Politiques publiques : quelles évolutions des solidarités intergénérationnelles

Date de publication 10 décembre 2025

Temps de lecture 5min

©Laurent Soulat

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L’édition 2025 du colloque international sur la retraite et le vieillissement s’est déroulé à Paris, au 15 quai Anatole France, les 9 et 10 octobre dernier, réunissant plus de 200 chercheurs. Elle était organisée par la Direction des politiques sociales de la Caisse des Dépôts et la chaire Économie Sociale, Protection et Société (ESoPS) de l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, avec la collaboration d’Anne Lavigne (Université d’Orléans). 

C’est l’occasion de revenir sur l’une des tables rondes qui s’y est tenue : « Politiques publiques : quelles évolutions des solidarités intergénérationnelles ? ». Cette dernière était animée par Anne Lavigne (Université d’Orléans), et a réuni Didier Blanchet (IPP), Pierre Cheloudko (DREES), Pierre-Yves Cusset (HCSP) et André Masson (CNRS-PSE/EHESS). Elle a abordé successivement un diagnostic des transferts entre âges et générations, les tensions et possibilités d’arbitrage entre différentes solutions pour résoudre les déséquilibres intergénérationnels et les pistes de réforme possibles pour améliorer la solidarité entre générations.

Diagnostic des transferts entre âges

Pierre-Yves Cusset décrit les enseignements des Comptes de transferts nationaux et des comptes nationaux distribués : les dépenses de protection sociale sont fortement concentrées sur les âges élevés en raison des retraites, tandis que les prélèvements reposent surtout sur les actifs. Par rapport à 1979, les seniors contribuent davantage via la fiscalité (notamment la CSG), alors que les jeunes reçoivent aujourd’hui relativement moins. Le vieillissement est déjà en grande partie absorbé, mais il continuera à peser sur l’équilibre futur.

Pierre Cheloudko se concentre sur l’équité entre générations dans le système de retraite. Les pensions ont augmenté jusqu’aux générations 1940 puis stagnent ou baissent légèrement en euros constants. Le taux de remplacement est en baisse tendancielle, malgré une remontée temporaire liée à la réforme de 2010 (le report des départs générant des droits supplémentaires). La durée de retraite exprimée en proportion de la durée de vie totale, après une hausse jusqu’aux générations 1945, diminue ensuite avant de remonter légèrement sous l’effet exclusif de l’espérance de vie. Les indicateurs synthétiques, comme le taux de rendement interne (TRI), montrent une diminution continue du rendement des cotisations.

Didier Blanchet élargit la perspective en évoquant trois dettes que lèguent les générations actuelles : dette financière, dette sociale implicite (liée au système par répartition) et dette climatique. La dette publique n’est pas en soi un risque intergénérationnel si elle reste finançable, mais une crise de confiance pourrait mettre en péril sa soutenabilité. La dette sociale implicite est massive mais relève de la logique même de la répartition ; elle devient problématique lorsque des déficits explicites sont créés. La dette climatique apparue plus récemment dans le débat public, représente un coût prospectif majeur d’ici 2040 et menace les capacités d’action des générations futures : atteindre les objectifs climatiques coûtera environ 40 points de PIB d’ici 2040, le coût ne pouvant être supporté exclusivement par l’État, au risque d’une crise d’insolvabilité.

André Masson propose une prise de recul historique pour mieux saisir les enjeux et analyse les évolutions du patrimoine sur le temps long. Depuis 1880, on assiste à un phénomène continu de « patrimonialisation » avec une explosion du poids du patrimoine dans l’économie et un vieillissement de sa détention. Les baby-boomers concentrent une part importante des actifs immobiliers comme financiers et vont les transmettre massivement dans les années à venir, ce qui modifiera les inégalités et les marchés (logement, travail, finance). L’épargne des seniors, abondante mais mal allouée, ne finance pas suffisamment les investissements productifs en Europe et en France.

Tensions intergénérationnelles et arbitrages

Les intervenants discutent des critères d’équité et soulignent qu’aucun indicateur isolé ne suffit. L’équité doit être pensée globalement : ce que chaque génération reçoit (éducation, patrimoine public, environnement) et transmet.

Selon Pierre-Yves Cusset, les transferts nets montrent que les enfants et les seniors restent bénéficiaires, tandis que les actifs financent le système. Entre 1979 et 2019, la générosité envers les jeunes baisse et le pic de contributions se décale vers les âges élevés et est maintenant proche de 50 ans. Les seniors reçoivent individuellement moins qu’autrefois, même si leur nombre rend le financement plus coûteux. Sur les dernières décennies, les dépenses ont été contenues et les recettes augmentées, compensant en grande partie l’effet du vieillissement.

Pierre Cheloudko précise que les indicateurs d’équité intergénérationnelle se déclinent en mesures « brutes », mais aussi en indicateurs synthétiques cherchant à saisir l’équité globale. L’indicateur le plus complet est le taux de rendement interne qui correspond au rendement implicite que procurent les cotisations si on les compare à une épargne rémunérée.

Didier Blanchet souligne cependant que le TRI ne peut suffire à définir l’équité : il dépend de nombreux arbitrages (âge de départ, durée de retraite, niveau de pension). Chercher à égaliser toutes ces dimensions est impossible ; égaliser le TRI est plus cohérent. Son usage demande toutefois la prudence : dans un système par répartition, les premières générations ont eu un TRI infini, logique au lancement du système. Le problème actuel vient de la coexistence de générations ayant encore des TRI élevés et des niveaux de pension importants, ce qui nourrit les tensions intergénérationnelles, notamment autour de l’indexation des retraites. L’équité doit dépasser les retraites : chaque génération contribue aussi à l’éducation, aux infrastructures, à l’environnement. Un véritable bilan intergénérationnel exigerait une unité de compte commune permettant de comparer ce que chaque cohorte reçoit et transmet. 

André Masson montre que toutes les générations expriment aujourd’hui des frustrations spécifiques : les jeunes demandent redistribution et reconnaissance, les actifs jugent que le travail ne paie plus, et les retraités veulent surtout sécuriser le financement de la dépendance, ce qui plaide pour une mutualisation financée par une cotisation spécifique sur les pensions ou le patrimoine.

Réformes pour améliorer la solidarité intergénérationnelle

L’amélioration de l’appareil statistique constitue un préalable : développement de la micro-simulation, actualisation des comptes de transferts, meilleure connaissance des patrimoines et des transmissions.
Sur les politiques publiques, les intervenants évoquent :
 

  • la rationalisation des règles d’indexation des pensions, en alignant l’exposition des actifs et des retraités aux aléas de la croissance ;
  • un meilleur calibrage des possibilités de départ anticipé à la retraite ;
  • la prise en compte, non seulement des transferts monétaires entre les générations, mais également des conditions de vie, de logements, de privations matérielles ;
  • une réflexion sur les instruments de financement de la transition écologique (taxe carbone, subventions, réglementation) et leurs effets intergénérationnels ;
  • la création de « placements transgénérationnels » adossés à une fiscalité successorale rénovée, permettant d’orienter l’épargne senior vers des investissements d’avenir.

Synthèse des échanges avec la salle

Les échanges portent sur la taxation des plus riches, la soutenabilité de la dépendance, l’acceptabilité des droits de succession, la pertinence de mécanismes automatiques d’ajustement des retraites (inspirés de la Suède et du Canada) et l’éventuelle constitutionnalisation d’un principe d’équité intergénérationnelle.

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Vous pouvez retrouver le programme complet du colloque international retraite et vieillissement 2025 ainsi que les verbatims des discours d’ouverture, des sessions plénières et des tables-rondes sur le site des Politiques sociales de la Caisse des Dépôts (https://politiques-sociales.caissedesdepots.fr/evenements/colloque-retraite-et-vieillissement-2025) et sur le site de la chaire ESoPS de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (https://chaireesops.fr/).