cicéron
c'est poincarré
Crédit ©Nathan Arsac-Alice Bonzom-Maya Dehove-Corentin Deshaies-Alice Montuori
1. Recomposer le territoire pour s’adapter aux risques
2. Gouverner la recomposition territoriale face aux risques : coordination, échelle et temporalité pour une adaptation durable
3. Acquisition du foncier et financement de la recomposition territoriale : mobiliser les ressources pour transformer
4. Conduire le changement territorial : vers une transition habitée et partagée
5. Transformer la vulnérabilité en opportunité : la valeur ajoutée de la recomposition territoriale
La décision de désurbaniser, qu’elle soit prise en réaction aux conséquences d’une catastrophe naturelle ou en anticipation de celle-ci, soulève de nombreuses interrogations : comment renoncer à bâtir là où l’on vivait ? Que faire des espaces libérés ? Est-ce forcément un échec face à la Nature, ou peut-on y voir une autre forme d’adaptation ?
Le terme même de « désurbanisation » évoque la perte, l’effacement, l’abandon, alimentant l’idée que toute réduction de la vulnérabilité serait synonyme de repli ou de défaite. Pourtant, cette approche peut aussi être l’amorce d’une transformation profonde. En effet, la recomposition territoriale, loin de se résumer à un abandon, peut devenir un véritable levier de valorisation, offrant aux territoires des opportunités spatiales, sociales, économiques et environnementales.
La recomposition territoriale modifie les équilibres d’un territoire en redistribuant les populations et les activités, laissant en héritage des espaces souvent perçus comme délaissés ou vacants. Ces territoires, plutôt que de représenter une perte, ouvrent la voie à une reconfiguration spatiale où de nouvelles ambitions peuvent émerger. Le Fonds Barnier, par exemple, interdit toute reconstruction sur les parcelles acquises, poussant les communes à repenser l'aménagement de manière systémique. Les projets observés montrent une volonté croissante de concilier gestion du risque, cadre de vie amélioré et développement local, notamment par le tourisme. Les projets de recomposition territoriale peuvent ainsi devenir des leviers de transformation, où le stigmate se mue en ressource et le retrait en projection vers l'avenir.
L’un de effets les plus tangibles de ces recompositions réside dans le transferts de propriété des espaces déconstruits : du privé vers le public. Cette mutation augmente mécaniquement la part d'espace public dans les communes et permet de repenser les usages de manière plus ouverte et inclusive. Ces nouveaux espaces publics deviennent des lieux de sociabilité et de rencontre, améliorant la qualité de vie des habitants et favorisant de nouvelles formes de solidarité et d'appropriation collective du territoire. Ils constituent autant d’opportunité pour créer du lien social et renforcer l’identité communale.
Les recompositions territoriales soulèvent souvent des enjeux patrimoniaux complexes, notamment lorsque des bâtiments classés sont concernés. Leur conservation, soumise à des règles strictes et parfois incompatibles avec les impératifs du Fonds Barnier, oblige les collectivités à faire des choix difficiles entre protection du patrimoine et réduction des vulnérabilités. Face à ces dilemmes, des solutions intermédiaires émergent : renforcer certains bâtiments pour éviter des effets en cascade, déconstruire des éléments symboliques lorsqu’ils représentent un danger, ou encore conserver sans usage des structures patrimoniales en leur attribuant de nouvelles fonctions écologiques ou paysagères. Ces exemples montrent qu’il n’existe pas de réponse unique, mais plutôt une nécessaire recherche d’équilibre entre mémoire et sécurité. Cette gestion pragmatique du patrimoine permet d’assurer une continuité territoriale tout en projetant les habitants vers un avenir plus résilient.
Les projets de recomposition territoriale permettent de repenser en profondeur le rapport au territoire dans une perspective de résilience et de dynamisme économique. La désurbanisation imposée par le risque ouvre des opportunités inédites pour repenser la vocation des territoires. Par exemple, après une catastrophe, lorsqu’une commune ne peut plus reconstruire à l’identique à cause en raison de la vulnérabilité de l’espace, elle a l’opportunité de se saisir de cette réalité pour repenser entièrement l'aménagement du territoire. L’objectif : mieux résister aux futurs aléas et d’offrir un cadre de vie embelli.
A Couffoulens, dans l'Aude, la déconstruction du quartier pavillonnaire d'entrée de village a permis de créer un skatepark et un jardin faisant de ce quartier un lieu de vie dynamique malgré les bouleversements qu'il a subi. Les équipements collectifs submersibles mis en place valorisent l’espace et permettent l’accès à de nouveaux usages urbains.
L’un des premiers effets visibles de ces recompositions territoriales est l’émergence d’un nouveau dynamisme économique, fondé sur une relecture des paysages et des usages. À Quiberville-sur-Mer, par exemple, la destruction d’un camping situé en zone à risque a conduit la commune à relocaliser l’activité sur un autre site, en misant sur un équipement touristique plus qualitatif et axé sur l’écologie. Cette relocalisation a permis de renouveler l’image du territoire, d’en renforcer l’attractivité et de générer des retombées économiques, transformant ainsi une contrainte en véritable levier de développement. Dans la vallée de la Roya, la recomposition des espaces dévastés s'est accompagnée de projets destinés à relancer le tissu économique local à travers un tourisme renouvelé, illustrant cette capacité de transformation économique des territoires.
Sur le plan social, la recomposition territoriale s'efforce de répondre aux besoins des habitants, passant par des logiques de relogement qui articulent protection, cohérence de trajectoire de vie et qualité du cadre résidentiel. Le traumatisme de la catastrophe et l'énergie de la réparation qui en émergent peuvent impulser une nouvelle solidarité locale, renforçant les liens entre les habitants et favorisant une transformation sociale durable.
Dans la vallée de la Roya, l'association « Remontons la Roya » est née à la suite de la tempête Alex (voir lien), qui a profondément bouleversé le territoire et ses habitants. Cette initiative citoyenne incarne une réponse solidaire et collective à la catastrophe, en mobilisant les habitants autour de la reconstruction de leur vallée, tant sur le plan matériel qu'humain. À travers des actions de sensibilisation, des moments de partage et des projets participatifs, l'association renforce les liens entre les habitants de la vallée et favorise cette recomposition spatiale et sociale.
La recomposition territoriale induite par la désurbanisation des zones exposées aux aléas représente également une opportunité environnementale majeure. Plutôt que de réinvestir ces espaces fragilisés, leur renaturation ouvre la voie à une transformation en profondeur de la relation entre société et milieu naturel. En libérant des terrains anciennement urbanisés, on rend possible la restitution de fonctions écologiques longtemps compromises, créant des zones tampons utiles lors des crues et restaurant des écosystèmes dégradés.
Dans la vallée de la Roya et dans l'Aude, les autorités locales et les syndicats de gestion des bassins versants ont mené des opérations de reconfiguration hydraulique visant à laisser davantage de place aux cours d'eau, illustrant cette approche de cohabitation avec les dynamiques naturelles. L'exemple du projet de Parc Agricole Naturel Urbain à Blois illustre une recomposition post-désurbanisation qui dépasse la seule logique de retrait. Il vise à créer, à l'entrée de la ville-centre, un paysage de transition entre ville et campagne qui intègre à la fois des projets d'agriculture urbaine et un recours à la nature très faiblement aménagée. Ce parc a pour objectif de redonner une place centrale à l'eau : des mares et des cheminements de promenade seront aménagés le long du ruisseau du Cosson, rappelant la présence active du milieu aquatique et favorisant la cohabitation avec les dynamiques naturelles.
Découvrez ici les 4 épisodes de notre podcast Ce(ux) que l’eau déplace, qui donne une voix à notre recherche à travers des récits captivants et des entretiens inspirants avec de nombreux acteurs engagés pour explorer en profondeur les enjeux de la recomposition territoriale :
Découvrez notre rapport complet « Recomposer le territoire pour s’adapter aux risques » consultable en ligne sur le site de l'Institut pour la recherche