Ce texte se rattache à une série de neuf articles issus d’une étude intitulée « Aurons-nous toujours de l'eau ?» conduite par François Bafoil, du CERI-Sciences po., avec le soutien de l’Institut pour la Recherche de la Caisse des Dépôts.

Cette étude repose sur des enquêtes de terrain qui se sont concentrées sur la région Nord-Aquitaine, par le biais d’une quarantaine d’entretiens directs conduits avec des acteurs de l’Agence de l’Eau Adour-Garonne, ceux de la région et des départements de Charente et Charente-Maritime ainsi que des exploitants agricoles. D’autres entretiens ont été conduits dans la région Bretagne, dans celle du Grand Est et de la Beauce dont il sera rendu compte ultérieurement.

Quatre parties composent cette série d’articles : les problématiques de l’eau, la complexité de la gouvernance, l’action locale et une partie conclusive (voir sommaire ci-dessous)

 

Ce septième article traite d’un programme important en matière de qualité de l’eau et d’action locale : le programme Re-Sources. Il est destiné à mettre en place des actions préventives visant à reconquérir la qualité des eaux brutes et à répondre à la problématique « Nitrates, Pesticides et Phosphores » sur la base d’actions volontaires des exploitants. Relayé par un réseau d’intervenants sur le territoire Nord Aquitaine, il fonctionne à l’interface du niveau régional et du niveau local.

 

 

La qualité de l’eau n’est pas bonne dans la partie nord de Nouvelle-Aquitaine car si à l’échelle du bassin Adour-Garonne, elle se situe à 55%, au niveau de la Charente ce niveau s’abaisse à 22%. Les causes sont de deux ordres. En premier lieu, la présence de pesticides et de nitrates qui ont contribué à la dégradation de 243 captages. Parmi eux, 79 sont des captages prioritaires – ce sont ceux sur lesquels Re-sources intervient - les 164 autres captages sont dits « sensibles ».

Entre 1970 et 2000, 400 captages ont été fermés qui potentiellement auraient pu servir à l’eau potable. C’est dire l’état de dégradation des points de captage et l’urgence d’y remédier. L’autre cause qui aggrave ce constat renvoie à l’hydromorphologie qui fait que, l’eau étant drainée pour les raisons examinées dans la note publiée précédemment, Comment sauver nos rivières ? Gemapi, renaturation des cours d’eau : le travail de titan des syndicats de rivière , les assecs sont nombreux, et entrainent moins d’habitats et moins de nourriture pour les poissons qui sont mis dans l’impossibilité de circuler, et donc de se reproduire. A ce titre, l’indicateur de bon état de la ressource est fourni par l’indice biologique qu’est l’indice poisson.

Re-Sources, agir pour l’eau potable en Nouvelle-Aquitaine

Le programme Re-Sources a été institué dans les années 2000 à l’échelle de la préfecture de la région Poitou Charente (à l’époque, c’était le département de la Vienne qui pesait le plus dans cette configuration et c’est pourquoi cela s’est maintenu jusqu’à aujourd’hui). Pensé comme interface entre le niveau régional et le niveau local, Re-Sources, dès l’origine, a eu pour charge de mettre en place des actions préventives visant à reconquérir la qualité des eaux brutes et à répondre à la problématique Nitrates, et Phosphates sur la base d’actions volontaires.

Au début n’étaient visés que les captages prioritaires isolés par le SDAGE (voir la carte ci-dessous).

La première convention du programme Re-Sources date de 2004 avec la création de la cellule, suivie d’une deuxième en 2007, cette fois multi partenariale. Celle qui lui a fait suite en 2015 s’est étendue jusqu’à 2020 avec pour particularité d’associer 18 signataires et notamment davantage de représentants du monde agricole, ainsi que les partenaires du négoce viticole qui étaient absents précédemment. En 2018, le programme a été étendu à la Nouvelle Aquitaine.

1. Une gouvernance multipartenariale

Le cadre global de la gouvernance inclut deux démarches parallèles - le niveau régional et le niveau local - avec la présence pour le premier :

  1. d’un comité de pilotage (COPIL),
  2. d’un comité technique (qui inclut les partenaires institutionnels et financiers)
  3. d’une commission agricole régionale et thématique dont l’ambition est de regrouper les partenaires agricoles et de proposer les stratégies.

La gouvernance est donc multi-partenariale. Au niveau régional (celui de Nouvelle-Aquitaine), le comité de pilotage (COPIL) inclut les représentants des deux Agences de l’eau (Adour-Garonne et Loire-Bretagne), ceux de la Région (la direction de l’environnement) et ceux de l’État (avec le préfet et le SGAR). Chaque partenaire a son représentant politique au sein du programme, le rôle du coordinateur au sein de la cellule étant d’être le porte-parole de l’ensemble des participants.

On note que les exploitants agricoles pas plus que la Chambre d’agriculture ne sont représentés dans le COPIL régional, à la différence du niveau local. C’est ce qui explique que la règle d’unanimité requise pour les décisions prises à ce niveau peut être respectée. Dans le cas contraire, c’est-à-dire si les représentants agricoles se trouvaient dans le COPIL régional, on pourrait nourrir des doutes que les votes ne puissent jamais obtenir l’unanimité des votants puisque les décisions prises portent notamment sur les comportements des exploitants agricoles qui contribuent largement à dégrader la ressource par l’abus de pesticides. C’est dire aussi la méfiance nourrie par l’acteur institutionnel à l’encontre des exploitants.

Dans la période de programmation 2023 – 2028, il est prévu de faire évoluer ce schéma de la gouvernance en intégrant davantage de représentants des collectivités locales, à côté de ceux en charge de la distribution de l’eau potable et de la maitrise d’ouvrage, et de la SAFER (en lien avec la politique d’acquisition des terres destinées à revaloriser les zones humides). Quant à la commission agricole régionale, elle regroupe désormais outre la chambre, le négoce centre atlantique, et de nouveaux venus que sont l’INTERBIO Nouvelle-Aquitaine et le réseau CIVAM qui est une association nationale qui développe une agriculture paysanne, importante pour la ressource en eau et bien implantée localement.

La cellule Re-Sources, localisée à Poitiers, a pour charge d’assurer la coordination des différents niveaux de gouvernance et d’animer le réseau d’intervenants locaux présents dans chaque ancienne région (Limoges / Poitiers / Bordeaux, tous relevant de la Région), et que renforce une cinquantaine d’intervenants, employés localement. La cellule, elle, comprend 4 personnes à plein temps, rémunérées par les trois instances publiques : les Agences de l’Eau, la Région et les collectivités locales pour des contrats de 3 ans renouvelables.

2. Deux types d’interventions : préservation et action

Le programme Re-Sources développe principalement deux axes d’action :

  1. la mobilisation des acteurs et la définition de la stratégie de préservation qui ouvre sur un programme d’activités concrètes de terrain ;
  2. la stratégie d’action qui se développe à l’échelle géographique de bassin d’alimentation de captage, sous la forme d’actions préventives et volontaires à l’égard des pratiques agricoles ou autres.


Source : https://www.re-sources-nouvelle-aquitaine.fr/

Le programme travaille sur la pollution diffuse, autrement dit, non pas sur un accident qui pourrait survenir inopinément mais sur la durée, en lien avec l’épandage des pesticides dans les champs depuis des décennies et qui fait qu’au fil des années, leurs traces se retrouvent dans la ressource sans pouvoir être éliminées.

Le phénomène identifié, une étude microbiologique est entreprise, à partir de quoi un bassin de captage est circonscrit avec toutes les activités qui l’entourent : les usines, les exploitations agricoles, les particuliers, etc. Une fois cette opération établie pour l’ensemble des bassins de captage ainsi que les risques afférents, une politique de concertation est établie et les agents du syndicat rencontrent les exploitants agricoles, les chambres, les organisations publiques, privées, les services d’assainissement et tous les services de l’état pour décider ensemble des actions à mettre en place, où et comment. En résulte un contrat établi sur 5 ans.

Ce qui fait également l’originalité du programme Re-Sources, c’est la possibilité que le cadre réglementaire puisse s’imposer, une fois constaté l’échec du cadre volontaire. Activé par l’État (par le biais de la Région) il est mis en branle lorsque le comité technique en charge de l’évaluation des programmes constate l’échec des mesures volontaires engagées sur une zone d’alimentation du captage. Il en informe alors le COPIL local qui, à son tour en informe le COPIL régional dont on a vu plus haut, qu’il inclut les représentants des plus hautes instances décisionnelles. A ce titre, Re-sources représente la dernière chance pour les exploitants de mobiliser des fonds pour atteindre les résultats attendus.

Comme le souligne le responsable de la cellule durant notre entretien,

C’est pour cette raison qu’on dit aux agriculteurs : faites-le volontairement, car si l’on n’y arrive pas, ce sera obligatoire et si on échoue, la Région ne mettra plus d’argent

Ce qu’une agente locale traduit en ces termes :

On n’a pas de contrôle réglementaire. Certains jouent le jeu et d’autres, pas et c’est embêtant. On s’en réfère à la Région, à l’agence de l’eau qui ont un poids certain. Les exploitants le savent. En fait, on est un contact avec les agriculteurs, on les accompagne sur des dossiers de demande d’aide écologique, pour acheter une bineuse ou un autre matériel ; L’agriculteur qui veut en bénéficier, on l’aide. Les structures agricoles savent qu’on a ce contact et savent qu’on peut leur renvoyer l’ascenseur.

Nonobstant, l’objectif de Re-Sources reste l’adhésion volontaire et les fonds sont rarement suspendus parce que, ainsi que cela a été dit (voir la note Les limites de la connaissance de l’eau : enjeu des savoirs et maitrise de l’incertitude) l’instance politique rechigne à imposer ses choix au milieu agricole et, pour cette raison, préfère prendre en compte la durée de l’engagement. Dans ces conditions, l’arrêté préfectoral ne s’impose qu’en cas d’extrême limite lorsqu’est constaté le refus délibéré de l’exploitant de se conformer aux prescriptions de sécurité de la ressource.

 

Comme le souligne notre interlocuteur :

Ce qu’il convient de considérer, ce n’est pas tant la qualité en temps T, que le temps long, celui de la mobilisation des exploitants, les niveaux de leurs engagements et les changements de pratiques. Avant, on se limitait au physique de l’eau, à savoir la présence ou non de molécules et c’était tout. Maintenant les engagements de l’exploitant sont pris en compte, et pour cette raison, la durée entre sa décision et l’effet sensible sur le territoire. Autrement dit, les espaces existent avant d’arriver à imposer le régime obligatoire.

Or pas plus que les interlocuteurs des syndicats de bassin cités précédemment (voir la note Un acteur local décisif : les syndicats de rivière), ceux du programme Re-Sources n’affichent de satisfaction face à des résultats qui tardent à être enregistrés. En rendent compte les réticences profondes de la profession agricole à modifier ses pratiques mais aussi les décisions adoptées sans concertation aucune sur la levée des interdictions pesant sur les pesticides qui ruinent leurs efforts.

Entre adhésion volontaire et contrainte forcée, la puissance publique hésite, consciente des risques de blocage que chacune de ces positions ne manquera pas d’entrainer.

Comme le souligne un haut responsable de la DDT rencontré à Angoulême :

Faire des efforts en matière de phyto, être accompagné éventuellement et en même temps être bon sur le plan agronomique et donc n’avoir pas de pertes financières, et finalement s’engager, toute cette prise de conscience demande du temps pour être admise.