La Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques 2022 (COP27) s’est déroulé du 6 au 18 novembre 2022, à Charm el-Cheikh, en Egypte, dans contexte peu propices aux négociations et à la coordination internationales. Toutefois, l’urgence climatique, qui se fait davantage ressentir, implique une mobilisation générale de toutes les parties prenantes, en premier lieu duquel les pays développés, ainsi que des financements massifs pour verdir les économies.

Stéphane Voisin, coordinateur du programme interdisciplinaire Green and Sustainable Finance à l’Institut Louis Bachelier, tire un premier bilan de cette COP sur les aspects financiers. Interview.

La COP27 s’est clôturée ce samedi 19 novembre en Égypte, quels en sont les enseignements selon vous ?

Une COP particulièrement difficile vient de s’achever, car il s’agissait de trouver un consensus sur la mise en œuvre des moyens pour appliquer l’Accord de Paris - le fameux « Rolling Book » dans le jargon des négociateurs - afin d’accélérer la lutte contre le réchauffement climatique dans un contexte géopolitique et énergétique sans doute le plus tendu depuis le début des négociations climatiques en 1993. D’un autre côté, le rythme effréné des catastrophes climatiques depuis ces dernières années et particulièrement en 2022, qui illustrent déjà les deux derniers volets du 6ème rapport du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat des Nations unies) a plutôt servi les ambitions climatiques de cette COP et a permis de remettre la question de la justice climatique au centre des débats.

Le fait que la COP ait enfin lieu hors d’Europe et plus particulièrement en Afrique a-t-il stimulé cette question de justice climatique, au détriment des enjeux de la finance climat plus nettement portés par les européens ?

En effet, alors que l’atténuation était au centre de la COP26, la COP27 africaine s’est concentrée sur l’adaptation au changement climatique, mais dans les deux cas les enjeux financiers ont été au cœur des négociations, notamment sur cette question centrale de justice climatique, qui n’avait jamais pu être résolue ou même abordée lors des COP précédentes. Cette dynamique nouvelle a été initiée par l’administration Biden et l’Europe semble lui emboiter le pas. Il convient, toutefois, d’analyser cette dynamique avec circonspection, car il y a sans doute entre les lignes un arbitrage implicite consistant pour les pays riches à échanger une compensation financière à l’adaptation contre le renoncement à l’objectif de 1.5 degré, qui était essentiellement une exigence des pays les plus vulnérables pour arracher l’Accord de Paris, et qui apparait désormais trop radical pour nombres d’acteurs (notamment pour dessiner leurs trajectoires dites « net-zéro » émissions).

Quels sont précisément les enjeux financiers liés à la justice climatique ?

Ce sont d’abord les engagements budgétaires des pays riches qui sont au cœur des débats ; à savoir comment les pays du G20, historiquement responsables de 80 % des émissions mondiales, peuvent-ils compenser les pays les plus pauvres (et notamment africains, représentant seulement 3% des émissions mondiales) qui vont les premiers payer l’addition du réchauffement climatique global ? (Selon le GIEC, l'Afrique subsaharienne pourrait perdre 12% de son PIB d'ici 2050 et 80% d'ici 2100). Cette asymétrie plaide pour ce que les négociateurs du climat nomment une « responsabilité commune mais différenciée » qui engage depuis la COP15 les pays développés à mobiliser chaque année 100 milliards de dollars à partir de 2020 pour aider les pays en développement à faire face au changement climatique. La mauvaise nouvelle est qu’ils ne sont, a priori, parvenus, à ce jour, qu’à mobiliser environ 80% de ce montant malgré la promesse faite à Glasgow d’atteindre les 100 milliards en 2023.

C’est ce retard et le manque de moyens financiers qui ont été dénoncés de façon virulente lors de cette COP par la société civile ?

Oui et de nombreuses ONG comme OXFAM ou le WWF se sont familiarisées au fil des COP avec les enjeux financiers et développent de plus en précisément leurs arguments. Celles-ci invoquent en premier lieu l’insuffisance des montants promis par rapport aux besoins d’atténuation et d’adaptation des pays vulnérables ; elles dénoncent également l’absence d’additionnalité (un concept clé de la finance carbone et repris dans les mesures d’impact) de ces flux de financement par rapport au ‘business as usual’ et aussi selon leur nature, démontrant par exemple que 70 % des financements publics versés seraient, en réalité, des prêts prudemment octroyés aux pays en développement classés dans les revenus moyens plutôt qu’aux plus pauvres d’entre eux. Cette situation entraîne des conséquences budgétaires et économiques néfastes pour des pays acculés à rembourser leur dette plutôt qu’à investir dans la transition et l’adaptation. Une impasse aggravée par le fait que la plupart des investissements, notamment énergétiques, profitent davantage aux pays financeurs qu’aux populations locales.  

Les questions de Transition Juste n’ont donc pas progressé lors de cette COP ?

Cette thématique évolue à côté des enjeux de justice climatique, mais n’est pas formellement dans l’Accord de Paris même si des liens existent Elle a émergé dans les COP précédentes et notamment à Glasgow où ont été lancés les partenariats pour une transition énergétique juste (JETP). Cette dernière consiste essentiellement à compenser financièrement un Etat pour les conséquences économiques et sociales de l’arrêt anticipé de ses centrales à charbon. À ce jour, quelques rares pays ont accepté ce ‘deal’ comme l’Afrique du sud et l’Indonésie qui devraient recevoir dans ce cadre plus de 20 milliards de dollars de financement à l’issue des négociations égyptiennes.  

Y-a-t-il d’autres enjeux financiers liés au concept de justice climatique ?

Oui, l’autre point clé est le financement de ce qu’on appelle les « pertes et préjudices », issus des négociations de Doha : les pays en développement souhaitent que leurs « pertes et préjudices », dont la réalité et l’irréversibilité ne sont plus à discuter, soient compensés par des financements spécifiques. Plusieurs options ont été mises sur la table lors de cette COP, comme la création d’une sorte de Fonds d’indemnisation dédié de plus de 200 milliards d’euros sous le vocable de ‘bouclier global’ (Global Shield), qui soit complémentaire avec les fonds d’adaptation et les financements bilatéraux de l’aide au développement. Une autre option proposée par l’ONU consiste à taxer des superprofits des industries des énergies fossiles. On ne reparle pas encore de taxe sur les transactions financières mais l’idée de détourner les grands fleuves du système financier, qui a été un élément déterminant du succès de la COP 21, est toujours sur la table.

Un autre enjeu financier consistait à relancer les mécanismes de flexibilité inscrits dans l’article 6 de l’Accord de Paris concernant le marché des crédits carbone, qui représentent une compensation biologique des émissions résiduelles des pays riches, mais aussi une compensation financière pour les pays où sont produits ces crédits. Les conditions d’évaluation des projets ouvrant droit à ces crédits dans un cadre institutionnels, ainsi que les modalités de leurs transferts entre pays, ont d’ailleurs été largement débattues à Charm el-Cheikh. C’est un sujet que pousse l’Europe et la Norvège notamment, mais qui peine au fil des COP à trouver un consensus, ce qui reste un facteur bloquant à la fois pour le développement de la finance carbone, mais aussi avancer sur d’autres points des négociations de mise en œuvre de l’Accord de Paris.

La réduction des émissions de gaz à effet de serre n’a donc pas été la priorité de cette COP ?

Si bien entendu, cela reste le cœur des négociations climatiques, avec l’idée de remettre les grands pays industrialisés, incarnés par le G20, sur les rails de leurs engagements pour 2030 et d’inverser radicalement la tendance actuelle de poursuite de la hausse des émissions pour parvenir à maintenir l’objectif de 1.5 degré de réchauffement. Cet objectif, inscrit dans l’Accord de Paris, reste le principal point de tension et de la prolongation des négociations durant le weekend. Cela signifie en pratique une baisse moyenne de plus de 40 % des émissions des pays du G20 d’ici 2030 ! Même s’il apparait de plus en plus difficile à atteindre, nombre d’experts soulignent l’importance de maintenir un tel momentum politique. C’est pour s’inscrire dans cette dynamique que l’Europe a annoncé porter à 57 % son objectif de réduction de gaz à effet de serre d'ici 2030 contre 55 % avant la COP27.

 

Et j’ajoute que le rôle de la finance est toujours plus décisif dans les négociations climatiques pour contribuer à ce qu’on appelle la « finance climat ». Cette dernière qui avait été formalisée en marge de Glasgow (ce n’est pas un sujet de négociations entre les Etats) par l’initiative GFANZ réunissant l’ensemble des coalitions d’engagement Net Zero, a pu être consolidé lors de cette COP. C’est en soit une victoire, car le consensus nécessaire à son maintien commençait à se fissurer, surtout du côté américain, dans le contexte de l’ESG bashing de certains états républicains. Cet engagement de la finance climat s’est notamment matérialisé par un agenda d’actions à travers le rapport “Finance for Action: Scaling up investment for climate and development,”coordonné par Nick Stern et un engagement d’allouer une partie plus substantielle des flux d’investissement vert au continent africain, souvent considéré comme un angle mort des stratégie d’allocation d’actif.