L'impact économique de l'IA
L'impact de l'intelligence artificielle sur la productivité, l’innovation et la croissance économique suscite bien des débats. L'IA peut stimuler la croissance de deux manières : en automatisant des tâches de production de biens et services, et en facilitant la génération d'idées nouvelles. Elle pourrait augmenter la croissance de 0,8 à 1.3 point par an sur la prochaine décennie. Cependant, il est vrai que les effets de l'IA ne se reflètent pas encore dans les chiffres de productivité, car les révolutions technologiques prennent souvent du temps avant de se traduire par des gains concrets.
Absence de concurrence et concentration du marché : des freins à l’innovation
Il est important de noter que l'absence de concurrence peut freiner le potentiel de croissance de l'IA. Les GAFAM, par exemple, dominent le marché et inhibent l'entrée de nouvelles entreprises innovantes. Le Cloud est dominé par trois entreprises : Amazon, Google, Microsoft. Et il n’y a qu’un seul grand acteur sur le marché des processus graphiques (GPU). L'absence de concurrence limite le potentiel de croissance technologique de l'IA. Si la politique de concurrence ne s'adapte pas, les grandes entreprises continueront à capturer la majorité des gains, laissant peu de place aux petites entreprises. Cela crée une inégalité qui pourrait nuire à l'innovation.
Articuler développement de l’IA et transition écologique
En intégrant des politiques d'innovation équilibrées avec une politique de la concurrence, nous pouvons maximiser les avantages de l'IA tout en soutenant un développement durable et inclusif. L’IA a le potentiel d'accélérer l'innovation. Mais l'IA peut également détourner des ressources d'autres domaines d'innovation, comme les technologies vertes. Il est crucial d'avoir des politiques d'innovation verte en parallèle avec le développement de l'IA. La taxe carbone, par exemple, ne suffit pas. Nous avons besoin de politiques industrielles vertes et de subventions à la recherche dans ce domaine. L'histoire a montré que des révolutions technologiques, comme celle du gaz de schiste aux États-Unis, peuvent détourner des ressources de recherche des énergies renouvelables. Il est donc essentiel de ne pas privilégier l'IA au détriment d'autres innovations cruciales pour notre avenir. Pour garantir une allocation efficace des ressources, il est essentiel de sélectionner des projets innovants qui présentent un fort potentiel d'externalités technologiques. Actuellement, des mécanismes comme le crédit d'impôt recherche ne ciblent pas suffisamment les innovations de rupture. Il est donc crucial de développer des politiques qui encouragent l'innovation dans divers domaines, en mettant l'accent sur des projets à fort potentiel de croissance.
Diriger l'innovation vers la qualité plutôt que la quantité
Un point central est la nécessité d'une politique industrielle verte, en plus de la taxe carbone. La taxe carbone à elle seule ne suffit pas. Je m'intéresse à la manière dont nous pouvons orienter l'innovation vers des solutions durables, tout en intégrant des idées issues de la décroissance. Je crois qu'il est possible de diriger l'innovation vers la qualité plutôt que la quantité, ce qui pourrait avoir un impact positif sur l'environnement. L’innovation « de qualité » désigne une innovation qui augmente l’utilité à consommer une unité du bien de consommation en question, par contraste avec une innovation qui permet de produire davantage d’unités de consommation par heure de travail. Il s’agit de mettre l’accent sur la qualité des biens consommés, qui est directement liée à la quantité de service consacrée à leur production. Une innovation de qualité se traduit par des produits ou services qui, bien que potentiellement aussi polluants que d'autres, offrent une valeur ajoutée significative en termes de services. Par exemple, un repas dans un bon restaurant peut être aussi polluant qu'un fast-food, mais il implique une qualité de service et d'expérience qui justifie son impact. En favorisant des biens et services de qualité, nous pouvons réduire notre empreinte écologique, car les services sont généralement moins polluants que la production industrielle.
Au final, même si la croissance du PIB peut sembler moins importante, la véritable croissance, celle qui compte, est celle qui se concentre sur la qualité. Les consommateurs, en général, tendent à privilégier la qualité à mesure qu'ils deviennent plus aisés. Cela doit être encouragé par des politiques qui favorisent l'innovation de qualité.
Coordonner la décarbonation de l’ensemble de la chaîne de valeur
Un des principaux obstacles à l’innovation verte est la dépendance aux technologies polluantes du passé. Les entreprises qui ont historiquement innové dans des technologies polluantes ont tendance à continuer dans cette voie. Il est donc essentiel de mettre en place des politiques qui encouragent une transition vers des technologies plus durables, tout en incitant les consommateurs et les entreprises à privilégier la qualité et l'innovation ouverte. Il est également crucial de coordonner la décarbonation à tous les niveaux de la chaîne de valeur, depuis les matières premières jusqu'à la production finale. Prenons l'exemple des voitures électriques. Elles utilisent des batteries qui contiennent à la fois des composants propres et polluants. La politique industrielle joue un rôle clé dans cette coordination, car si certains niveaux de la chaîne ne se décarbonent pas, cela réduit l'incitation pour les autres niveaux à le faire. La politique industrielle verte doit être accompagnée de mesures incitatives, comme des subventions pour les entreprises qui adoptent des pratiques durables. En même temps, il est nécessaire d'imposer des taxes carbone pour ceux qui ne se conforment pas aux nouvelles normes. Cela crée un environnement où les entreprises sont motivées à innover tout en étant conscientes des conséquences de leurs actions. La consommation énergétique de l'IA est un aspect important. Bien que l'IA consomme de l'énergie, l'innovation permettra de réduire cette consommation. Par exemple, l'IA peut optimiser l'utilisation des ressources rares et réduire les déchets. Il est essentiel de faire un bilan global, car l'IA peut également contribuer à économiser de l'énergie dans d'autres domaines.
L'avenir des innovations vertes et de l'intelligence artificielle dépendra de notre capacité à créer un cadre politique qui favorise l'innovation de qualité tout en garantissant une transition vers des pratiques durables. Nous devons encourager les entreprises à innover de manière responsable et à se décarboner, tout en veillant à ce que les bénéfices de ces innovations soient largement partagés. En intégrant ces principes dans nos politiques, nous pouvons construire un avenir plus durable et équitable.
Un impact positif sur l’emploi sous certaines conditions
L’impact de l’usage de l’IA en ce qui concerne l'emploi est un sujet complexe. Il pourrait être positif, contrairement à ce que pensent certains. Les entreprises qui adoptent l'IA deviennent plus productives et compétitives, ce qui peut entraîner une augmentation de l'embauche. Nous avons montré que les entreprises utilisant l'IA peuvent être amenées à augmenter leur effectif, à condition que certaines conditions soient remplies.
En effet, pour que l'impact de l'IA sur l'emploi ne soit pas positif, il faut que trois conditions soient réunies : que les emplois soient très exposés à l'IA, que la majorité des tâches soient remplaçables par l'IA, et que l'IA soit utilisée principalement pour des tâches administratives. Si l'une de ces conditions n'est pas remplie, l'impact sera positif.
Dans nos travaux récents portant sur la France[1], nous montrons que certaines utilisations de l'IA (par exemple, pour la sécurité des technologies de l’information et de la communication) entraînent une croissance de l'emploi, tandis que d'autres utilisations (par exemple, les processus administratifs) ont des effets négatifs. L’impact hétérogène sur l’emploi semble être dû aux différentes utilisations de l'IA, plutôt qu’à des caractéristiques inhérentes des professions. Cela souligne l'importance de la formation professionnelle. Pour maximiser l'impact positif de l'IA sur l'emploi, il est crucial d'améliorer notre système éducatif et de mettre en place des politiques de flexisécurité, comme celles en vigueur au Danemark.
Réguler sans freiner l’innovation
Il est nécessaire de réguler l'usage de l'intelligence artificielle. Il est essentiel de protéger les individus contre les abus de l'IA, mais il faut veiller à ce que la régulation ne nuise pas à la concurrence. Trop de réglementation peut avantager les grandes entreprises au détriment des petites, ce qui pourrait freiner l'innovation.
Pour aller plus loin :
©Revue d'économie financière
Revue d'économie financière, 3e trimestre 2025 N°159
La finance à l'ère de l'intelligence artificielle
Ce numéro réunit treize articles structurés en trois parties : enjeux économiques et financiers du déploiement de l’IA ; impact de l’IA sur le secteur financier ; risques et supervision.
Les contributions couvrent des thèmes variés : besoins de financement et enjeux éthiques (C. Villani), effets sur productivité et innovation et la nécessité d’une politique industrielle pour l’IA (P. Aghion), mesures de diffusion de l’IA via l’analyse des brevets (A. Bergeaud), rôle des banques centrales et des DLT (A. Benassy Quéré & D. Zhang). D’autres articles analysent les applications opérationnelles et les gains attendus (J.-P. Mazoyer & X. Boileau), l’importance centrale des données (C. A. Lehalle), l’impact des données alternatives sur l’efficience informationnelle (T. Foucault), les limites de l’IA dans les modèles réglementaires de crédit (C. Hurlin & C. Pérignon) et l’usage des LLMs dans le conseil financier (A. Lo & J. Ross). La partie finale se concentre sur les risques générés par l’IA générative (T. Adrian et al.), les incidents et approches de supervision (C. Balagué), l’état des cadres réglementaires européens et l’AI Act (G. Bagattini et al.), ainsi que la comparaison des régulations dans 49 juridictions (I. Nassr).
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[1] Aghion P. et al., How Different Uses of AI Shape Labor Demand: Evidence from France, American Economic Association Papers and Proceedings, à paraître 2025.