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Un homme travaille à la maintenance d'un avion de l'armée française dans un atelier.
Un homme travaille à la maintenance d'un avion de l'armée française dans un atelier.

©Jean Claude MOSCHETTI / REA

Investir dans la défense pour armer la souveraineté

  • Industrie

La France – comme les pays de l’OTAN – a engagé depuis quelques années un effort important de réarmement, pour soutenir l’effort de guerre ukrainien mais aussi pour répondre à ses propres besoins stratégiques.

Le tour de la question

L’évolution des besoins en termes de défense s’inscrit dans un contexte géopolitique marqué par le retour des logiques de puissance, la montée des tensions et les incertitudes sur l’implication de l’allié américain. Cette nouvelle donne nécessite un renforcement des capacités de production et un appui plus marqué que précédemment à l’innovation dans le secteur de la défense en France et en Europe, qui passe notamment par un renforcement des financements.

Face à un contexte géopolitique dégradé depuis une quinzaine d’années, les dépenses militaires n’ont cessé d’augmenter au niveau mondial, progressant par exemple de 9,4% entre les seules années 2023 et 2024. Les exportations d’armes sont en hausse de 15% sur la période 2010-2025 (SCET, Les dividendes du réarmement). L’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022 a marqué un important coup d’accélérateur : les Européens ont augmenté de 37% leur effort de défense entre 2021 et 2024, et  presque doublé leurs importations d’armes – essentiellement en provenances des Etats-Unis - entre 2019 et 2023.

C’est un changement de cap radical pour les pays européens qui avaient plutôt tendance depuis la fin des années 1990 à réduire drastiquement leurs dépenses militaires, tombées de 3% du PIB à la fin de la Guerre Froide à 1,3% début 2022, et à faire évoluer leurs armées vers des formats d’armées professionnelles réduites, à vocation expéditionnaire.

Soutenir « l’économie de guerre »

Le passage à une « économie de guerre », annoncé par le président de la République Emmanuel Macron en 2022, implique pour les industriels nationaux de se mettre en capacité de produire plus, plus vite, à la demande et dans la durée. Mettre en place une économie de guerre consiste à mobiliser les industries nationales telles que Thalès, Safran, Dassault aviation, MBDA, Nexter, Naval Group, etc. 

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Le Ministère des Armées affiche d’ailleurs aujourd’hui l’objectif d’« être capable d’assurer un effort dans la durée en cas de nécessité pour nos armées ou au profit d’un partenaire ». La France, dans une situation budgétaire tendue, explore de nouvelles pistes pour financer cet effort tout en ne déséquilibrant pas trop ses finances publiques.

Afin de monter en puissance, la Loi de programmation militaire 2024-2030 (LPM), adoptée en 2023, prévoit de consacrer 413,3 milliards d’euros aux armées en 7 ans, soit une hausse de 40% par rapport à la LPM précédente. Objectif annoncé : permettre à la France de faire face aux nouvelles menaces, de maintenir son rang parmi les premières puissances mondiales, et de garantir la crédibilité de la dissuasion française dans la durée. 

Une femme travaille dans les ateliers de MC2 Technologies à Villeneuve-d'Ascq
Une femme travaille dans les ateliers de MC2 Technologies à Villeneuve-d'Ascq

©SAMEER AL-DOUMY / AFP - 2025

Dans les ateliers de MC2 Technologies à Villeneuve-d'Ascq, en 2025.

Des dépenses pour assurer la défense

Dans cette période budgétaire contrainte, le quasi doublement du budget est justifié par un contexte de tensions internationales, avec la menace russe aux portes de l’Europe, le conflit au Moyen-Orient, ou encore les attaques des Houthis impactant le commerce maritime dans le Golfe d’Aden.  En résumé, la France a fait le choix d'augmenter ses dépenses militaires pour être en mesure de répondre aux différentes formes de menaces.

Les pays membres de l'Otan souhaitent désormais consacrer 3,5 % de leur produit intérieur brut (PIB) aux dépenses militaires d'ici 2035. Cela suppose pour la France, qui y consacre actuellement 2 points de PIB, une augmentation du volume d’achat dans la défense de 31 Md€ d'ici à 2030. Cet effort génèrera pour les entreprises concernées un besoin de financement de 15 Md€, dont 5 Md€ de fonds propres et 10 Md€ de dette, pour moderniser l’outil de production, renforcer ses capacités et soutenir l’important effort de R&D nécessaire. 

Davantage de pays européens vont augmenter leurs dépenses de défense. 

Mark Rutte secrétaire général de l'Otan (mars 2025)

La Loi de programmation militaire française 2024-2030

©Caisse des Dépôts

La France doit répondre à ses propres besoins de modernisation des équipements, tout en honorant sa place de deuxième exportateur mondial. La hausse des exportations tricolores est notamment portée par le succès du Rafale auprès de l'Inde, du Qatar et de l'Egypte. De 2019 à 2023, la France a exporté 94 avions de chasse de Dassault Aviation, pesant pour le tiers des exportations. 37% du chiffre d’affaires du secteur est réalisé à l’export, qui constitue une condition de sa viabilité. Aujourd’hui cependant, la majorité des exportations tricolores se fait hors de l’Union européenne... 

Le réarmement est donc une chance autant qu’un défi pour l’industrie.  Outre les équipements visibles et emblématiques de la défense (avions, chars, navires de guerre…), ce mouvement entraîne une multitude d’activités et de services, impliquant : 

  • Les sous-traitants industriels, dans des secteurs tels que la motorisation, l’électronique, la mécanique, le transport, etc. ;
  • Les acteurs du digital, de la cybersécurité et de l’intelligence artificielle ;
  • Les sociétés de services (communication, maintenance).
     

©Jean-Claude MOSCHETTI / REA

Dans un atelier de maintenance d'avion de l'armée française de Sabena Technics, entreprise de maintenance aéronautique civile et militaire.

D’ici à 2035, entre 570 000 et 800 000 emplois directs, indirects et induits par ces dépenses militaires pourraient être créés en France (Étude SCET,  Les dividendes du réarmement), avec un impact économique d’autant plus important pour le pays et l’effort de réindustrialisation en cours que l’essentiel de la chaîne de valeur  est locale et que le multiplicateur des investissements de défense (leur effet levier) est sans équivalent dans d’autres secteurs.   

Avec l’augmentation des commandes à venir, nos infrastructures et nos capacités industrielles ont-elles réellement l’envergure nécessaire ? La base industrielle et technologique de défense (BITD) est déjà sous tension, à 91% de son taux d’utilisation. Sans investissement massif, il paraît difficile d’envisager d’augmenter les cadences. Pour financer une augmentation des carnets de commande d’environ 17,5 Md€ d’ici 2030 telle que le prévoit la loi de programmation militaire, on estime que les PME et ETI de la BITD auront a minima un besoin supplémentaire de 1 à 3 Md€ de fonds propres pour les cinq prochaines années (Source : Ministère de la Défense).

Qui sont les entreprises de la BITD ?

©Caisse des Dépôts

Réduire la dépendance aux Etats-Unis

Cette nouvelle orientation vers l’établissement d’une défense plus nationale s’explique, entre autres, par une dépendance historique de l’Union Européenne dans ce domaine. Le niveau de dépendance européen dans l’importation d’armes étatsuniennes n’a en effet jamais été aussi élevé.

Et cette hausse n'est pas seulement due aux besoins en armes et munitions de l'Ukraine... Les États-Unis bénéficient largement du sursaut d'investissements européens dans du matériel très coûteux de type hélicoptères de combat ou avions de chasse F-35, conçus par Lockheed Martin. 

Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles les États européens membres de l’OTAN importent des armes en provenance des États-Unis, notamment l’objectif de maintenir des relations transatlantiques ainsi que des questions plus techniques, militaires et liées aux coûts. Si les relations transatlantiques venaient à changer dans les années à venir, les politiques d’acquisition d’armes des États européens pourraient également changer. 

Dan Smith directeur du Stockholm international peace institute (Sipri)

Plus de la moitié (55 %) des importations d’armes par les Etats européens provenaient des USA entre 2019 et 2023 (contre 35% entre 2014 et 2019), selon le Stockholm international peace institute (Sirpi).

 

©Sébastien ORTOLA - REA - Caisse des Dépôts - 2021

Soutien de l’OTAN, bouclier nucléaire américain... les atouts de l’Oncle Sam sont nombreux ! La France se tient quant à elle plus en retrait, car elle a développé un modèle quasiment complet de BITD qui lui permet une importante autonomie, avec notamment son propre avion de chasse, le Rafale de Dassault. Les dirigeants français restent pour la plupart fidèles à la ligne du Général de Gaulle en affirmant que la défense européenne doit rester en Europe

Le changement de stratégie américain avec le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, qui n'a de cesse de prendre ses distances avec l’Alliance atlantique, a eu pour mérite de remobiliser les Européens sur la question de la défense, leur faisant prendre conscience de leurs faiblesses. Cette nouvelle donne relative – le « tournant » américain vers l’Asie remonte au moins à Obama, leur exigence d’un « partage du fardeau » otanien bien plus loin encore - a permis d’engager les discussions pour une plus grande autonomie stratégique, entre autres, en matière d’armement 
 

L’Europe n’a pas de défense partagée et paie plus de 20 ans de non-collaboration dans ce domaine. Chaque pays a développé sa propre industrie, ce qui le rend forcément moins compétitif que les géants américains... Dans de nombreux domaines, les pays européens se font même concurrence entre eux ou n’arrivent pas à s’entendre, comme en témoignent les tensions actuelles entre la France (avec Dassault) et l’Allemagne (avec Airbus) pour le projet SCAF d’avion de chasse de 6e génération !

L’A400M Atlas, un exemple de réussite européen

Cet avion de transport militaire incarne une vision politique et industrielle, celle d’une Europe capable de concevoir et de produire un cargo militaire polyvalent et de classe mondiale. Entre l’origine du projet dans les années 1980 et le premier vol, qui a eu lieu en 2009, pas moins de 20 ans se sont écoulés, illustrant bien les difficultés de cette coopération ! Il a été porté par sept pays européens. Une centaine d’appareils ont été produits à ce jour. 

La nouvelle physionomie du champ de bataille

L’évolution des technologies a rendu le champ de bataille transparent, par la multiplication des moyens de capter l’information. « Imagerie, acoustique, capteurs électromagnétiques, toutes ces données sont centralisées et peuvent être exploitées : il devient donc difficile de dissimuler ou de tromper son adversaire sur ses intentions », expliquait le général de corps d’armée Bruno Baratz en septembre 2025 lors de l’événement Big, rassemblement d’entrepreneurs orchestré par Bpifrance. « Dans l’armée, on utilise de plus en plus de systèmes civils pour transmettre nos données. La connectivité nous permet d’aller plus vite. Il faut pouvoir transférer les bonnes données à ceux qui en ont besoin », afin qu’ils les analysent et puissent prendre rapidement les bonnes décisions.

Symboliques de cette nouvelle manière de faire la guerre, les drones peuvent être pilotés à distance, pour des missions de surveillance mais aussi des attaques ciblées ou pour brouiller des communications. En outre, les combats ont migré vers les espaces communs que sont l’espace, la haute mer et le cyberespace, devenus de nouveaux champs de rivalité stratégique. La ministre des Armées et des Anciens combattants a d’ailleurs annoncé vouloir faire monter le secteur en puissance sur des sujets précis, tels que la dronisation, la guerre électronique ou les sujets concernant l’espace.

Le ministère des Armées a par ailleurs inauguré en septembre 2025 un supercalculateur classifié dédié à l’intelligence artificielle, doté de la plus importante capacité de calcul en Europe. Avec ses 1024 puces, non connecté à internet, il est exploité par l’Agence ministérielle pour l’intelligence artificielle de défense (Amiad), et doit permettre à la France de traité souverainement ses données.

©Brigitte Hase - Union européenne - 2021

“Aux armes, dirigeants ? ” : les entreprises prêtes à soutenir l'effort de défense

Selon une étude du Lab de Bpifrance d’octobre 2025, près d’une entreprise sur deux (PME, ETI, start-up) souhaite se développer dans la défense, que ce soit par opportunité (aéronautique, spatial, optique) ou par nécessité (chimie, automobile, métallurgie). Les secteurs les plus attractifs sont l’ingénierie, l’industrie et la communication (radar, optique).

Les cycles de production longs et les délais de paiement exigent cependant une santé financière solide. L’étude révèle d’ailleurs que 37 % des entreprises spécialisées en défense rencontrent des problèmes de trésorerie, un quart d’entre elles ont du mal à obtenir des prêts bancaires et 20 % peinent à lever des fonds.  Par ailleurs, les nouveaux acteurs éprouvent des difficultés à se faire référencer par les donneurs d’ordre, étape clé pour répondre aux appels d’offres ou envisager d’éventuels partenariats. Pour soutenir cet effort de défense, des innovations sur le plan financier sont nécessaires afin de mobiliser efficacement les entreprises.

Autre enseignement de l’étude, il est parfois plus facile de vendre à l’international, qu’en France ! Les start-ups opérant dans la défense réalisent en effet plus de 20 % de leur chiffre d’affaires en dehors des frontières nationales, confirmant la bonne santé de l’export dans le secteur.

Source : Étude Bpifrance Le Lab 
[Méthodologie : Enquête auprès de 1 700 entreprises hors périmètre BITD, incluant celles avec au moins 1 € de CA dans la défense ou issues de secteurs connexes.]

En action !

La souveraineté, une priorité stratégique

La nouvelle doctrine sectorielle du groupe Caisse des Dépôts en matière de défense, adoptée en mars 2025, s’inscrit dans la droite ligne des priorités d’actions du Groupe et est conforme à sa stratégie en appui des politiques publiques. Elle fixe le cadre de son action et marque une nouvelle étape dans la mobilisation en faveur de ce secteur stratégique. Enfin, elle respecte le cadre de la finance durable. Toutes les filiales et participations stratégiques du Groupe sont mobilisées, dans une logique de complémentarité et de diversification des outils de financement.

La nécessité de renforcer nos moyens de défense face aux menaces, tout en conservant notre autonomie stratégique, est devenue une priorité nationale mais aussi européenne. Investir dans la défense, c’est investir dans la stabilité, la sécurité et la préservation de nos valeurs communes.

Olivier Sichel Directeur général du groupe Caisse des Dépôts

Afin d’accompagner les industriels dans leur montée en puissance, un dialogue a été initié en mars 2025 par le ministre de l’Economie de l’époque, Eric Lombard, qui a réuni l’ensemble de la Place financière ainsi que des représentants de l’industrie de la défense. Il s’agissait de clarifier la compatibilité du financement de l’industrie de défense par les banques, assureurs et institutions, avec la doctrine ESG (environnementale, sociale et gouvernance), permettant d’investir dans des projets de défense.

Ce dialogue de place a permis aux grands groupes bancaires français de réviser leurs politiques sectorielles, affirmant leur soutien explicite à la BITD et substituant à la notion ambiguë d'« armes controversées » celle d'« armes interdites », plus précise juridiquement. Dans le secteur de la défense comme les autres, le soutien du groupe Caisse des Dépôts aux entreprises et aux projets s’effectue dans le strict respect des règles définies par la loi française. A ce titre, elle prohibe tout type d’armement que la France s’est engagée à interdire.

Unir nos forces

Le groupe Caisse des Dépôts a organisé sa « Mission défense », une communauté d’échange et de coopérations qui partage les informations sur le secteur, ses besoins, ses acteurs, et pourra conduire à développer les coopérations entre différentes entités du Groupe. Objectifs : coordonner les offres du Groupe, créer de nouvelles synergies entre les filiales et faciliter les investissements en matière de défense.

©Jair Lanes - Caisse des Dépôts - 2025

Mieux répondre aux besoins actuels

Si l’augmentation des commandes en matière de défense semble être devant nous, les besoins ont évolué. La guerre en Ukraine a mis en évidence le fait que l’outil militaire français était auparavant plutôt concentré sur une logique d’opérations lointaines et de forces spéciales avec des effectifs et des quantités limitées. Dans une logique de flux tendus qui répondait aussi à des questions budgétaires, les stocks étaient limités. 

L’industrie doit désormais se transformer pour pouvoir produire rapidement quand le besoin sera là. En d’autres termes, il est inutile de constituer des stocks de drones dont on n’aurait pas besoin immédiatement et dont la technologie serait dépassée au moment de les utiliser ; mais il faudra pouvoir monter en puissance au moment où ces drones seront réclamés. Cela suppose aussi de stocker des matières premières, et cela a un coût pour les entreprises. Le groupe Caisse des Dépôts peut accompagner les entreprises dans cette transformation, notamment via des dispositifs de financement de la Banque des Territoires.

L’industrie monte au front

Renforcer et accélérer le développement de la BITD française est essentiel pour garantir la souveraineté nationale. Or, comme vu précédemment, les entreprises du secteur souffrent de graves difficultés de financement. Le Groupe et ses filiales déploient des solutions de financement, d’investissement et de conseil aux entreprises afin d’améliorer la compétitivité et la résilience de l’industrie de défense française

Les grandes entreprises de défense dans lesquelles le Groupe investit sont pour la plupart “duales” (comme Safran, Thales ou Dassault par exemple), ce qui rejoint ses objectifs en matière de souveraineté technologique. Il faut favoriser la montée en puissance des productions duales dans les PME, dont 20% du chiffre d’affaires provient de la défense.

Souverainetés : une mini-série qui bouscule les idées reçues

©Caisse des Dépôts

Le mode dual – c’est-à-dire le fait de travailler à la fois pour l’industrie civile et celle de défense – est un modèle économique qui peut aider les entreprises à rester viables. Pour une stratégie raisonnée de diversification vers la défense, les PME, ETI et start-up doivent veiller à maintenir suffisamment d'activités civiles et explorer les débouchés à l'export. Se tourner vers la défense peut permettre de s’adapter à une situation économique fluctuante. Le secteur automobile par exemple, pourrait utiliser ses compétences, notamment celles de ses chaudronniers, pour appuyer les capacités militaires – cela peut les aider à maintenir le cap lors de périodes de baisse des ventes de voitures neuves, mais suppose tout de même des investissements.

La plupart des fonds poussent les BITD à investir dans le civil, c’est un facteur de résilience pour consolider leurs revenus.

Olivier Mareuse Directeur général adjoint, directeur des gestions d’actifs et du Fonds d’épargne et pilote de la Mission défense de la Caisse des Dépôts

Zoom sur... des drones mi-civils mi-défense

Les drones Delair planent sur l'industrie civile et celle de la défense

Durée 3 minutes

©Delair

L'entreprise Delair, implantée près de Toulouse, fabrique depuis 15 ans des drones professionnels. Il y a quelques années encore, l'essentiel des appareils était vendu dans le secteur civil, pour inspecter ou surveiller des canalisations de longue distance notamment. Mais l'évolution des besoins dans le secteur de la défense a conduit l'entreprise à s'adapter à un nouveau marché.

Quels dispositifs pour financer la défense ?

Les outils sont là : le financement de l’effort de défense peut se faire avec les instruments existants. Le groupe Caisse des Dépôts, avec une exposition de plus de 40 Md€, est déjà un acteur clé de l’écosystème national de défense, qui comprend le ministère des Armées et des Anciens combattants, la BITD et l'ensemble des entreprises du secteur privé et du milieu universitaire qui créent et renforcent l'avantage technologique nos forces.

Au sein de l’établissement public, la Direction des Gestions d’Actifs est ainsi exposée à hauteur de plus de 5 Md€ au secteur, dont près de 4 Md€ directement en actions cotés. Le Groupe a joué un rôle considérable dans le développement d’une nouvelle génération de fonds spécialisés, qui faisaient défaut jusque-là, investissant dans le fonds Eiréné de Weinberg Capital, le fonds Aérospatiale de Tikehau, le fonds de dette Hephaïstos de Sienna et, dernièrement, dans le fonds de place spécialisé que lance la SICAV de place Emergence, dont elle est le principal promoteur et souscripteur. La Banque Postale, pour sa part, a porté son enveloppe sectorielle à 1,2 Md€ afin de répondre aux besoins croissants de ces entreprises.
 

Le Groupe apporte par ailleurs son soutien – majeur – à l’export de défense, essentiel pour la filière. Bpifrance porte ainsi près de 30 Md€ d’engagement en assurance-crédit à l’export, tandis que la Sfil, acteur majeur du refinancement des grands crédits export, poursuit dans ce domaine son action au service de la compétitivité internationale de l’industrie française.

L’augmentation de l’investissement dans la défense doit permettre aux industriels d’augmenter la capacité de production du pays. Certaines opérations de rapprochement dans le secteur pourraient aussi être utiles. 

Olivier Mareuse Directeur général adjoint, directeur des gestions d’actifs et du Fonds d’épargne et pilote de la Mission défense de la Caisse des Dépôts

Bpifrance participe déjà activement au soutien des entreprises de la BITD via l’ensemble de ses outils d’intervention, que cela soit en fonds propres, en prêts, en soutien à l’innovation, en accompagnement ou en appui à l’export. Ainsi, la banque publique d’investissement est au capital de plus d’une trentaine d’entreprises du secteur de la défense, comme Chapsvision (cyber intelligence), Exosens (technologies d'amplification, de détection et d'imagerie), MC2 Technologies (hyperfréquences pour des applications de sureté et de sécurité) ou encore Sabena Technics (maintenance aéronautique). Bpifrance les accompagne tant sur des enjeux structurels que sur ceux liés à l’économie de guerre. Elle a lancé dès 2018 de nouveaux produits sous mandat du Ministère des Armées et des Anciens combattants.

Fin 2024, le soutien de Bpifrance aux entreprises du secteur dépassait le milliard d’euros à 1,2Md€, doublant sa production entre 2018 et 2024.

 

Bpifrance a par ailleurs souscrit 400M€ dans des fonds spécialisés et est actionnaire de plus de 70 entreprises stratégiques du secteur de la défense à travers ses fonds généralistes et deux fonds dédiés :

Le fonds Definvest

Il est lancé conjointement avec la direction générale de l’armement (DGA) en 2018 et doté de 100M€. Ce fonds, initialement créé pour couvrir la lacune de financements privés des entreprises du secteur de la défense, a investi plus de 70M€ dans 28 entreprises disposant de technologies souveraines et stratégiques. Le portefeuille du fonds est désormais composé de 25 participations, notamment : Unseenlabs, Cailabs, Reflex CES ou encore Agenium. Il propose aux dirigeants un accompagnement privilégié sur le long terme dans leurs projets de croissance (développement commercial, croissance externe, transition managériale, etc.). Le fonds Definvest a récemment investi dans Magellium Artal, acteur de référence du traitement d’images satellitaires et de la cartographie numérique aux côtés de Weinberg Capital Partners et IDIA Capital Investissement. 
Au vu des besoins du secteur, l’action du fonds Definvest va être pérennisée : la période d’investissement est ainsi allongée à 20 ans et la durée de vie du fonds à 30 ans.

Le Fonds Innovation Défense (FID)

Lancé en 2021 par l’Agence de l’innovation de défense (AID) et Bpifrance, il était initialement doté de 220M€. Ce fonds, qui jour un rôle clé dans les entreprises duales ou civiles développant des technologies de pointe pouvant intéresser la défense, a investi près de 80M€ dans 11 d'entre elles. Parmi elles : Pasqal, Quandela et Alice et Bob (quantique), XXII (IA) ou encore Exotrail (spatial). En mars 2025, ce fonds, qui soutient les champions de demain en phase d’industrialisation ou en forte croissance, a réalisé une levée de fonds auprès de la Caisse des Dépôts, d’Allianz France et MBDA, portant ainsi sa taille à 300M€, complétée ensuite auprès de BNP-Paribas.

©Sébastien ORTOLA - REA - Caisse des Dépôts - 2021

Connexions de serveur permettant le fonctionnement d'un data center.

Forts de leur partenariat, Bpifrance et la DGA ont lancé une deuxième promotion de « l’Accélérateur Défense » en octobre 2025. Il vise à accompagner les PME et ETI sous-traitantes de programmes d’armement à adapter leurs moyens industriels aux enjeux actuels, à répondre aux nouvelles exigences des industriels du secteur, et à pérenniser ainsi leur positionnement au sein de l’appareil de défense.  25 entreprises bénéficieront ainsi d’un accompagnement sur-mesure pendant 18 mois.

 

Allons enfants de l'investissement

Épargner de façon patriotique, c’est désormais possible aussi pour le grand public grâce au fonds Bpifrance Défense S.L.P.  (« Bpifrance Défense »), lancé en octobre 2025. 

Ce fonds est accessible aux particuliers à partir de 500€
Il vise à collecter 450 M€

 

Ce premier fonds thématique investira directement et indirectement à terme dans plus de 500 sociétés non cotées. Ce nouveau véhicule économique permet de faire le lien entre l’épargne des particuliers et l’investissement dans les entreprises de la cybersécurité et de la défense, quelle que soit leur taille. L'objectif est d'inciter les Français à soutenir financièrement ces secteurs de manière volontaire. Il jouera nécessairement un rôle clé dans le financement des entreprises qui participent à l’autonomie stratégique de la France en matière de défense

D’autres fonds sont accessibles aux particuliers via des assurances-vie et l’épargne-retraite, comme le fonds d’investissement lancé par Tikehau Capital, avec les assureurs Société Générale Assurances, CNP Assurances et le groupe CARAC en septembre 2025. Doté de 150 millions d’euros, et structuré principalement autour de stratégies de capital-investissement, il est accessible en unités de comptes au sein de contrats d’assurance-vie. Ce fonds vise à « soutenir l’émergence de futurs leaders européens, tout en favorisant la création d'emplois et la dynamique économique en France et en Europe, » notamment dans les secteurs stratégiques de l’aéronautique et de la cybersécurité.

Ce fonds marque une étape décisive dans la démocratisation de l’investissement dans les entreprises non cotées en permettant aux Françaises et Français d'investir dans notre tissu de startups, PME et ETI, engagées dans les  secteurs stratégiques de la défense et de la souveraineté.

Nicolas Dufourcq Directeur général de Bpifrance

Isalt, société de gestion de portefeuille détenue à 39% par la Caisse des Dépôts, a quant à elle a annoncé en 2025 le lancement du fonds « Stratégie Horizon Dual ». Il vise à financer les PME et ETI européennes de l’industrie duale, au croisement de l’innovation civile et militaire, dans les secteurs critiques de l’espace, de l’IA, de la cybersécurité et de l’innovation.

 

Défendre l’espace numérique

En août 2025, la France a mis en place un commissariat au numérique de défense  afin de « fournir des infrastructures permettant de transporter, stocker et traiter les données » numériques. Le CND a pour mission de doter les forces armées d’outils numériques robustes et de préparer les ruptures technologiques de demain. Son ambition stratégique est forte : renforcer la souveraineté numérique du ministère des Armées et des Anciens combattants pour garantir sa résilience face aux menaces croissantes. 

Conscient de l'importance de la cybersécurité comme bouclier de protection, Bpifrance a lancé en janvier 2024 le Diag Cybersécurité Défense. Ce dispositif vise à permettre aux PME et ETI d’identifier les risques numériques liés à leur activité, pour évaluer la sécurité de leurs systèmes d’information afin d'accroître leur protection. Ce Diag Cybersécurité Défense a pris la suite du Diag Cyberdéfense et a pour objectif de réaliser 200 diagnostics par an.

Développer les infrastructures essentielles

Ces nouveaux choix stratégiques ne doivent pas empêcher de continuer à investir dans les infrastructures essentielles. Certaines infrastructures civiles sont en effet cruciales pour la défense, telles que loger les militaires (une mission historique de CDC Habitat), financer et rénover les hôpitaux, créer des datacenters et des moyens de communication souverains.

©Jean-Marc PETTINA - Caisse des Dépôts

Au coeur de Paris, une ancienne clinique des Armées, a été transformée en bureaux pour le ministère de la Défense, puis réaménagé, en 2004 par la SNI (devenue depuis CDC Habitat) en 119 studios destinés à de jeunes cadres civils et militaires du ministère de la Défense.

Nos armées doivent être agiles, réactives et équipées. Cela passe par la qualité des lieux où l’on forme, prépare, coordonne et où vivent nos forces.

Olivier Sichel Directeur général de la Caisse des Dépôts

La Banque des Territoires étendra ainsi son soutien au financement des logements des militaires et des gendarmes ainsi qu’aux bâtiments tertiaires comme les hôpitaux militaires ou les école de formation.  Elle poursuivra par ailleurs son soutien aux projets industriels, notamment par le portage du foncier et de l’immobilier.

En accord avec ses axes stratégiques qui visent à défendre l’intérêt général, le Groupe se met en ordre de marche pour financer des infrastructures de santé, de transport, ou encore numériques par des prêts à long termes. Cela constitue un de ses priorités. Il finance aussi entre autres des écoles de production qui peuvent être utiles dans un bassin industriel donné.

Investir avec les partenaires européens

La souveraineté s’exprime aussi à l’échelle du continent : dans le même temps, la Banque européenne d’investissement (BEI) a également élargi ses critères d’admissibilité pour les investissements dans le domaine de la sécurité et de la défense. 

La Caisse des Dépôts et quatre institutions de promotion économique d’Allemagne, d’Italie, de Pologne et d’Espagne se joignent à la BEI pour étudier les possibilités de cofinancement en appui de l’industrie européenne de sécurité et de défense. Leur but est de promouvoir une vision paneuropéenne dans des domaines comme la recherche, les capacités industrielles et les infrastructures.

Côté financement, la Commission européenne a débloqué en mai 2025 une enveloppe de prêts SAFE (Security Action for Europe) d’un montant de 150 Md€ destinés à encourager l'industrie de défense du Vieux Continent. Sur celle-ci, la France devrait toucher 16,2 Md€. Afin de renforcer l'industrie de défense européenne, au moins 65 % de la valeur du produit final devra provenir de l'UE, d'Ukraine, d'un pays de l'Espace économique européen ou de l'Association européenne de libre-échange.  

 

Il s’agit de mettre en place des cadres de financement. La coopération de ces institutions portera sur des possibilités de cofinancement dans des domaines d’investissement tels que la recherche-développement, les capacités industrielles et les infrastructures.

Philippe Blanchot Directeur des relations institutionnelles, internationales et européennes à la Caisse des Dépôts

Et maintenant ?

Longtemps, le haut niveau d’exigence attendu du monde de la défense a bénéficié au reste de l’industrie. Aujourd’hui, la tendance s’inverse parfois, et c’est souvent la défense qui bénéficie désormais des progrès réalisés par l’industrie civile. Favoriser la dualité des entreprises est devenu un gage d’équilibre financier pour elles, ainsi que pour appuyer la souveraineté nationale. L’intensification de la coopération européenne aidera aussi à renforcer les entreprises spécialistes de la défense à l’échelle du continent, afin de faire face à l’évolution des menaces qui pèsent sur nos démocraties.

 

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