L’usage des pesticides de synthèse dans l’agriculture s’est développé de manière considérable depuis leur apparition dans les années 1940-50. La quantité de pesticides utilisée dans le monde a augmenté de 80% entre 1990 et 2017. Ces substances ont permis une augmentation des rendements agricoles, mais aujourd’hui leur toxicité avérée a de nombreux impacts négatifs sur l’environnement, la santé humaine et la biodiversité. L’« Atlas des pesticides », publié en mai 2023 par le bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll et La Fabrique Ecologique dresse un panorama de leur utilisation, de leurs effets et des politiques menées. Une étude scientifique publiée la même semaine démontre encore une fois le lien de causalité entre l’usage de pesticides et d’engrais et l’effondrement du nombre d’oiseaux en Europe depuis plusieurs décennies (cf. article : Modèle agricole et planification territoriale : en finir avec le cloisonnement). L’Inrae, en mars 2023, a publié des scénarios pour une Europe sans pesticides en 2050.[i] Où en est-on en France concernant les pesticides ?

Des régions et des cultures inégalement « touchées » par les pesticides

Les « pesticides » regroupent les insecticides (dont les néonicotinoïdes), destinés à éliminer les insectes nuisibles aux cultures, les fongicides, ciblant les maladies des plantes dues à des champignons, et les herbicides (dont le glyphosate), pour l’élimination des « mauvaises herbes » concurrentes des cultures.

La carte Adonis, conçue par Solagro, permet d’avoir une image de l’usage des pesticides en France par commune, par région ou par culture[ii]. Elle est basée sur un indicateur appelé IFT (indice de fréquence de traitement). Les zones les plus traitées aux pesticides globalement sont les zones d’agriculture intensive et spécialisée : le grand Bassin parisien et les plaines du Nord de la France (grandes cultures, notamment céréales, …), ainsi que la Vallée du Rhône et celle de la Garonne (arboriculture fruitière, viticulture). Les zones les moins traitées sont les zones de montagne où l’on trouve des systèmes de polyculture-élevage plus extensifs et beaucoup de prairies permanentes (surfaces en herbe) qui restent non traitées. [iii]

Si l’on ne considère que les herbicides, qui font l’objet d’une carte spécifique, les zones céréalières sont de loin les plus traitées. Or les herbicides sont les pesticides les plus solubles dans l’eau et également ceux qui contaminent le plus les milieux aquatiques, dont les eaux souterraines … et l’eau que nous buvons… comme le S-métolachlore, récemment découvert à des taux dangereux.[iv]

Lorsqu’on regarde l’utilisation des pesticides par culture, les plus traitées sont des fruits et légumes courants (qui reçoivent surtout des fongicides) avec, en haut du podium, les pommes, suivies par les pêches, les pommes de terre et la vigne.

 

Quant aux zones les plus exposées, les territoires d’Outremer, souvent oubliés, sont en première ligne. En plus des Antilles contaminées pour des décennies par un chlordécone hautement toxique, ces territoires font l’objet de déficits de connaissance et d’inégalités de traitement par rapport à la France hexagonale. Des molécules interdites en Europe ou des pratiques interdites comme l’épandage aérien ont ainsi été autorisées pendant des années dans certains de ces territoires.[v]

Des objectifs ambitieux pour la France … mais des résultats décevants[vi]

A la suite du Grenelle de l’environnement de 2008, la France a pris un objectif ambitieux avec le plan Ecophyto : réduire en 10 ans l’usage des pesticides de 50 % d’ici 2018. En 2015, Ecophyto II reporte cet objectif à 2025 et lui adjoint l’interdiction progressive de l’usage des pesticides par les collectivités à partir de 2017. Où en est-on ? Après la mise en place d’Ecophyto, l’usage des pesticides a augmenté de 25 % (entre 2010-2011 et 2016-2018). Bien qu’elle ait diminué en 2020 et 2021, la consommation de pesticides en 2021 est revenue à son niveau de 2011[vii]. L’indicateur utilisé est ici le NODU (nombre de doses-unités), défini avec les parties prenantes dans le cadre d’Ecophyto et lissé sur 3 ans pour éviter les effets conjoncturels sur les achats de pesticides par les agriculteurs (à l’annonce d’une taxation par exemple). Les objectifs sont donc loin d’être atteints.

Selon le classement de Génération Futures, la France est également le 3e pays européen en termes de nombre de pesticides autorisés (291), juste après la Grèce et l’Espagne (298 et 296) et se situe 32 % au-dessus de la moyenne européenne. A l’autre bout de l’échelle, le Danemark autorise 150 produits, l’Estonie 140, et Malte 111.

L’échec de la politique annoncée tient d’une part au manque de moyens : 11 % des financements publics versés aux acteurs de l’agriculture sont orientés vers la baisse des pesticides[viii] mais seulement 1 % des financements y contribueraient véritablement (étude Fondation pour la Nature et l’Homme - 2021). D’autre part, les actions menées se concentrent uniquement sur les pratiques des agriculteurs (et de leurs conseillers), sans prendre en compte les intérêts et les stratégies de l’ensemble des acteurs concernés, qui maintiennent aujourd’hui des systèmes agricoles où les pesticides jouent un rôle central.

Un « système » qui coûte cher à la société

D’après une étude du Basic, l’utilisation des pesticides coûte aujourd’hui près de 2 fois plus à la France que ce secteur ne rapporte. La raison ? Les coûts sociétaux induits : coûts sanitaires des maladies liées aux pesticides, coûts de dépollution de l’eau[ix]. Au niveau européen, le coût est 2,5 fois supérieur aux bénéfices du secteur.

Face au système agricole intensif en pesticides, la transition agroécologique a un coût qui resterait accessible. A titre d’exemple, tripler les fermes bio d’ici 2030, un des objectifs de la stratégie « Farm to Fork » de l’UE, coûterait 1,85 milliard d’euros par an d’après l’INRAE, soit moins que le coût annuel des impacts négatifs des pesticides en Europe, estimé à 1,9 milliard d’euros [x].

Des initiatives nombreuses dans les territoires

En France, la surface agricole en agriculture biologique s’élève à 10,3% (chiffre 2021), un pourcentage légèrement au-dessus de la moyenne européenne (9 %) mais loin derrière certains pays comme l’Autriche (26 % de bio) ou la Suède (20 %), et encore loin de l’objectif de l’UE de 25 % des surfaces agricoles en bio en 2030. Le cas de la vigne est intéressant : même si cette culture figure parmi les plus traitées aux pesticides (surtout par fongicides contre des maladies spécifiques, dont certains produits à la toxicité avérée pour la santé humaine), le vignoble français est à ce jour à 20 % en bio.[xi] En dehors du secteur agricole, les pesticides chimiques sont aujourd’hui interdits pour les jardiniers amateurs, les forêts et les jardins publics.[xii]

Se passer des pesticides implique de changer de système de production agricole et d’adopter des pratiques agroécologiques diverses permettant de reconstituer une biodiversité : variété de plantes cultivées, succession de cultures différentes sur un même champ, lutte biologique contre les insectes nuisibles grâce à des insectes bénéfiques, agroforesterie, etc. De nombreuses initiatives existent sur les territoires, en France, en Europe et dans le monde, à différentes échelles et menées par différents acteurs : agriculteurs et agricultrices en premier lieu, organismes de recherche, entreprises et coopératives, associations, collectivités territoriales[xiii] Les solutions sont connues mais elles nécessitent pour être mises en place de la formation et l’accompagnement des agriculteurs, ainsi qu’une implication de tous les acteurs des filières agricoles, et un soutien public ciblé.

Quelques exemples de territoires ayant engagé la transition :  Mouans-Sarthoux (Alpes maritimes), village 100% bio de la crèche au collège, Correns (Var), premier village bio de France, qui a redynamisé l’économie locale en favorisant l’installation d’agriculteurs bio. Mais aussi de nombreux départements ou régions qui mettent en contact producteurs et lycées ou collèges via des plateformes multi-acteurs dédiées. Des initiatives pour se passer des pesticides existent partout dans le monde, comme celle du Luxembourg, premier et seul pays européen à avoir interdit le glyphosate, de l’Anda Pradesh, Etat indien qui a vu ses petits paysans endettés via les multinationales vendant semences et pesticides et qui a décidé de passer à une agriculture 100 % bio, …[xiv]

Pour en savoir plus : 

https://www.lafabriqueecologique.fr/atlas-des-pesticides/La publication de l’Atlas des pesticides est placée sur la licence Creative Commons (à l’exception de la couverture, des couvertures de publications et des logos).
“Attribution 4.0 International” (CC BY 4.0). Pour consulter l’accord de licence : https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/legalcode,
Résumé explicatif https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/deed.frLes graphiques peuvent être reproduits en indiquant la mention “Eimermacher/stockmarpluswalter, CC BY 4.0”,
Pour citer l'Atlas : “Atlas des Pesticides 2023, Heinrich-Böll-Stiftung Paris & La Fabrique écologique”

 

 

 

La Caisse des Dépôts soutient les travaux de La Fabrique Ecologique. Fondation pluraliste de l'écologie, La Fabrique Ecologique est un Think et Do-Tank qui a pour objectif de promouvoir l'écologie et le développement durable sur la base de propositions pragmatiques et concrètes.   

 

 

[i] « Une agriculture européenne sans pesticides chimiques en 2050 ? » : résultats d’une étude prospective inédite : https://www.inrae.fr/actualites/agriculture-europeenne-pesticides-chimiques-2050-resultats-dune-etude-prospective-inedite

[iii] Voir l’article de l’Atlas des pesticides : Usage des pesticides en France : Portrait flouté d’un paysage pollué » d’Aurélien Chayre, Caroline Gibert et Jill Madelenat

[iv] Le S-métolachlore a été interdit en France le 20 avril 2023 par l’ANSES, mais l’Union Européenne l’a ré-autorisé le 5 mai 2023 jusqu’au 15 novembre 2024

[v] Voir l’article de l’Atlas des pesticides : « les Outremers surexposés aux pesticides », de Camille Bouko-Lévy, Malcom Ferdinand et Erwan Molinié

[vi] Voir l’article de l’Atlas des pesticides : « Politique française : Ecophyto, chronique d’un (éco)fiasco français », de Maureen Jorand

[vii] Selon les chiffres publiés par le ministère de l’Agriculture en novembre 2022

[viii] Aides à l’agriculture biologique, Mesures Agri-Environnementales et Climatiques (MAEC), paiements verts de la PAC, plan Ecophyto et crédit d’impôt bio.

[ix] En raison des coûts élevés de dépollution de l’eau, les agences de l’eau financent la conversion en agriculture biologique et les pratiques agricoles peu consommatrices de pesticides, notamment près des zones de captage.

[x] Voir l’article de l’Atlas des pesticides : « Coûts et bénéfices – un modèle agricole qui nous est cher » de Christophe Alliot et Sylvain Ly 

[xi] Voir article de l’Atlas des pesticides : « Viticulture : vignobles sans pesticides, un défi à l’horizon » de Laurent Delière

[xii] Loi Labbé de 2017, appliquée en plusieurs étapes

[xiii] Voir l’article de l’Atlas des pesticides « Alternatives aux pesticides : les territoires qui sèment essaiment » de Mathilde Boitias, Jules Hebert et Jill Madelenat, et la carte des alternatives aux pesticides en France : https://fr.boell.org/fr/alternatives-aux-pesticides

[xiv] Voir l’article de l’Atlas des pesticides : « Régions sans pesticides : les initiatives fleurissent », par Ulrike Bickel