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article CD'enjeux 20 juil. 2023

Accord UE-Mercosur : les dangers d’une ratification en l’état

Par la population concernée (près de 780 millions de personnes) et les volumes d'échanges couverts (88 et 34 milliards d'euros par an respectivement pour les biens et les services[1]), le projet d'accord commercial entre l'Union Européenne (UE) et les pays du Mercosur est actuellement l'accord commercial le plus important conclu par l'UE.

L’accord a été finalisé en 2019 après vingt ans de négociations menées dans la plus grande opacité et sans être éclairé par une évaluation à jour de l’impact sur la durabilité (EID), normalement obligatoire. Depuis 2019, cet accord est en attente de ratification par l’UE et par chacun des États membres, condition nécessaire à sa mise en application définitive. Mais plusieurs gouvernements[2], dont la France, ont exprimé leur opposition et des résolutions parlementaires contraignantes contre sa ratification ont été adoptées en Autriche en 2019 et aux Pays Pas en 2023. Le Parlement européen a également souligné l’incompatibilité de l’accord avec les engagements environnementaux et sanitaires européens. Le rapport de la « Commission Ambec »[3] a souligné que les bénéfices économiques attendus ne compenseront pas les coûts environnementaux et sanitaires.

Depuis le printemps 2022, de nombreux facteurs ont favorisé la relance du processus de ratification. Candidat à l’élection présidentielle de 2022, Lula avait exprimé sa volonté de parvenir à un accord dans les six mois suivant son élection. Sa victoire offrant davantage de garanties sur les enjeux environnementaux que celle de Bolsonaro et l’instabilité liée à la guerre en Ukraine ont incité certains acteurs représentants de l’UE et des États membres (notamment les présidences tournantes du Conseil suédoises et espagnoles en 2023) à relancer le processus de ratification.

De nombreux acteurs comptaient profiter du Sommet UE-CELAC des 17 et 18 juillet 2023, pour aller de l’avant. Cependant, le contenu de cet accord du siècle dernier soulève de nombreuses préoccupations qui justifient de ne pas le ratifier.

Un accord qui enferme les pays du Mercosur dans un rôle d’agro-exportateur

En 2017, les produits agricoles et alimentaires représentaient 42 % des biens et services importés par l’UE depuis le Mercosur[4]. Premier exportateur vers l’Europe de nombreux produits agricoles et alimentaires comme le soja, le bœuf ou la volaille, le Mercosur représente plus de 70% des importations européennes de viande bovine et 50 % de celles de viande de volaille[5]. De son côté, l’UE est l’un des principaux fournisseurs du Mercosur pour les produits manufacturés (machines, voitures et pièces détachées, produits chimiques et pharmaceutiques).

Souvent présenté comme un « accord viandes contre voitures », l’accord contribuerait à enfermer encore un peu plus les pays du Mercosur dans un rôle d’agro-exportateur.

Une hausse des exportations agricoles et de la déforestation

Alors que le Mercosur est déjà l’un des principaux fournisseurs agro-alimentaires de l’UE, l’accord prévoit une suppression des droits de douane sur 92% des biens du Mercosur exportés vers l’UE. Cette suppression des droits de douanes pourrait favoriser l’augmentation des exportations vers l’UE et, par voie de conséquence, celle de la production et de la pression environnementale dans les pays du Mercosur.

En effet, la ratification de l’accord entraînerait une augmentation de 5% à 25% par an de la déforestation au cours des six premières années de sa mise en application du seul fait de la hausse de la production de viande bovine engendrée par la négociation[6]. Ces volumes pourraient menacer des biomes tel que l’Amazonie, le Cerrado ou le Gran Chaco, ce qui contredirait le règlement interdisant la déforestation importée adopté par l’UE en 2023.

Pesticides dans nos assiettes, un cercle vicieux favorisé par l’accord ?

Le Brésil importe près de la moitié de la production européenne de néonicotinoïdes interdits, fournie principalement par la Belgique, l’Allemagne et la France - dont les pesticides prohibés ont théoriquement été interdits à l’exportation en 2022. Cet accord encouragerait encore plus l’importation de ces produits par le Brésil et les autres pays du Mercosur via la réduction des droits de douane.

 

Alors que le Brésil est le deuxième pays d’importation de matières premières agricoles et d’aliments pour l’UE, sa législation en matière de pesticides est l’une des moins contraignantes. A titre d’exemple, les LMR (Limites maximales de résidus) du glyphosate dans l’eau potable y sont 5000 fois supérieures à celles de l’UE. Les pesticides interdits exportés par l’UE se retrouvent finalement dans les produits agricoles qu’elle importe du Brésil. Une étude du Pesticide Action Network (PAN)[7] a révélé́ la présence de résidus de pesticides interdits ou strictement règlementés dans 12% des aliments échantillonnés en provenance du Brésil et à destination de l’UE : plus de la moitié des pommes (77%), du riz (60%) et des haricots (53%) étaient concernés.

Le risque de « splitting » de l’accord ou de recours à un accord commercial intérimaire

La Commission souhaite isoler le volet commercial de l’accord de manière à contourner un vote à l’unanimité des États membres au Conseil et l’approbation par tous les parlements nationaux et faciliter la ratification de l’accord. La France doit s’opposer à cette manœuvre pour conserver son droit de veto sur le texte.

Nos recommandations

Trois lignes rouges ont été posées par la France. Elles doivent être maintenues et déclinées en clauses contraignantes de conditionnalité tarifaire dans le cadre de l’accord. Il s’agit :

  1. d’assujettir l’accord UE-Mercosur au respect des engagements climatiques des parties ;
     
  2. de ne pas induire une augmentation de la déforestation importée au sein de l’UE ;
     
  3. et de conditionner l’accès des produits agroalimentaires au marché de l’UE au respect des normes sanitaires et environnementales européennes via des clauses puis des mesures miroirs.

Plus fondamentalement, il nous semble que l’UE ne peut ratifier un accord aussi anachronique au contenu et à la logique incompatibles avec les objectifs du Pacte vert européen. L’Europe doit à la place privilégier de nouvelles formes de partenariats stratégiques sur les enjeux écologiques et sociaux.

 

 

La Caisse des Dépôts soutient les activités de la Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH). Reconnue d’utilité publique, la FNH œuvre depuis 1990 pour des solutions écologiques et solidaires en élaborant des propositions de politiques publiques qui placent les enjeux écologiques au cœur de la société.

 

 

 

Lire & Télécharger les rapports

 

 

 

 

FNH-Institut Veblen-Interbev, UE-Mercosur : les dangers d’une  ratification de l’accord de commerce en l’état. Mars 2023 https://www.fnh.org/accord-commerce-union-europenne-mercosur-dangers-ratification/#

 

 

 

  

 

 

 

 

 

 FNH-Institut Veblen : Pesticides néonicotinoïdes : comment donner de l’ambition aux mesures miroirs européennes ? Juin 2023 https://www.fnh.org/wp-content/uploads/2023/06/Rapport-mesures-miroirs-pesticides-neonicotinoides-1.pdf

 

 

 

 

 

 

 

[1] Ces chiffres sont ceux donnés par la Commission au moment de l’annonce de la finalisation de l’accord, soit avant le Brexit. Voir le communiqué de presse et les éléments essentiels.

[2] L’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la France et l’Irlande avaient pris position contre cet accord. La Bulgarie, la Lituanie, le Luxembourg, la Roumanie et la Slovaquie avaient aussi exprimé de fortes réserves.

[3] Rapport au Premier ministre, Dispositions et effets potentiels de la partie commerciale de l’accord entre l’UE et le Mercosur en matière de développement durable, 7 avril 2020.

[4] Ibid

[5] FNH-Institut Veblen, Un accord perdant - perdant. Analyse préliminaire de l’accord de commerce entre l’UE et le Mercosur, 2019.

[6] La Commission Ambec met en avant le chiffre de 5 % qui prend uniquement en compte la surface de déforestation nécessaire pour la part de viande consommée en Europe (c’est-à-dire essentiellement le morceau d’aloyau).

[7]  PAN Europe, Technical Report, Residues of Banned Pesticides in the EU Food, A state of play. Septembre 2020.