Quelles prises en charge des seniors au niveau local dans un contexte de vieillissement ?
Avec le vieillissement de la population française, la part des personnes de 60 ans et plus augmente au cours du temps, passant de 28 % actuellement à presque 30 % en 2030 et presque 33 % en 2050. Allant de pair avec le vieillissement, le nombre de personnes en situation de dépendance va augmenter. La question des prises en charge des seniors au niveau local se pose donc, avec de multiples questions qui en découlent.
Quels sont les besoins locaux liés à la perte d’autonomie et quelles sont les offres locales ? Y a-t-il une situation similaire entre les départements ou existe-t-il plutôt une forte hétérogénéité sur le territoire à la fois des demandes et des offres ? Quelles sont les actions mises en place aujourd’hui au niveau local ? Quels sont les aménagements entrepris des logements et des structures d’accueil ?
Ces questionnements étaient l’objet d’une table ronde lors du colloque international sur la retraite et le vieillissement qui s’est tenu à Paris les 9 et 10 octobre 2025. Celle-ci était animée par Camille Chaserant (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne).
Disparités territoriales et diversité des besoins
Mathieu Lefebvre (Université de Strasbourg, CNRS) dresse un premier constat sur les besoins : entre 2 et 4 millions de personnes de plus de 60 ans connaissent des limitations dans leurs activités quotidiennes, soit entre 10 % et 20 % de cette population. Pourtant, seuls un peu plus de 7 % des 60 ans et plus bénéficient de l’APA, dont l’octroi dépend des départements. La proportion de bénéficiaires de l’APA (et non celle des personnes en perte d’autonomie qui peuvent avoir des limitations et ne pas forcément bénéficier de l’APA) varie en fonction à la fois du vieillissement hétérogène des départements et de la variabilité de l’appréciation des conditions de l’éligibilité à l’APA.
Les besoins sont différenciés sur le territoire, en lien avec la nature des limitations. Dans le nord, les difficultés sont surtout physiques (se laver, s’alimenter, monter des escaliers), tandis que dans le sud, les besoins cognitifs (mémoire, concentration) sont plus marqués. Ces différences s’expliquent par l’histoire économique et sociale des départements.
Elsa Perdrix (Université Paris Dauphine – PSL) centre son intervention sur le bilan des offres, avec là aussi une grande diversité des prises en charge à domicile : SAD, SSIAD, SPASAD, CCAS, CIAS [1], associations et acteurs privés. Nationalement, le volume des acteurs est important (500 000 infirmières, 400 000 aides-soignantes, 125 000 places en SSIAD), mais la répartition reste inégale entre départements. Les territoires bien dotés en établissements ne sont pas forcément ceux qui disposent d’une offre solide à domicile. Les disparités concernent aussi l’hébergement : 610 000 places en EHPAD, 140 000 en résidences autonomie, mais des écarts marqués entre régions, avec un déficit dans le sud par rapport au grand ouest.
Enfin, Elsa Perdrix rappelle que l’accessibilité urbaine (voirie, transports) est un facteur essentiel pour le maintien à domicile, mais reste un sujet peu documenté. Les investissements locaux varient, ce qui accentue les inégalités. Les disparités de financement départemental (APA, ASH) expliquent aussi les différences observées : les dépenses par habitant et les montants moyens par bénéficiaire varient fortement.
Pathologies, lieux d’accueil et innovation
Hélène Amieva (Inserm, Université de Bordeaux) met en avant les pathologies les plus fréquentes chez les personnes âgées. Les maladies neurodégénératives, notamment Alzheimer, sont la première cause de dépendance. Les syndromes parkinsoniens constituent la deuxième cause de démence, tandis que les démences vasculaires devraient croître avec l’allongement de la vie. Les progrès médicaux permettent en effet à des personnes atteintes de pathologies cardiaques de vivre plus longtemps, mais elles développent ensuite des troubles cognitifs liés aux lésions vasculaires.
Hélène Amieva précise aussi que la dépression, dont la prévalence est similaire à celle des adultes, reste mal diagnostiquée chez les personnes âgées. Les symptômes (fatigue, perte d’appétit, troubles du sommeil) sont souvent attribués à des pathologies somatiques, ce qui masque la dépression. Les traitements pharmacologiques posent également un problème : les antidépresseurs n’ont pas été testés chez les personnes âgées. Enfin, les troubles du sommeil sont trop souvent traités par benzodiazépines, prescrites indéfiniment, favorisant les troubles cognitifs.
Le village Alzheimer (village de Dax) s’inscrit dans la réponse aux maladies neurodégénératives, dont Alzheimer est la plus fréquente et la principale pourvoyeuse de dépendance. Hélène Amieva rappelle que ces pathologies, liées avant tout à l’âge, nécessitent des environnements adaptés qui permettent de préserver les repères et de limiter l’angoisse. Le modèle du village vise à offrir un cadre sécurisé, mais aussi une vie sociale ordinaire, afin de réduire l’isolement et les troubles cognitifs associés. Il illustre une approche innovante où la prise en charge médicale est intégrée discrètement dans un espace de vie collectif pensé pour maintenir l’autonomie et la dignité des résidents.
Catherine Jeantet (Âges & Vie) présente le modèle d’habitat partagé en ruralité : petites maisons de huit résidents, souvent des femmes, âgées en moyenne de 88 ans, avec une équipe de 6 à 9 auxiliaires de vie salariées en CDI. Ce modèle crée des emplois locaux stables, rémunérés au-dessus du SMIC. Les maisons sont implantées dans 50 départements, financées via une foncière détenue par la Banque des Territoires, le Crédit Agricole et Clariane. Les soins médicaux sont coordonnés avec les professionnels locaux, mais la désertification médicale reste un frein.
Catherine Jeantet souligne que les résidents rejoignent ces maisons pour rompre l’isolement, après des chutes ou parce que leur logement n’est plus adapté. Le modèle favorise une vie sociale et une présence humaine continue. Les auxiliaires de vie travaillent en équipe, avec une organisation tournante et des logements de fonction. Ce dispositif permet de sédentariser les salariés et d’ancrer l’activité dans les territoires. Chaque maison injecte environ 50 000 euros par an dans l’économie locale.
Spécificités locales et recherches d’harmonisations
Olivier Richefou (Président du Conseil départemental de la Mayenne et Vice-Président de l’ADF), insiste sur les fortes disparités territoriales dans la prise en charge de la dépendance. Selon lui, l’APA et l’ASH, financées par les départements, révèlent des écarts considérables : pour un même GIR, les montants alloués peuvent varier du simple au double, et pour le handicap, d’un à trois. Ces différences tiennent à la diversité des pratiques d’évaluation, réalisées par des équipes pluridisciplinaires qui n’ont pas les mêmes habitudes ni les mêmes critères. Même au sein d’un département, il n’est pas rare de constater des divergences entre équipes. Pour réduire ces inégalités, les départements travaillent avec la CNSA, qui joue un rôle de régulation et propose des paniers moyens afin d’harmoniser les allocations.
Il souligne également la diversité des publics et des acteurs impliqués : EHPAD, résidences autonomie, habitats partagés ou intermédiaires. Cette pluralité rend nécessaire un effort de convergence pour garantir une réponse homogène.
Olivier Richefou aborde ensuite la question de l’attractivité des métiers de la dépendance. Les revalorisations salariales issues du Ségur de la santé ont constitué une avancée, mais la formation reste insuffisante et la mobilité problématique : les aides à domicile utilisent souvent leur véhicule personnel pour se rendre chez les bénéficiaires, sans compensation pour ce temps de travail masqué. Pour y remédier, la CNSA a déployé une enveloppe de 100 millions d’euros destinée à soutenir la mobilité. En Mayenne, des véhicules électriques sont mis à disposition des services d’aide à domicile, financés conjointement par le département et les employeurs, ce qui illustre une initiative concrète pour améliorer les conditions de travail.
Enfin, Olivier Richefou insiste sur la nécessité de mieux centraliser les données. Hormis celles transmises par la Drees, les départements disposent de peu d’informations consolidées. La CNSA porte le projet d’un système d’information commun aux MDPH, qui devrait fournir des données fiables et récentes. Olivier Richefou conclut en rappelant que le vieillissement de la population accroît les besoins, dans un contexte budgétaire contraint. La construction d’EHPAD pourrait ralentir, au profit de solutions intermédiaires moins coûteuses et plus adaptées aux attentes des usagers. Il évoque aussi la possibilité d’une contribution financière accrue des bénéficiaires, notamment via leur patrimoine, et cite l’exemple des tarifs différenciés en EHPAD, modulés selon la capacité contributive.
Véronique Levieux (Adjointe à la Maire de Paris en charge des seniors et des solidarités intergénérationnelles), insiste sur la spécificité de la capitale, à la fois commune et département, qui concentre plus de 480 000 personnes âgées de plus de 60 ans, majoritairement des femmes. Elle souligne que Paris connaît la même tendance de vieillissement que le reste du pays, mais avec des disparités fortes entre arrondissements et une densité urbaine qui accentue les vulnérabilités. En lien avec l’ARS, la municipalité anticipe ces évolutions, notamment avec la construction de deux nouveaux EHPAD, qui viendront s’ajouter aux 79 existants (une quinzaine est gérée par le CASVP). Ces établissements sont envisagés comme lieux de soins mais aussi comme pôles de vie et de ressources, capables de fédérer les acteurs du domicile et de la filière gérontologique.
Il est nécessaire de diversifier l’offre, notamment pour les personnes atteintes d’Alzheimer, avec des projets de maisonnées inspirées du village de Dax, malgré la contrainte foncière très lourde à Paris. La fragilité économique des seniors parisiens est aussi un facteur marquant : si certains comptent parmi les plus aisés, d’autres vivent dans une grande précarité, souvent au minimum vieillesse. Le départ à la retraite est ainsi une période critique, marquée par une perte de repères sociaux et financiers. Pour répondre à cette diversité, Paris s’appuie sur les maisons des solidarités présentes dans chaque arrondissement, véritables portes d’accès aux droits et socles de proximité pour l’écoute et l’orientation. Véronique Levieux insiste sur l’importance des démarches « d’aller vers » pour réduire le non-recours aux droits, en établissant un lien de confiance avec des personnes âgées souvent repliées sur elles-mêmes.
La prévention, qui constitue un autre axe majeur, est financée à hauteur de plus de 6 millions d’euros par an via la commission des financeurs de la perte d’autonomie. Ces crédits permettent d’agir sur l’adaptation des logements, la lutte contre l’isolement et le soutien de projets localisés, notamment dans les quartiers où la précarité des seniors est croissante. Les bailleurs sociaux jouent un rôle clé : la RIVP et Paris Habitat ont développé des stratégies de longévité, recrutant des ergothérapeutes pour diagnostiquer les besoins et adapter les logements. Le parc privé reste plus difficile à mobiliser, mais des dispositifs comme MaPrimeAdapt’ ou l’action de SOLIHA apportent un soutien. Véronique Levieux conclut en rappelant que les seniors parisiens ne sont pas uniquement des bénéficiaires de politiques sociales, ils sont aussi des citoyens actifs, bénévoles et engagés, qui doivent être accompagnés tout au long de leur parcours de vie.
Séquence questions-réponses
Les échanges portent sur l’harmonisation des pratiques départementales, l’attractivité des métiers, la centralisation des données, les contraintes budgétaires et foncières, ainsi que les innovations en matière d’habitat. Les intervenants soulignent la nécessité de convergence, de prévention et d’adaptation, tout en anticipant une augmentation des besoins et une probable contribution financière accrue des usagers.
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Vous pouvez retrouver le programme complet du colloque international retraite et vieillissement 2025 ainsi que les verbatims des discours d’ouverture, des sessions plénières et des tables-rondes sur le site des Politiques sociales de la Caisse des Dépôts (https://politiques-sociales.caissedesdepots.fr/evenements/colloque-retraite-et-vieillissement-2025) et sur le site de la chaire ESoPS de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (https://chaireesops.fr/).
[1] Les services autonomie à domicile (SAD), les services de soins infirmiers à domicile (SSIAD), les services polyvalents d’aide et de soins à domicile (SPASAD), les centres communaux d’action sociale (CCAS), les centres intercommunaux d’action sociale (CIAS).