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Crédit ©Nathan Arsac-Alice Bonzom-Maya Dehove-Corentin Deshaies-Alice Montuori
Le projet « Recomposer le territoire pour mieux s’adapter aux risques » est le fruit d’une collaboration entre l’École Urbaine de Sciences Po Paris et l’Institut pour la Recherche de la Caisse des Dépôts. Dans ce cadre, Nathan Arsac, Alice Bonzom, Maya Dehove, Corentin Deshaies et Alice Montuori ont réalisé un travail de recherche et d’analyse autour des politiques de recomposition territoriale face aux risques d’inondation. Ces travaux ont donné lieu à un rapport identifiant les leviers d’action, les freins rencontrés et les compromis possibles pour repenser l’occupation des sols dans un climat qui change.
1. Recomposer le territoire pour s’adapter aux risques
2. Gouverner la recomposition territoriale face aux risques : coordination, échelle et temporalité pour une adaptation durable
3. Acquisition du foncier et financement de la recomposition territoriale : mobiliser les ressources pour transformer
4. Conduire le changement territorial : vers une transition habitée et partagée
5. Transformer la vulnérabilité en opportunité : la valeur ajoutée de la recomposition territoriale
La recomposition territoriale repose sur deux piliers indissociables : la capacité à acquérir le foncier exposé et celle à financer, dans la durée, les étapes du projet. Or, ces deux leviers soulèvent un certain nombre d’enjeux.
Acquérir le foncier implique de mobiliser des outils réglementaires parfois contraints, ainsi que des acteurs publics capables d’agir rapidement et stratégiquement. Mais une fois les terrains libérés, encore faut-il disposer des ressources nécessaires pour concevoir et réaliser les nouveaux projets, et maintenir l’équilibre budgétaire des communes souvent fragiles.
L’acquisition des parcelles à désurbaniser constitue la première étape de toute démarche de recomposition territoriale. Pour cela, la puissance publique dispose de plusieurs outils juridiques lui permettant de maîtriser le foncier nécessaire. Deux grands types de procédures peuvent être mobilisés : celles relevant du droit privé, comme l’achat à l’amiable, et celles du droit public, telles que l’expropriation ou l’exercice du droit de préemption (le détail de l’ensemble de ces procédures est présenté dans notre rapport).
Cependant, lorsqu’il s’agit d’acquérir simultanément plusieurs dizaines de biens, même avec le soutien du Fonds Barnier, les petites communes se heurtent à d’importantes contraintes techniques et financières. L’acquisition de biens à déconstruire dans le cadre de projets de recomposition suppose en effet une trésorerie conséquente et une capacité d’ingénierie que ces collectivités ne possèdent pas toujours. Certains maires rencontrés témoignent de leurs difficultés à financer l’acquisition du foncier avec leurs faibles moyens.
Face à ces limites, une bonne pratique identifiée dans plusieurs territoires (notamment dans l’Aude et la vallée de la Roya) consiste à mobiliser l’Établissement public foncier (EPF) comme opérateur. À la demande des préfets, les EPF ont été mandatés pour acquérir les biens concernés, procéder à leur démolition, puis les rétrocéder aux collectivités.
Ce montage permet de soulager les communes d’un portage financier lourd en attendant l’arrivée des subventions. Il permet également d’optimiser le versement des aides, notamment celles du Fonds Barnier. Depuis l’entrée en vigueur du décret n° 2021-518 du 29 avril 2021, les EPF peuvent désormais percevoir directement les financements issus de ce fonds.
Le financement des projets de recomposition repose aujourd’hui majoritairement sur des subventions publiques, versées en plusieurs temps. Ce décalage entre l’engagement des dépenses et la réception effective des fonds met à l’épreuve la trésorerie des communes. Celles-ci doivent souvent avancer les paiements aux entreprises sans disposer des liquidités nécessaires, ce qui les oblige à contracter des prêts relais auprès des banques. Ces charges supplémentaires pèsent d’autant plus lourdement que les délais de versement peuvent s’allonger, freinant ainsi la capacité des petites communes à engager et piloter sereinement des projets d’ampleur.
Face aux difficultés budgétaires rencontrées par les collectivités pour engager rapidement les dépenses liées aux projets de recomposition, une piste intéressante serait d’instaurer, via la Caisse des Dépôts, une réserve de trésorerie mobilisable sous forme d’avances à taux bonifié. Le rapport d’information sénatorial « Le défi de l’adaptation des territoires face aux inondations » recommande déjà la mise en place d’un tel outil pour les réparations d’urgence après sinistre. Cette proposition pourrait être élargie aux projets de désurbanisation et de recomposition territoriale, dès lors qu’ils visent une réduction de la vulnérabilité aux risques naturels. En apportant une solution de financement transitoire, accessible et à faible coût, cette réserve permettrait aux communes de surmonter les décalages de trésorerie tout en sécurisant les calendriers des projets.
Les projets de recomposition territoriale reposent aujourd’hui largement sur des financements d’origine étatique ou européenne. Dans les faits, les collectivités demeurent donc fortement dépendantes de ces subventions pour initier leurs projets. Cette dépendance structurelle limite leur capacité à anticiper, planifier et agir de manière autonome. Elle souligne la nécessité de repenser les modèles de financement local pour les rendre plus pérennes, souples et équitables.
Une piste de réflexion consiste à renforcer les logiques de solidarité territoriale, notamment à l’échelle du bassin versant. L’objectif est de mobiliser des ressources locales pour financer les projets de recomposition, en limitant la dépendance aux subventions, grâce à un levier fiscal existant mais encore sous-exploité : la taxe GEMAPI.
Depuis le 1er janvier 2018, la compétence GEMAPI (gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations) est devenue une compétence obligatoire et exclusive des intercommunalités. Issue de la loi MAPTAM du 27 janvier 2014, cette réforme vise à renforcer l’efficacité de l’action publique en confiant à un acteur unique la responsabilité de la prévention du risque inondation, à l’échelle cohérente du territoire.
Pour financer cette compétence, les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ont la possibilité de lever une taxe dédiée. L’acquisition de terrains destinés à la création de zones d’expansion des crues ou à la renaturation de secteurs vulnérables peut entrer dans le champ d’intervention de cette compétence, au titre de l’aménagement de bassin versant ou de la défense contre les inondations.
Cependant, la mise en œuvre de cette fiscalité montre aujourd’hui ses limites. Prélevée à l’échelle de chaque établissement public de coopération intercommunale, la taxe GEMAPI ne garantit pas une solidarité financière réelle entre les territoires d’un même bassin versant. En effet, les intercommunalités urbaines disposent de bases fiscales plus larges et peuvent générer davantage de recettes. À l’inverse, les territoires ruraux ou périurbains peinent à dégager les ressources nécessaires pour mener des actions ambitieuses de prévention ou de désurbanisation.
Face à ce constat, plusieurs sources, parmi lesquelles le rapport d’information sénatorial Le défi de l’adaptation des territoires face aux inondations, appellent à une réforme du dispositif. Leur proposition consiste à maintenir une collecte locale de la taxe GEMAPI, mais à organiser une redistribution des recettes via un fonds de péréquation, géré à l’échelle du bassin versant.
Ce mécanisme permettrait de renforcer la solidarité entre l’amont et l’aval, ce qui est cohérent du point de vue hydrologique : une contrainte physique ou une action préventive en amont peut avoir des effets déterminants sur les communes situées en aval, qui doivent parfois en assumer les conséquences.
Cette évolution offrirait un modèle de financement plus équitable, géographiquement et fiscalement, pour accompagner les territoires les plus exposés dans leurs projets de prévention et de recomposition.
Découvrez ici les 4 épisodes de notre podcast Ce(ux) que l’eau déplace, qui donne une voix à notre recherche à travers des récits captivants et des entretiens inspirants avec de nombreux acteurs engagés pour explorer en profondeur les enjeux de la recomposition territoriale :
Découvrez notre rapport complet « Recomposer le territoire pour s’adapter aux risques » consultable en ligne sur le site de l'Institut pour la recherche