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10 oct. 2025

La concession d'aménagement : un outil puissant face aux nouvelles exigences urbaines

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7min

Dans un contexte où les projets urbains se complexifient et où les ressources publiques se raréfient, la concession d'aménagement cristallise une tension fondamentale : comment concilier ambition territoriale et réalisme économique ? Comment transformer un outil juridique en véritable levier de transformation urbaine ?

Au-delà des aspects techniques, le choix d'un concessionnaire d’aménagement révèle la manière dont les collectivités conçoivent le rôle de maître d'ouvrage, leur rapport aux risques. Il interroge aussi la nature même du partenariat entre sphère publique et opérateurs privés dans la fabrique de la ville.

La concession d'aménagement : souplesse et complexité

La concession d’aménagement est un outil essentiel dans la mise en œuvre de projets urbains complexes. Tout comme les concessions « de droit commun », il s’agit d’un contrat public soumis aux dispositions du code de la commande publique mais qui présente de nombreuses particularités, faisant d’elle un outil juridique très spécifique. 

Elle permet à la personne publique compétente en matière d’aménagement de confier à un aménageur une mission globale incluant travaux d’espaces et d’équipements publics, réalisation d’opérations de construction ou de réhabilitation, acquisition et cession du foncier, etc.[1] Le tout reposant sur un bilan d’aménagement équilibré, avec ou sans subventions et participations publiques, intégrant les recettes et dépenses prévisionnelles sur toute la durée de l’opération d’aménagement.

L’intérêt de cet outil tient à sa souplesse, sa capacité à intégrer un objectif de projet à long terme - souvent dix à vingt ans - et la répartition des risques entre la personne publique et le concessionnaire. Encore faut-il bien choisir la procédure de passation, puis l’attributaire de la concession.

Marché ou concession : un choix qui engage l’avenir

Premier enjeu souvent sous-estimé la qualification juridique du contrat : marché ou concession ? Le choix d’un concessionnaire d’aménagement ne commence pas au moment de la rédaction du dossier de consultation des entreprises. Il s’inscrit dans un projet urbain articulé autour d’une vision territoriale, d’une programmation claire, et surtout d’un travail préalable sur le bilan d’aménagement.

Pour les concédants (et/ou ses assistances à maîtrise d’ouvrage), la première question à trancher est celle de la procédure à mettre en œuvre. Elle doit à la fois servir le projet – en tenant compte des caractéristiques urbaines, foncières et économiques – et être adaptée au niveau de risque que la collectivité souhaite – ou peut – transférer au concessionnaire.

Selon le degré de risque transféré au concessionnaire, la concession d’aménagement sera juridiquement qualifiée de « concession » au sens strict ou de « marché public » au sens du code de la commande publique. Lorsque le concessionnaire assume une part significative du risque économique lié à l’opération (commercialisation, aléas fonciers, etc.), il s’agira bien d’une concession ; lorsque ce risque reste à la charge du concédant (recettes constituées principalement de subventions publiques, obligation pour le concédant de racheter les terrains non cédés, etc.), la concession d’aménagement sera considérée comme un marché public.

Il s’agit évidemment d’un choix stratégique qui conditionne la procédure de passation et les relations à venir avec le partenaire. Trop souvent les collectivités abordent cette question sous l'angle de la conformité réglementaire alors qu'elle devrait faire l'objet d'un débat politique assumé : quel niveau de risque la puissance publique est-elle prête à conserver ? Quelle marge d'autonomie souhaite-elle laisser à son partenaire ? Ses arbitrages conditionnent toute la relation contractuelle et in fine la capacité du projet à s'adapter aux imprévus.

Dans le cadre d’une concession d’aménagement avec transfert de risque, une matrice de répartition des risques entre le concédant et le concessionnaire est généralement prévue au contrat. Elle permet de calibrer précisément le niveau de risque transféré au concessionnaire, tout en assurant un pilotage étroit par la collectivité.

Toujours privilégier la négociation

Que ce soit dans le cadre d’une procédure de type « concession » ou de type « marché », le recours à une procédure avec négociation doit toujours être privilégié. Elle permet de mieux cerner les ambitions des candidats et de clarifier les zones d’incertitude du projet. Cette souplesse est précieuse pour des opérations complexes, qui nécessitent d'ajuster certains paramètres au fil des échanges.

Le formalisme de la procédure de passation avec négociation est souvent plus important qu’une procédure d’appel d’offres ou sans négociation, mais le gain en qualité des candidatures et en adéquation avec le projet urbain en vaut souvent la peine.

Reste que cet exercice suppose une ingénierie publique solide capable de mener les échanges avec rigueur et de maintenir l'équité entre les candidats. Ce n'est pas toujours le cas, notamment dans les collectivités de taille moyenne où les ressources internes sont limitées.

Quel rôle pour la commission aménagement ?

La question de la commission aménagement illustre parfaitement les ambiguïtés de la gouvernance de ces opérations.  De fait, l’organisation de la ou des réunions de la commission aménagement, chargée de donner son avis quant au choix de l’attributaire du contrat, pose souvent question aux concédants. En effet, son encadrement législatif est très sommaire[2] et les incertitudes entourant sa composition ou son formalisme peuvent fragiliser la procédure.

Sans cadrage préalable, ces zones grise peuvent fragiliser la procédure d'où l'intérêt croissant dans certaines collectivités de formaliser en amont les règles du jeu en mettant en place un règlement intérieur spécifique à l’organisation de ce type de commission ou à tout le moins, en planifiant cette organisation avant la délibération initiale de lancement de la procédure de consultation. Cette anticipation permet d’encadrer les échanges, de formaliser les critères de notation, et de garantir la sécurité juridique de la procédure.

Le choix de l'aménageur : une équation à plusieurs dimensions

Au-delà de la procédure de sélection, le succès d’une concession d’aménagement repose évidemment sur la qualité du partenariat avec l’aménageur. Cela suppose un travail de recherche voir de sourcing en amont, afin d’identifier les opérateurs réellement intéressés et compétents pour porter le projet.

Surtout, ce sont les critères et les éléments structurant le choix du concédant qui seront décisifs, et qui feront la différence entre une opération portée collectivement et un contrat subi.

Entre cadre et liberté : le casse-tête des marges de manœuvre

Tout dossier de consultation charrie une tension invisible dans la définition des marges de manœuvre laissées aux candidats : que peut-on faire évoluer dans le programme prévisionnel, en sachant que l’économie générale du projet tel que présenté dans le dossier de consultation des entreprises doit être respecté par les candidats dans l’offre ? Dans toute opération d’aménagement, certains paramètres sont intangibles - périmètre, objectifs environnementaux, densité, composition urbaine, etc. -, tandis que d’autres peuvent évoluer.

Il s’agit de choix politiques et stratégiques devant être anticipés pour permettre aux candidats de construire une offre réaliste, adaptée et innovante, sans dériver du projet initial. C'est aussi se donner les moyens de comparer les offres sur des bases communes et transparentes, un exercice d'équilibriste mais qui conditionne la qualité des réponses.

Le traité de concession d’aménagement : véritable socle du partenariat

Si la procédure de sélection cristallise l'attention c'est pourtant le traité de concession qui constituera le socle de la relation sur 20 ans ou plus. Le traité de concession d’aménagement est le cœur juridique et opérationnel de la relation entre la collectivité et le concessionnaire.

Programme, calendrier, conditions financières, tout y est bien sûr. Mais aussi, les missions précises de l’aménageur, les modalités de pilotage, les clauses de revoyure en cas de dérive du bilan, les conditions de sortie anticipée si le contexte évolue brutalement, ainsi que les conditions de clôture de l’opération.

Trop de collectivités sous-estiment le temps nécessaire à la rédaction de ce document, que ce soit en phase de préfiguration mais surtout en phase de négociation. Trop d'aménageur aussi, pressés d'entrer en phase opérationnelle. Pourtant c'est dans les détails du traité que se nichent les sources de contentieux futurs : un engagement mal retranscrit, une responsabilité floue, une clause de revoyure trop rigide.

La phase de négociation est cruciale elle doit permettre de traduire fidèlement les engagements du candidat retenu dans le traité de concession définitif, de lever les ambiguïtés, d'anticiper les points de friction. C'est un investissement de temps considérable mais c'est aussi la meilleure garantie d'un partenariat serein.

Le bilan d’aménagement : boussole de l’opération

Enfin, le bilan d’aménagement doit être travaillé dès la préfiguration de la concession. S’il est souvent perçu comme un exercice comptable aride, il est pourtant à la fois un outil de faisabilité de l’opération et un référentiel d’analyse. Une collectivité qui a travaillé finement son bilan prévisionnel dispose d’un référentiel solide qui lui donne la capacité de juger pertinemment les offres : réalisme des dépenses, équilibre financier, pertinence des hypothèses de commercialisation ou des recettes de cession.

A l'inverse une collectivité qui aborde l'analyse des offres sans cette boussole économique se retrouve désarmée. Trop souvent, le prix proposé par le candidat est lu comme une donnée brute, sans analyse critique des postes qui le composent. Résultat : des bilans parfois optimistes reposant sur des hypothèses de marché fragiles qui se révèlent inadaptées quelques années après la signature du contrat.

L'enjeu est de pouvoir challenger les propositions des candidats sur des bases objectives et de sécuriser l'équilibre financier sur la durée. Une bonne pratique consiste à intégrer des outils d’analyse économique dans la grille de notation (pertinence des hypothèses choisies, critique des ratios utilisés, analyse du calcul de la marge aménageur, etc.).

Conclusion : redonner du sens au partenariat

Choisir son concessionnaire d’aménagement n’est ni un acte technique isolé, ni une simple formalité juridique. C’est un engagement stratégique de long terme, qui nécessite une méthodologie rigoureuse, un cadrage clair des attentes et une gouvernance solide tout au long du processus.

Cet engagement suppose une méthodologie rigoureuse certes, mais aussi une vision claire de ce que la collectivité veut vraiment accomplir. Cela suppose de dépasser la logique purement contractuelle pour construire une véritable gouvernance partagée du projet.

Une gouvernance solide, des attentes explicites, des critères de choix assumés politiquement, autant d'ingrédients sans lesquels la concession d'aménagement risque de se vider de son potentiel transformateur. La concession d'aménagement reste un levier puissant pour les collectivités à condition de ne pas se tromper de combat : l'enjeu n'est pas de trouver le partenaire le moins cher mais celui qui saura incarner, avec elle, une ambition territoriale sur le temps long.

 

[1] Article L. 300-4 du code de l’urbanisme

[2] Article R. 300-9 du code de l’urbanisme