le monde[7], et 43 % des terres agricoles mondiales compteraient au moins 10 % de couverture arborée[8].
Ces chiffres rappellent que l’arbre a longtemps accompagné l’agriculture. Dans l’Antiquité déjà, les Romains pratiquaient l’Arbustra, un système de vignes palissées sur des arbres[9]. En Europe, et notamment dans le Sud-Ouest de la France, les Joualles associaient vignes, arbres fruitiers et cultures légumières ou céréalières.[10]

©« Vendanges d’autrefois » par Philipp Hackert, en 1784

À l'automne, près de Sorrente (Italie), les vendanges d'une joualle, avec en premier plan, d'immenses ceps de vigne suspendus en hautain entre deux grands ormeaux (hautains en guirlandes), « Vendanges d’autrefois » par Philipp Hackert, en 1784

L’agroforesterie, la stratégie la plus efficace ?

L’agroforesterie s’appuie sur les interactions naturelles plutôt que sur leur effacement. Une méta-analyse internationale[11] portant sur plus de 5 000 expérimentations dans 85 pays montre que les parcelles agroforestières, comparées à des parcelles cultivées dans des conditions similaires mais dépourvues d’arbres, semblent plus prometteuses pour fournir de multiples services écosystémiques. En effet, l’agroforesterie entrainerait :

  • Une hausse de 66% de la diversité des communautés de plantes non cultivées et des animaux au sein de l’agroécosystème ;
  • Une amélioration de 59 % du contrôle biologique des ravageurs et maladies, réduisant ainsi les dommages aux cultures ;
  • Une augmentation de 19% de la teneur en carbone dans les sols, favorisant le stockage du carbone des sols.

©La Société Forestière

Schéma comparant les impacts des différentes stratégies de diversification des systèmes de culture (agroforesterie, couvert végétal, rotation des cultures, cultures intercalaires et mélange variétal), Beillouin et al., 2021

Les freins et les limites de l’agroforesterie

Malgré ses bénéfices, plusieurs obstacles freinent sa généralisation :

  • Investissement initial élevé : la mise en place et l’entretien d’arbres représentent un coût important, notamment pour les petites exploitations.
  • Retour sur investissement lent : les arbres peuvent nécessiter de plusieurs années avant d’apporter des bénéfices économiques, alors que les ressources financières sont souvent limitées et les besoins immédiats.
  • Complexité technique : la conduite d’un système agroforestier demande des connaissances et des compétences spécifiques[12].
  • Concurrence possible entre arbres et cultures : il peut exister une compétition pour la lumière, l’eau et les nutriments, surtout quand les facteurs sont limitants (régions sèches)[13].
  • Réglementation et politiques publiques parfois inadaptées : les cadres administratifs et les aides agricoles sont souvent pensés pour la monoculture[14].
  • Manque de reconnaissance économique : malgré l’existence d’une soixantaine de labels et chartes environnementales en Europe, aucun ne valoriserait directement l’agroforesterie[15].
  • Problèmes fonciers : les agriculteurs non-propriétaires peuvent hésiter à investir dans des aménagements de long terme.
     

Ces freins soulignent la nécessité d’un accompagnement davantage structuré et des politiques agricoles plus incitatives.

L’agroforesterie est une réponse concrète aux défis agricoles du XXIᵉ siècle : effondrement de la biodiversité, réchauffement climatique, raréfaction des ressources, pression foncière, autosuffisance alimentaire... Elle ouvre la voie à une agriculture productive, diversifiée, capable d’atténuer les extrêmes climatiques et de stabiliser les récoltes. Réintégrer l’arbre dans les champs, c’est renouer avec une logique millénaire, tout en plaçant la biodiversité au cœur de systèmes agricoles adaptés aux spécificités locales. Une telle démarche nous conduit alors à réinterroger le paradigme anthropologique occidental qui sépare nature et culture[16]. Autrement dit, elle nous invite à abandonner les approches trop cloisonnées des sujets, à nouer des alliances avec les autres êtres vivants en modifiant le regard que nous leur portons[17], et enfin à dépasser l’opposition simpliste entre un interventionnisme humain supposé destructeur et un laisser-faire souvent perçu comme utopique.
 

[1]Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER). (2015). Promotion des systèmes agroforestiers (Rapport n° 14094). Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire.
[2]Liagre, F., & Dupraz, C. (2011). Agroforesterie : des arbres et des cultures. Éditions France Agricole
[3]Association Française d’Agroforesterie. (2024, juin). Newsletter nationale agroforesterie de juin 2024. https://www.agroforesterie.fr/wp-content/uploads/2024/10/newsletter-nationale-agroforesterie-juin-2024.pdf 
[4]Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux. (2023). La haie, levier de la planification écologique (Rapport n° 22114). Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire.
[5]Afac Agroforesterie. (2024). Bilan Breizh Bocage 2 : Chiffres bocage 2008-2020 – BZH [Webinaire, document PDF]. Splann. https://splann.org/wp-content/uploads/2024/02/20240220-Splann-Enquete-bocage-Chiffres-bocage-2008-2020-BZH-source-Afac.pdf  
[6]Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux. (2023). La haie, levier de la planification écologique (Rapport n° 22114). Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire.
[7]FAO and UNEP. (2020). The State of the World’s Forests 2020. Forests, biodiversity and people. FAO.
https://doi.org/10.4060/ca8642en 
[8]Zomer, R. J., Neufeldt, H., Xu, J., Ahrends, A., Bossio, D., Trabucco, A., van Noordwijk, M., & Wang, M. (2016). Global tree cover and biomass carbon on agricultural land: The contribution of agroforestry to global and national carbon budgets. Scientific Reports, 6, Article 29987. https://doi.org/10.1038/srep29987 
[9]Lelle, M. A., & Gold, M. A. (1994). Agroforestry systems for temperate climates: Lessons from Roman Italy. Forest & Conservation History, 38(3), 118–126. Forest History Society & American Society for Environmental History. https://doi.org/10.2307/3983919 
[10]Centre national de ressources textuelles et lexicales. (n.d.). Joualle : étymologie. https://www.cnrtl.fr/etymologie/joualle 
[11]Beillouin, D., Ben‐Ari, T., Malezieux, E., Seufert, V., & Makowski, D. (2021). Positive but variable effects of crop diversification on biodiversity and ecosystem services. Global Change Biology. https://doi.org/10.1111/gcb.15747 
[12]Scherr, S. J., & McNeely, J. A. (2007). Farming with nature: the science and practice of ecoagriculture. Island Press.
[13]Majaura, M., Böhm, C., & Freese, D. (2024). The influence of trees on crop yields in temperate zone alley cropping systems: A review. Sustainability, 16(8), 3301. https://doi.org/10.3390/su16083301
[14]Buttoud, G. (2013). Advancing agroforestry on the policy agenda: A guide for decision makers (Agroforestry Working Paper No. 1). Food and Agriculture Organization of the United Nations. https://www.fao.org/docrep/017/i3182e/i3182e00.pdf
[15]Canet, A. (témoignage).
[16]Descola, P. (2015). Par-delà nature et culture. Gallimard.
[17]Morizot, B., & Husky, S. (2024). Rendre l’eau à la terre : Alliances dans les rivières face au chaos climatique. Actes Sud.