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Métaux critiques : l’Europe n’est pas seule

Date de publication 15 décembre 2025

Temps de lecture 4 min

Métaux critiques
Métaux critiques

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Avec les besoins inhérents à la transition énergétique et au secteur de la défense, la question des métaux critiques est devenue un enjeu autant industriel que politique dans la plupart des économies développées. Loin de reculer, les restrictions aux exportations de la part des pays fournisseurs se multiplient. De leur côté, les pays importateurs déploient des stratégies pour diversifier leurs approvisionnements et réduire leur dépendance. L’UE n’est en somme pas seule. Des partenariats internationaux peuvent dans ce contexte émerger pour compléter les politiques circonscrites aux États européens.

La politique chinoise : innovations et restrictions à l’export

L’annonce par les autorités chinoises en octobre 2025 d’une réduction des exportations d’une série de métaux critiques s’inscrit dans la logique de la politique chinoise suivie ces dernières décennies. Après les premières exportations de terres rares en 1973 et l’énoncé des premières stratégies en 1975, Pékin s’est en effet employé à réguler plus strictement les exportations dès les années 90. De pays pourvoyeur de matières premières, la Chine est devenue un acteur dominant sur plusieurs étapes de la chaîne de valeur jusqu’à la batterie et au véhicule électrique. En octobre 2025, un pas supplémentaire a été franchi. D’une part, la liste des métaux soumis à des restrictions à l’export a été allongée. D’autre part, la Chine a repris à son compte le principe d’extra-territorialité pour contrôler la commercialisation dans le monde de technologies comprenant des éléments d’origine chinoise. Si certaines de ces dispositions ont été suspendues pour une année, la Chine met plus que jamais à profit son rôle dans l’approvisionnement en métaux pour consolider son avance technologique et pour imposer ses vues dans les contentieux commerciaux.

Le nationalisme minier n’est pas un monopole chinois

Entre 2009 et 2020, une cinquantaine de pays ont introduit des restrictions aux exportations de leur minerais selon l’OCDE.  Les mesures les plus répandues sont l’imposition de quotas et l’application d’une fiscalité différente selon la destination des métaux extraits. L’Indonésie a ainsi limité en 2013 et 2020 ses exportations de nickel et une entente entre pays fournisseurs a été envisagée avec l’évocation d’un cartel du nickel inspiré de l’OPEP. Le Vietnam a introduit de nouvelles dispositions (pour 2026). Le Chili et le Mexique ont procédé à la nationalisation du secteur du lithium. Dans ce même secteur, le Zimbabwe a interdit les exportations en 2022 et a été suivi par la Namibie (8 mois après la signature d’un accord avec l’UE sur l’accès aux métaux critiques). Plusieurs autres pays africains, notamment la République démocratique du Congo dans le cas du cobalt, ont initié des mesures similaires. Volonté de structurer des filières locales, refus de laisser un secteur stratégique contrôlé par des acteurs miniers étrangers, préoccupations environnementales et sociales : les motivations sont diverses. Quel que soit leur bien fondé, ces politiques contribuent à la volatilité des prix, laquelle pénalise en Europe les industriels recourant à ces métaux comme ceux engagés dans leur production et/ou leur recyclage.

Face au risque chinois, l’Asie diversifie ses approvisionnements

Pionner des stratégies de diversification, le Japon s’est fixé pour objectif d’être autosuffisant à hauteur de 80 % pour certains métaux d'ici 2030. Sa dépendance vis-à-vis d'un seul fournisseur devrait être portée à moins de 50 % et des stocks stratégiques (pour 34 métaux critiques) couvrant soixante jours de consommation nationale sont constitués. La stratégie nationale s’appuie sur la JOGMEC[1] qui prend des participations dans des projets miniers au Chili (lithium), en Indonésie (nickel), en Australie (pour l’extraction de terres rares,) ou encore en France (projet CAREMAG de traitement des terres rares). La diplomatie japonaise a par ailleurs noué des partenariats à l’international, avec par exemple l’Australie, l’Inde, le Vietnam, le Kazakhstan.

En Corée du Sud, une politique visant à réduire la part du principal fournisseur pour une sélection de métaux et à renforcer les stocks a été introduite. Créé en 2021, la KOMIR[2] s’apparente à la JOGMEG japonaise et accompagne les projets miniers des entreprises sud-coréennes à l'étranger. Des accords ont été signés avec l'Australie (2020, 2021), la Mongolie (2023), le Kazakhstan (2024) dans le cadre de l'initiative « K-Silk Road Cooperation ». Taiwan a également esquissé une stratégie de diversification afin de protéger son industrie fortement dépendante de technologies importées de Chine.

L’Inde a adopté une approche similaire fondée sur la signature d’accords avec des pays fournisseurs et sur des prises de participation dans des projets miniers à l’étranger à travers l’agence KABIL[3]. Le Fonds de souveraineté  finance depuis 2025 une « Mission nationale de métaux critiques » centrée sur 24 métaux. Les acteurs industriels  sont accompagnés dans leurs investissements étrangers, par exemple pour l’acquisition d’actifs liés au cuivre au Pérou (3ème producteur mondial) dans le contexte d’un accord de libre-échange en préparation.

Entre Amérique du nord et Chine, le découplage à l’œuvre

Acteur clef du marché des terres rares jusqu’aux années 70, les États-Unis ont entrepris de contester la suprématie chinoise pour les terres rares, en raison notamment des besoins de l’industrie de défense. Avec l’ambition de constituer une filière allant de la mine à l’aimant permanent d’ici 2027, un soutien de 8,5 milliards USD a été accordé au secteur en 2025. Le Ministère de la Défense a pris des participations directes dans plusieurs entreprises et un prix plancher a été établi. La diplomatie minérale se traduit par des partenariats avec l’Arabie Saoudite (pour l’exploitation de mines), le Brésil (pour deux projets autour des terres rares) ainsi qu’en Afrique et en Asie centrale (au Kazakhstan notamment). Dans les pays concernés, acteurs américains et chinois sont désormais régulièrement en concurrence autour d’actifs proposés à des investisseurs étrangers. Avec l’Australie, un accord a été signé en 2025 autour de huit projets situés dans l’Ouest de l’Australie et aux États-Unis. De son côté, le Canada a écarté des entreprises d’État chinoises de plusieurs projets et a relancé une tradition minière qui remonte au 18ème siècle et qui contribue aujourd’hui au quart des exportations du pays.

Un sursaut européen ?

En Europe, le plan d’action RESource EU soumis par la Commission européenne en décembre 2025 reprend une série de dispositions énoncées antérieurement dans le cadre du règlement sur les matières premières critiques (CRMA) de 2023. La Commission acte ainsi la création d’un centre européen des matières premières critiques et la constitution de stocks de métaux critiques. D’autres propositions devront être approuvées par le Parlement européen et les États membres : limitation des exportations de déchets afin que l’industrie du recyclage (notamment des terres rares) dispose de la matière première suffisante, mise en place de CfD[4] pour protéger les industriels de la volatilité des prix ou encore révision des conditions d’octroi des permis environnementaux. Aux partenariats signés avec une quinzaine de pays s’ajoutent des accords de libre-échange incluant systématiquement des clauses relatives aux métaux critiques. L’UE étant le premier partenaire de 80 pays dans le monde (contre 20 dans le cas des États-Unis), le rôle clef de la politique commerciale dans l’approche européenne se justifie. L’UE a par ailleurs signé des partenariats avec plusieurs pays (dont le Canada et l’Australie). Il revient désormais aux États-membres d’entériner les options proposées et de les compléter à travers leurs stratégies nationales. La France (qui compte 9 des 47 projets « stratégiques » miniers et industriels retenus par la Commission européenne) a constitué une quinzaine de partenariats à travers la DIAMMS[5].

Au-delà de la mine, l’enjeu industriel

Commentant les initiatives américaines de 2025, le Secrétaire d’État américain a conclu : « la Chine perdra sa capacité de chantage sur les terres rares en moins de 24 mois »[6]. Le doute est ici permis. Le succès dans le secteur des terres rares réside moins dans la géologie que dans la technologie et la mise en place d’une chaîne de valeur nécessite des capitaux et des compétences que la Chine a su rassembler. Un constat s’impose néanmoins : par ses investissements massifs dans les actifs miniers dans le monde et ses restrictions à l’export, la Chine a suscité en retour des stratégies de diversification qui aboutiront in fine à desserrer la géographie de l’approvisionnement en métaux critiques et notamment en terres rares. Les stratégies concertées entre pays proches et partageant la même vision des risques industriels et politiques de la dépendance à l’égard de la Chine sont de nature à créer des solidarités concrètes.

Le défi industriel, lui, reste entier. Au-delà des enjeux autour de l’extraction minière et du raffinage des métaux, la capacité de l’Europe à maîtriser les technologies suppose probablement de poursuivre les efforts déployés pour protéger le marché européen des pratiques déloyales. Loin d’impliquer un repli sur soi national, la quête de souveraineté implique une intégration européenne renforcée et un renouvellement des interdépendances avec les pays fournisseurs. Elle invite également à repenser le rôle la puissance publique dans une économie de marché car, comme le souligne Jean Pisani-Ferry, « les conditions pour créer de l'innovation sont la concurrence et la planification, que la Chine sait allier ».[7]

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Notes

[1] Japan Organization for Metals and Energy Security (Organisation japonaise pour la sécurité des métaux et de l'énergie).

[2] Korea Mine Rehabilitation and Mineral Resources Corporation.

[3] Khanij Bidesh India Ltd.

[4] Contract for Difference. Ce système de soutien permet de fixer un couloir de prix protégeant les producteurs d’une volatilité excessive des prix du marché.

[5] Délégation interministérielle aux approvisionnements en minerais et métaux stratégiques.

[6] Demetri Sevastopulo, “China ‘made a real mistake’ by ‘firing shots’ on rare earths, says Scott Bessent”, Financial Times, 30.10.2025.

[7] Dominique Seux, « Le grand blues social-démocrate », Les Échos, 10 septembre 2025.,