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Le système de santé français est aujourd’hui particulièrement mis en tension. Le nombre de personnes souffrant de maladies chroniques est en hausse, en particulier chez les personnes ayant de faibles revenus, de même que bien vieillir à domicile est un luxe que les moins aisés ne peuvent souvent pas s’offrir. Les difficultés d’accès aux soins sont de plus en plus importantes et dans un nombre de territoires toujours grandissant, principalement en raison de la diminution de médecins et de l’augmentation des pathologies : ce sont les fameux déserts médicaux, ces « zones blanches » médicales dans lesquelles il est très difficile, voire impossible de se faire soigner par un professionnel de santé en raison de l’absence de médecins à proximité.

Une difficulté croissante à répondre efficacement aux besoins d’accès aux soins

La définition de désert médical varie d’une source à l’autre, mais l’on peut affirmer qu’elle recouvre à la fois une dimension spatiale (la densité de médecins sur un territoire) et temporelle (le temps d’attente avant la prise en charge). Certains indicateurs peuvent donner des éléments de réponses sur la localisation des déserts médicaux, comme l’indicateur d’Accessibilité potentielle localisée (APL), qui mesure l’offre de santé disponible ainsi que la demande de prise en charge[1]. 30% de la population vit dans ce qui est considéré comme un désert médical (IRDES, 2022). Résultats : des patients mal ou pas accompagnés, des pathologies parfois prises en charges trop tard et des médecins débordés, voire en burn-out.

Bien que certaines spécialités soient plus touchées (médecine générale, psychiatrie), toutes sont concernées. Cela est d’autant plus problématique que le temps médical nécessaire, lui, augmente. Les maladies chroniques concernent une proportion toujours plus importante des patients (Assurance Maladie, 2021) et nécessitent un suivi attentionné des principales constantes et informations pertinentes (tension artérielle, résultats de biologie, pathologies associées…). En parallèle, la population des seniors est en augmentation : on compte 26 % de personnes de plus de 60 ans (Insee), et selon la DREES (2022)[2], il y aura 16 % de personnes de 75 ans ou plus en 2052, contre 9 % aujourd’hui. En conséquence, les délais d’attente s’allongent, tandis que certains patients préfèrent même renoncer aux soins (1,6 million en 2021). Les populations dont les revenus sont les plus bas sont plus ceux bénéficiant d’une qualité de vie la plus dégradée (sédentarité, alimentation déséquilibrée, emplois à risque), en particulier dans les DROM. Ce sont pourtant ceux qui ont le moins accès à des professionnels de santé, alors que ce sont les populations qui en ont le plus besoin.

Ces déserts médicaux peuvent toucher une large variété de typologies de territoires, avec un impact très fort sur leur attractivité. Les villes petites et moyennes sont particulièrement touchées, en raison d’un manque de médecins généralistes et spécialistes, d’accès aux urgences hospitalières et aux pharmacies (84% des villes ayant souscris au programme Petites Villes de Demain et 57% de celles du programme Action Cœur de Ville[3]). Mais certaines agglomérations peuvent également être considérées comme des déserts médicaux (62,4% de la population en Île-de-France), le nombre de patients par médecin étant de plus en plus élevé et certains généralistes et spécialistes n’acceptant plus de nouveaux patients.

Des décisions politiques aux mesures d’incitation pour résorber les déserts médicaux : quels résultats ?

Ce sont les choix politiques de ces dernières années qui ont déterminé en partie certaines des problématiques de santé actuelle : le numerus clausus a réduit les effectifs de soignants sur tout le territoire national, et la tarification disparate entre secteur 1 et secteur 2 a découragé certains patients à se faire soigner.

L’Etat a tenté de pallier la réduction du temps médical disponible en mettant en place plusieurs mesures incitatives. Créé en 2009, le contrat d’engagement de service public (CESP) permet de bénéficier d’une allocation mensuelle jusqu’à la fin des études de médecine, sous réserve d’un engagement à exercer dans des zones moins dotées en médecins. Il a été suivi à partir de 2012 d’autres mesures fiscales visant à encourager les médecins à s’installer sur ce type de territoires, en parallèle de plusieurs pactes et plans de lutte contre les déserts médicaux. Ces mesures ont rencontré peu de succès, ceux qui en ont bénéficié ayant généralement plutôt profité d’un effet d’aubaine.

Le plan « Ma santé 2022 » propose une stratégie plus globale, en visant plutôt l’optimisation du temps médical via plusieurs mesures[4]. Ainsi, le numerus clausus a été supprimé en 2020 et devrait permettre une augmentation de 20% du nombre de médecins, même s’il faudra attendre une dizaine d’années afin de pouvoir en mesurer les bénéfices. Il n’est pas non plus garanti que la hausse de la démographie médicale sera alors suffisante pour absorber les besoins grandissants en termes de soins des pathologies chroniques, ni que ces nouveaux médecins souhaiteront s’installer dans des zones sous-dotées. En parallèle, le recrutement à venir de 400 généralistes à exercice partagé ville/hôpital dans ces territoires est un nouvel effort pour mutualiser l’expertise médicale. Celle-ci est de plus en plus souvent couplée à l’exercice de soignants (orthoptistes, infirmiers, pharmaciens etc…) dans le cadre de la délégation de compétences pour réaliser certaines actes techniques ou cliniques afin d’optimiser le temps médical[5]. C’est aussi dans cet objectif que sont créés des postes d’assistants médicaux, chargés de missions de secrétariat ainsi que de certains actes précédant les consultations, comme la prise de tension ou la mise à jour des informations médicales dans le dossier du patient[6].

Ces nombreux efforts pour permettre à tous de bénéficier d’un accès aux soins adéquats participent à l’amélioration de la situation dans sa globalité avec plus ou moins de succès, mais démontrent que les bonnes pratiques sont difficilement réplicables, tant les problématiques des zones sous-dotées médicalement sont multiples en termes de nombre de médecins, profils démographiques, pathologies, distance ville/hôpital…

L’accès au soin, un enjeu territorial

La gestion de cette problématique de santé mérite également une prise en charge à l’échelon territorial, pour cibler efficacement les difficultés d’accès aux soins de la population du bassin de vie. L’un des enjeux majeurs pour les collectivités locales est d’inciter médecins et soignants à venir s’installer durablement[7]. La loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé (article 2) leur est favorable, puisqu’elle contraint les étudiants de 3ème cycle des études de médecine générale et d’autres spécialités de premier recours à effectuer un stage d’au moins six mois en ambulatoire dans une zone sous-dotée.

La multiplication des Maisons de Santé Pluriprofessionnelles (MSP), ces structures regroupant plusieurs types de professionnels de santé libéraux (médecins et autres professionnels de santé), attestent également de la volonté forte des collectivités d’accueillir des équipes de soignants dans les meilleures conditions possibles : grâce aux subventions mixtes des communes, conseils départementaux et ARS, les MSP se sont considérablement développées (plus de 2000 MSP fin 2022) 8], contre une vingtaine en 2008), malgré des investissements immobiliers importants (entre 1 et 3 millions d’euros en moyenne par MSP). Les collectivités ont également la compétence pour prendre en charge une partie ou la totalité des frais de fonctionnement (secrétariat, location des locaux). Cependant, ces nombreux efforts ne résolvent pas la question de l’attractivité du territoire dans son ensemble pour les médecins, et certaines MSP restent désespérément inoccupées.

D’autres initiatives innovantes rencontrent un grand nombre de succès : la télémédecine, en permettant d’optimiser le temps médical, se généralise progressivement et apporte une vraie valeur ajoutée notamment dans l’organisation du planning médical et dans l’efficacité du diagnostic des professionnels de santé. De même, la médecine itinérante (équipe médicale cheminant par bus lors de jours fixes dans des zones particulièrement éloignées des centres de santé pour y proposer des consultations) se développe en proposant une réponse directe à la désertification médicale de certaines zones. Afin de répondre à ce défi majeur de la santé en France, les initiatives locales, la créativité et la solidarité seront des atouts précieux.

Notes

[2] L’état de santé de la population en France Septembre 2022 : https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2022-09/DD102EMB.pdf

[3] IRDES, 2022

[4] Babinet, O. & Isnard Bagnis, C. (2021). 2. Les réponses de l’État permettent-elles de repeupler les déserts médicaux géographiques ?. Dans : , O. Babinet & C. Isnard Bagnis (Dir), Les déserts médicaux en question(s) (pp. 25-41). Rennes: Presses de l’EHESP.

[5] Article 51 de la loi Bachelot du 21 juillet 2009, portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (loi HPST)

[6] Accord conventionnel interprofessionnel (ACI), signé le 20 juin 2019 entre l’Union nationale des caisses d’Assurance maladie (UNCAM) et les organisations représentatives des professions de santé.

[7] Babinet, O. & Isnard Bagnis, C. (2021). 3. Déserts médicaux géographiques : les collectivités territoriales ont-elles trouvé la martingale ?. Dans : , O. Babinet & C. Isnard Bagnis (Dir), Les déserts médicaux en question(s) (pp. 43-52). Rennes: Presses de l’EHESP.