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Premier Plan européen pour le logement abordable : favoriser l’émergence de solutions locales pour faire face ensemble à une crise européenne

Date de publication 19 décembre 2025

Temps de lecture 9min

Résidence de logements sociaux
Résidence de logements sociaux

©ah_fotobox/Adobe stock

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Face à l’urgence de la crise du logement en Europe, la Commission européenne a présenté mardi 16 décembre son tout premier « Plan européen pour le logement abordable ». Ce cadre de recommandations, inédit à l’échelle communautaire, marque une étape importante : même si le logement demeure une compétence des États membres, l’Union européenne peut jouer un rôle structurant, d’appui de facilitation et de coordination. Pour transformer cette ambition en résultats concrets, elle s’appuie explicitement sur les banques publiques et les institutions nationales et régionales de promotion, comme la Caisse des Dépôts - véritables leviers de mise en œuvre des politiques publiques nationales et européennes en la matière.

Un diagnostic alarmant : un défi urgent et multidimensionnel

La crise de logement en Europe est une crise majeure qui affecte la cohésion sociale, la mobilité des travailleurs et la compétitivité des territoires européens. Les indicateurs sont préoccupants : les loyers en hausse, une déconnexion croissante entre les prix de l’immobilier et les revenus des ménages et un parc vieillissant qui peine à répondre aux impératifs climatiques. En moins de dix ans, le nombre de personnes sans abri a augmenté de plus de 80 %, atteignant près de 1,3 million en 2023 (FEANTSA). Parallèlement, entre 2010 et 2025, les prix des logements dans l’UE ont augmenté de 61 %, les loyers de 29 %, bien au-delà de la croissance des revenus des ménages, d’après Eurostat. Cette situation se traduit par une pression financière accrue pour les ménages européens. Près de 10 % d’entre eux consacrent aujourd’hui plus de 40 % de leurs revenus au logement, avec de fortes disparités entre États membres[1]. En 2024, 9 % de la population de l’UE ne pouvait pas se permettre de garder son logement suffisamment chaud[2]. Les jeunes, les familles et les ménages à faibles revenus sont les premières victimes de cette crise.
C’est ce constat alarmant – documenté précisément dans une étude de la Commission publiée en même temps que le plan - qui a incité la Présidente de la Commission Von der Leyen à faire du logement abordable l’une des priorités de sa mandature.

Le logement abordable, nouvelle priorité européenne 

Pour la première fois de son histoire, l’Union européenne vient de se doter d’un « Plan européen pour le logement abordable ». Présenté le 16 décembre par le Commissaire européen Dan Jørgensen, chargé de l’Énergie et du Logement, en séance plénière au Parlement européen à Strasbourg, ce plan propose dix actions articulées autour de quatre axes : stimuler l'offre, mobiliser les investissements, encourager les réformes, aider les personnes en difficulté. Sans remettre en cause la compétence des États membres, les recommandations visent à guider les États membres dans leurs politiques de logement et préfigurent de futures propositions législatives européennes. Le plan s'accompagne également d'une nouvelle décision concernant les Services d’Intérêt Économique Général (SIEG).
 

Un Plan en 10 actions

I. Stimuler l'offre
1. Renforcer la Productivité et l'Innovation dans l'Industrie de la Construction

  • Promouvoir l'innovation dans les matériaux et méthodes de construction.
  • Soutenir la transition vers une économie circulaire et des processus numériques.
  • Présenter une nouvelle Stratégie Européenne pour la Construction de Logements.
     

2. Simplifier les Procédures Administratives

  • Présenter un paquet de simplification pour le logement (2027).
  • Cartographier la législation de l'UE et identifier les opportunités de réduire les charges administratives.
     

3. Combiner Abordabilité, Durabilité et Qualité dans le Logement

  • Réduire les factures énergétiques des ménages en accélérant la rénovation.
  • Promouvoir la régénération des quartiers et améliorer l'accès au financement pour les solutions de logement abordable.
     

II. Mobiliser les investissements

4. Mobiliser des Investissements Publics et Privés

  • Créer une nouvelle Plateforme d'Investissement Paneuropéenne pour le logement abordable et durable. 
  • Mobiliser de nouveaux investissements dans le logement sous le cadre financier pluriannuel actuel et futur.
     

5. Faciliter le Soutien Public pour le Logement Social et Abordable

  • Réviser les règles d'aide d'État pour permettre aux États membres de soutenir les projets de logement abordable sans notification préalable.

 

III. Permettre un soutien immédiat tout en favorisant les réformes
6. Aborder les Locations de Courte Durée dans les Zones sous Pression de Logement

  • Proposer une nouvelle initiative législative sur les locations de courte durée (2026).


7. Lutter contre la Spéculation sur le Marché du Logement

  • Présenter une analyse des dynamiques de prix du logement, y compris les preuves disponibles de spéculation (2026).
     

8. Promouvoir les Réformes Structurelles des États Membres

  • Aider les États membres à concevoir des réformes efficaces pour le logement abordable et social.
  • Fournir un soutien technique et financier pour la mise en œuvre des réformes.


IV. Soutenir les plus touchés
9. Logement pour les Jeunes

  • Mobiliser des investissements pour le logement étudiant.
  • Évaluer la faisabilité d'un schéma de garantie pour réduire ou éliminer le besoin d'un dépôt de garantie.
     

10. Lutter contre le Sans-abrisme et Soutenir les Locataires et Ménages en Situation de Vulnérabilité

  • Proposer une recommandation du Conseil sur la lutte contre l'exclusion liée au logement.
  • Mobiliser de nouveaux investissements dans le logement social et les solutions axées sur le logement pour les sans-abris.

 

Cette initiative s’inscrit dans une mobilisation européenne plus large. Le Parlement européen a créé une commission spéciale dédiée, chargée de formuler des propositions concrètes attendues début 2026. Quinze maires de grandes métropoles comme Paris, Athènes, Barcelone et Varsovie ont présenté leur propre Plan d'action européen pour le logement, appelant notamment à la création d’un fonds européen dédié. Et pour la première fois, les chefs d’État et de gouvernement ont inscrit la crise du logement à l’agenda d’un Conseil européen en octobre. Un sommet européen spécifiquement consacré au logement est prévu à la mi-2026.

Une boîte à outils européenne au service des politiques nationales et territoriales 

Le plan repose sur un paradoxe assumé : le logement n’est pas une compétence de l’Union, mais relève des États membres, des régions et des villes. La Commission ne définit ni les standards, ni les règles d’attribution, ni la régulation des loyers. Le Plan respecte explicitement l’architecture des compétences européennes et ne crée pas une politique européenne du logement ; mais il crée pour la première fois une méthode européenne. La Commission veut orienter, coordonner et amplifier l’action des Etats et des territoires face à une crise devenue systémique. En revanche, cela signifie que l’efficacité du Plan dépendra largement de sa mise en œuvre au niveau national.

L'Union européenne peut jouer un rôle moteur d'appui et de coordination

La Commission estime que plus de deux millions de logements supplémentaires par an seraient nécessaires pour répondre à la demande actuelle, pour un coût annuel d’environ 150 milliards d’euros. Dans le cadre budgétaire actuel, l’UE mobilise déjà près de 43 milliards d’euros pour des investissements liés au logement, via les fonds de la politique de cohésion, InvestEU et NextGenerationEU. Ces financements constituent un levier essentiel pour soutenir les projets les plus urgents.
À court terme, la révision à mi-parcours de la politique de cohésion permet désormais aux États membres et aux régions d'allouer des financements supplémentaires pour le logement abordable, en plus des 10 milliards d'euros déjà prévus pour l'efficacité énergétique et le logement social.
À moyen terme, même s’il est trop tôt pour que la Commission annonce de nouveaux financements - les négociations du prochain budget de l’UE (2028–2034) débutant à peine - le logement social et abordable est désormais identifié comme objectif spécifique dans les orientations du futur budget européen, que ce soit au sein des plans de partenariat nationaux et régionaux, de la future EU Facility ou du Fonds européen pour la compétitivité (qui comprend des instruments tels qu’InvestEU). Ces instruments financiers seront déterminants pour accélérer les projets et mobiliser le capital privé nécessaire pour répondre au défi de la crise du logement.

Les banques et institutions de promotion nationales et régionales, piliers de la mise en œuvre

Comme le souligne la brochure collective des Associations Européennes des Investisseurs à Long Terme (ELTI) et des Banques Publiques (EAPB), les banques et institutions publiques nationales (NPBIs), telles que la Caisse des Dépôts (CDC), sont des acteurs indispensables dans le paysage du financement du logement en Europe. D’une manière propre à chaque pays, et en réponse aux besoins territoriaux, leur rôle est multiple et leur impact massif. 

Le Plan de la Commission reconnaît pleinement ce rôle majeur en citant à de multiples reprises les banques et institutions nationales de promotion comme un rouage essentielle de la mise en œuvre des politiques ambitieuses en matière de logement.  En lien avec l’annonce du Plan, les associations européennes des NPBI, l’Association européenne des investisseurs de long terme (ELTI) et l’Association européenne des banques publiques (EAPB), ont annoncé leur intention de financer à hauteur de 375 milliards d'euros d'ici 2029 pour promouvoir le logement abordable, social et durable en Europe (Communiqué de Presse)

Comme annoncé dans le Plan, la Commission prévoit le lancement d’une Plateforme d’investissement paneuropéenne dédiée au logement abordable, conçue comme un portail en ligne en partenariat avec les NPBI. Elle visera à recenser les opportunités de financement aux niveaux européen, national et régional, à faciliter l’accès aux instruments européens sous gestion indirecte et à renforcer la coordination entre les instruments de l’UE et les institutions publiques de promotion.
Le Plan reconnaît explicitement le rôle central des NPBI, non seulement comme financeurs, mais comme partenaires de mise en œuvre capables de transformer les ressources européennes en impact concret – notamment grâce à leur capacité d’accompagnement des porteurs de projets, leurs liens étroits avec les opérateurs de logement social et abordable et leur connaissance des contextes territoriaux.

Reconnaissance du rôle clé des NPBI : Un capital patient pour des projets essentiels, un ancrage territorial pour une réponse sur mesure… 

Les NPBIs constituent l’infrastructure discrète mais essentielle de la politique du logement. Présentes dans les territoires, capables de financer le très long terme, expertes dans la structuration de projets complexes, elles peuvent investir dans des opérations à faible rentabilité mais à forte utilité sociale et environnementale. Elles apportent ce que le marché ne fournit pas toujours : du capital patient, de l’ingénierie financière et un accompagnement de proximité. Elles jouent également un rôle clé d’assistance technique, en aidant les acteurs locaux à concevoir, structurer et mettre en œuvre leurs projets.

…et des catalyseurs des financements européens

Mais leur rôle est double : elles agissent également comme de puissants catalyseurs des financements européens en déployant les instruments de l’UE au plus près des besoins locaux. Les modèles de financement des NPBI varient selon les pays, qu’il s’agisse du fonds de fonds de la Cassa Depositi e Prestiti (CDP) en Italie ou des programmes de prêts (via le « on-lending ») de la KfW en Allemagne, mais la logique est la même : maximiser l’effet de levier des fonds européens et nationaux.

Dans ce contexte, le Plan de la Commission souligne le rôle des instruments financiers pour augmenter les effets de levier, notamment les schémas de « blending » qui permettent d’associer efficacement les subventions européennes et les financements à long terme apportés par les institutions de promotion. 

Le modèle français, une source d’inspiration européenne

Le logement social existe partout en Europe, mais la France se distingue par l’ampleur de son parc et par un système de financement de long terme robuste, au rôle contracyclique reconnu. Depuis plus d’un siècle, la CDC finance les bailleurs sociaux grâce aux ressources issues de l’épargne réglementée, transformées en prêts très longs, jusqu’à 80 ans pour le foncier et 50 ans pour le bâti. Ce modèle permet de sécuriser les investissements et de rendre les projets viables sur le long terme.
Ce modèle national, ancré dans la souveraineté nationale, est fortement intégré dans la sphère européenne et renforcé par l’Alliance européenne pour un logement social, durable et inclusif, mise en place en 2020. Elle réunit la Caisse des Dépôts, la Banque Européenne d’Investissement (BEI), la Banque de développement du Conseil de l’Europe (CEB) et l’Union sociale pour l’habitat (USH), et vise à simplifier l’accès des bailleurs sociaux français aux financements européens. La Banque des Territoires y joue un rôle de guichet unique, mobilisant les ressources européennes au bénéfice de projets locaux, quels que soient leur taille ou leur localisation.
Grâce à son réseau de 37 implantations locales, la Banque des Territoires est en mesure d’acheminer les financements européens jusqu’au « dernier kilomètre ». Elle agit à la fois comme financeur et comme catalyseur des fonds européens, notamment via le FEDER et InvestEU. Les opérations de rénovation énergétique des logements sociaux, combinant prêts de la Banque des Territoires, financements de la BEI et subventions européennes, illustrent concrètement ce modèle d’intervention coordonnée. 
Cette approche coordonnée offre un modèle d’intervention efficace au service du secteur qui permet d’articuler au mieux les différents dispositifs pour répondre aux besoins dans les territoires, devenant un modèle de réussite en Europe. De plus, il s’agit d’une alliance dynamique – en septembre, la Banque Européenne d’Investissement et la Banque des Territoires ont annoncé une nouvelle enveloppe de prêt pour accroître l’offre de financements en faveur de la construction de logements intermédiaires en France.


L’alliance européenne pour un logement social durable et inclusif

©Banque des Territoires

Pour résumer, la réponse européenne à la crise du logement doit reposer sur des solutions sur mesure, portées par les territoires, soutenues par les ressources européennes et structurées par les NPBI. C’est dans cette logique d’architecture ouverte que le Plan européen pour le logement abordable trouve toute sa cohérence et son potentiel d’impact. Le Plan ne sera jugé ni sur ses intentions ni sur ses annonces, mais sur sa capacité à produire des logements abordables et durables dans les territoires. À condition d’assumer pleinement une « architecture ouverte », de renforcer les effets de levier financiers et de s’appuyer sur les partenaires de mise en œuvre, il peut être la réponse tant attendue à une crise européenne majeure.

[1]Source : https://ec.europa.eu/eurostat/web/interactive-publications/housing-2025
[2]Source : Eurostat

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