Startups et Naturetech : les investissements sont-ils à la hauteur de la crise de la biodiversité ?
Depuis l'adoption du Global Biodiversity Framework (GBF) en décembre 2022, une vague réglementaire initiée par l'Union européenne a mené à la création de nouveaux marchés de la biodiversité. Ces marchés sont investis par un écosystème naissant de startups prêtes à accélérer le développement de technologies de mesure, de restauration ou de valorisation de la nature.
CDC Biodiversité et son partenaire Motherbase analysent ce phénomène depuis près d'un an dans le cadre de leur initiative conjointe, le NatureTech Observatory.
De la vague réglementaire à une industrialisation des technologies ?
Depuis l'adoption du Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal en décembre 2022, les États sont confrontés à des exigences accrues en matière de restauration écologique, les institutions financières et les entreprises à celles de transparence sur leurs risques et impacts et de mobilisation de financements en faveur du vivant. Dans l'Union européenne, le vote du règlement sur la Restauration de la Nature, le 18 août 2024, oblige désormais les États membres à restaurer au moins 20 % des zones terrestres et marines d'ici 2030, et l'ensemble des écosystèmes endommagés d'ici 2050. Par ailleurs, malgré l'adoption d'un package Omnibus réduisant sa portée, la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) a définitivement entériné la nécessité pour les entreprises de reporter leurs impacts et leurs dépendances vis-à-vis des écosystèmes et des services qu'ils prodiguent.
L'ampleur de la tâche oblige les acteurs de la biodiversité à changer d'échelle et pourrait massifier le recours à des solutions technologiques capables d'améliorer la mesure, le suivi, la réduction et la restauration des impacts sur la biodiversité. La CSRD concernera à terme plus de 50 000 entreprises au sein de l'UE, tandis que plus de 259 000 km² devront être restaurés dans les cinq prochaines années, soit l'équivalent de 8,5 fois la superficie de la Belgique. Ce contexte réglementaire organise l'émergence de nouveaux marchés : les promesses de produits financiers innovants, comme les crédits biodiversité, suscitent l'intérêt progressif des investisseurs, alors que le volume total d'échanges pourrait atteindre un milliard de dollars d'ici 2030 selon le Forum économique mondial (2023).
Un écosystème privé de startups et de fonds pionniers se déploie peu à peu pour accélérer et déployer, à des échelles inédites, des approches parfois difficilement réductibles à un processus standardisé. Les écosystèmes, après tout, sont par essence changeants, profondément différents dans leurs fonctionnements et leurs structurations. Comment voir, entendre et comprendre mieux et plus vite ce qui relève souvent du caché, de l'inaudible, de la lente et complexe interaction des espèces et des espaces ?
Repérer et observer un écosystème naissant
Ces difficultés ne semblent pas effrayer les fondateurs des plus de 1 000 startups qui ont été recensées dans le cadre du NatureTech Observatoryl. Cette initiative repose sur l'expertise croisée de CDC Biodiversité, filiale du Groupe CDC et pure player de la biodiversité, et de Motherbase, fournisseur de données expert des solutions early-stage. Elles ont conjointement développé une taxonomie classifiant les technologies en fonction de quatre grands critères : les facteurs de pression tels que définis par l'IPBES, les grandes verticales technologiques, la hiérarchie d'atténuation (mitigation hierarchy) et le degré de proximité avec les enjeux de biodiversité. C'est ensuite en fonction de ces grandes catégories que les algorithmes LLM de Motherbase ont été utilisés pour repérer et classifier des startups développant des solutions potentiellement favorables à la lutte contre la crise de la biodiversité.
Figure : Définir l’écosystème NatureTECH à partir d’une Taxonomie
©CDC Biodiversité
La base de données ainsi constituée est désormais accessible en ligne et recense plus de 1 000 startups. Elle sert un double objectif : rendre identifiables les solutions innovantes et les valoriser auprès d’investisseurs, tout en objectivant les dynamiques de cet écosystème NatureTech émergeant par l'analyse d'attributs clés, tels que les levées de fonds, la progression de la visibilité sur LinkedIn ou le nombre d'employés. Cet ensemble se structure rapidement : en décembre 2024, ces startups avaient levé près de 9,1 milliards de dollars et sont, chaque année, plus nombreuses. La France est d'ailleurs une véritable pépinière : c'est le pays comptant le plus grand nombre de nouvelles NatureTechs depuis 2022.
Des marchés qui se structurent
Si ces startups forment un ensemble hétérogène, où spécialistes de l'agriculture et des biopesticides côtoient des passionnés d'océans et d'imagerie satellite, on repère rapidement quelques grandes tendances :
- La collecte et le traitement d'informations (Monitoring, Reporting and Verification, MRV en anglais) sont au cœur du modèle économique d'au moins 322 startups. Ces dernières s'appuient à la fois sur l'émergence de l'intelligence artificielle, qui facilite le traitement de données complexes et hétérogènes, et sur l'accélération des technologies de terrain comme l'ADN environnemental (eDNA) ou la bioacoustique. Ces solutions permettent de couvrir à la fois les enjeux de reporting soulevés par la COP15 et, dans le même temps, d'assurer à l'échelle des projets la transparence et l'intégrité désormais attendues par les investisseurs.
- Les solutions fortement orientées biodiversité, comme la restauration des écosystèmes ou la levée d'impacts directs (pesticides, pollution plastique, lutte contre les espèces exotiques envahissantes), bénéficient d'un intérêt croissant. Elles passent ainsi de moins de 10 millions de dollars levés en 2022 à près de 70 millions en 2023, avant une stabilisation à un niveau légèrement inférieur en 2024. Ces financements sont majoritairement portés par des tours de financement seed ou pre-seed, cohérents avec la jeunesse du secteur. Par ailleurs, les startups très liées aux enjeux de biodiversité ne captent encore que 3,5 % du total des montants investis dans l'écosystème NatureTech (soit 326 millions de dollars), révélant un potentiel de croissance important.
- Des marchés de plus en plus visibles : la visibilité médiatique progresse rapidement, ce qui peut constituer un indicateur avancé de futurs flux d'investissement. Le nombre total d'abonnés LinkedIn des startups référencées passe ainsi de 1,3 million début 2023 à 4,1 millions fin 2024, soit une multiplication par plus de trois en deux ans. Les solutions très spécialisées dans la biodiversité enregistrent une progression encore plus marquée, avec une augmentation de 423 % de leur audience sur la même période, et des pics correspondant aux grands événements du secteur, comme les COP climat ou biodiversité.
Si la progression de l'investissement dans ces marchés émergents est certaine, elle reste toutefois trop timide au regard des enjeux : les investissements totaux dans les startups NatureTech (9,07 milliards de dollars dans le monde à date en décembre 2024) sont inférieurs aux levées de fonds des startups françaises de l'IA sur la seule année 2025 (13 milliards de dollars, France Digitale, 2025).
Quels drivers pour cette économie encore confidentielle ?
Alors qu'il ne reste plus que cinq ans pour atteindre les objectifs fixés par le GBF – restaurer 30 % des terres et des mers et augmenter les financements en faveur de la biodiversité jusqu'à 30 milliards de dollars par an –, il devient urgent de concrétiser les promesses des grands rendez-vous internationaux et de consolider des marchés émergents dont la vitalité permettra d’adresser directement la lutte contre la crise de la biodiversité et la course contre l'épuisement des limites planétaires.
Le dynamisme de l'écosystème NatureTech, observable à travers la multiplication des startups et l'augmentation progressive des investissements, témoigne d'une prise de conscience collective et d'une volonté d'agir. En France, l’écosystème NatureTech se structure, 17% des fonds levés au total dans le monde l’ont été par des startups françaises et des fonds spécialisés voient le jour, comme le fonds Objectif Biodiversité initié notamment par CNP et la Caisse des Dépôts, qui vise une taille cible de 150 millions d’euros à son lancement.
Pourtant, l'écart entre les besoins et les moyens déployés reste considérable. Pour accélérer cette transition, plusieurs leviers doivent être activés simultanément : renforcer les mécanismes de financement publics et privés, développer des standards de mesure et de reporting communs pour faciliter la comparabilité et la crédibilité des solutions, et encourager la collaboration entre les acteurs technologiques, les scientifiques et les porteurs de projets de restauration sur le terrain. Au-delà des chiffres et des tendances, c'est bien l'avenir de la capacité collective à préserver et restaurer le vivant qui se joue dans cette décennie critique. L'innovation technologique, couplée à une volonté politique forte et à des financements à la hauteur des enjeux, peut transformer ces défis en opportunités pour la régénération des écosystèmes.
Le NatureTech Observatory continue de suivre et d'analyser ces évolutions à travers la publication de briefs réguliers. Les deux premières publications portent sur l’impact des COPs sur l’investissement et les technologies de restauration des écosystèmes, et sont disponibles sur le site internet de CDC Biodiversité.
A lire pour approfondir :
©CDC Biodiversité
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Brief #1 – Surfing the regulatory wave
Quels sont les impacts des COPs biodiversité et des avancées réglementaires sur les solutions naturetech ? Cette note apporte des éléments de réponse chiffrés grâce à la base de données du Naturetech Observatory, qui recense près de 1000 startups qui ont développé des solutions pour atteindre les grands objectifs du Global Biodiversity Framework.
Brief #2 – How much Tech do we need to restore Nature?
Jusqu’où les innovations technologiques peuvent-elles changer la donne dans la lutte contre la crise de la biodiversité ? Cette note explore le rôle des technologies dans les projets de restauration : doivent-elles améliorer la qualité écologique ou seulement la mesurer ? Nous examinons également les différents modèles de financement, notamment les crédits biodiversité, et identifions les marchés sur lesquels ces solutions NatureTech seront déployées.