cicéron
c'est poincarré
Crédit ©olrat / AdobeStock
Le déploiement massif d'infrastructures d'énergies renouvelables – panneaux photovoltaïques, éoliennes, rénovations thermiques – se heurte parfois aux dispositifs de protection patrimoniale. Face à l'urgence climatique, certains voient dans ces règlementations un frein à l'indispensable mutation énergétique de notre société.
Pourtant, cette opposition apparente mérite d'être nuancée. Les chiffres révèlent une réalité plus complexe que les idées reçues.
La transition écologique impose aujourd’hui des transformations profondes de nos territoires, notamment en matière de production d’énergies renouvelables. Or, ces aménagements indispensables entrent parfois en contradiction avec les recommandations et les règlementations de protection du patrimoine, générant des situations complexes à arbitrer.
L’installation de panneaux photovoltaïques sur les toitures des habitations situées en zones classées illustrent parfaitement cette tension. De même, l’installation d’éoliennes à proximité de sites remarquables ou la rénovation énergétique de certains bâtiments classés soulèvent régulièrement des interrogations : la protection du patrimoine constitue-t-elle un frein à la transition écologique ? comment concilier la nécessité d'améliorer les performances énergétiques avec l'impératif de conserver l'intégrité architecturale de notre héritage ?
Les outils de protection du patrimoine ont fait l’objet d’une refonte lors de la promulgation de la Loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP) en 2016.
Trois principaux types de protection encadrent aujourd'hui les zones à valeur patrimoniale :
Les données concrètes invitent à nuancer le discours sur l'incompatibilité entre protection du patrimoine et transition écologique. En France, les 2700 sites classés couvrent 1,8% du territoire, tandis que 4 500 sites en représentent 4%. Au total, les zones soumises à ces protections strictes concernent moins de 4 % de la superficie du pays, laissant 96 % du territoire relativement libre pour les aménagements liés à la transition énergétique. Plus révélateur encore : sur les 400 000 dossiers d’autorisation de travaux instruits par an, seulement 6% reçoivent un avis défavorable.
La compatibilité entre infrastructures d’énergies renouvelables et patrimoine protégé repose essentiellement sur deux concepts clés : la covisibilité et l’intervisibilité avec un monument historique. La covisibilité désigne la possibilité de voir simultanément une infrastructure en même temps que le monument ou le site protégé, tandis que l’intervisibilité concerne la visibilité de l’infrastructure depuis l’espace protégé lui-même. Ces situations peuvent justifier de l’interdiction d’une installation lorsqu'elles portent atteinte à la perception du patrimoine. Afin d'anticiper les éventuelles difficultés, il existe d’ailleurs une base de données qui recense l’ensemble des zones classées, l’Atlas Patrimoine[1].
Pour apprendre à rendre cohérents les aménagements avec le bâti ou le paysage classé, certains territoires travaillent avec le visuel global du paysage pour pouvoir créer des ajustements, notamment sur les couleurs et les formes. Le Réseau Cler a documenté diverses démarches visant à harmoniser énergies renouvelables et patrimoine culturel, à partir de retours d’expérience concrets.
Dans le Département de la Drôme, le Parc naturel régional des Baronnies a élaboré un référentiel pour permettre aux élus de prendre des décisions éclairées au moyen d’une analyse paysagère effectuée par un bureau d’études spécialisé.[2]
L’exemple de Chartres illustre les limites de cette conciliation : la covisibilité potentielle d’éoliennes avec la cathédrale a conduit à leur interdiction. Paradoxalement, dans le territoire voisin de la Beauce, les rendements associés à des infrastructures éoliennes ont permis la rénovation de moulins anciens, petits patrimoines historiques.
Si l’aménagement durable des territoires peut effectivement entrer en tension avec la protection des sites protégés en France, cette contradiction ne doit pas être surestimée. Les classements stricts menant à des interdictions formelles ne représentent qu’une part infime du territoire français – moins de 4 %.
Pour les territoires soumis à ces contraintes, la consultation d’un Architecte des Bâtiments de France, en amont du dépôt de toute déclaration préalable ou demande permis de construire auprès de la mairie, constitue une démarche recommandée pour sécuriser les projets.
A l’inverse, les 96 % du territoire non soumis à ces protections strictes offrent un champ considérable pour le déploiement d'infrastructures d'énergies renouvelables. Les entreprises publiques locales sont bien placées pour porter ces aménagements, dans la mesure où elles développent de plus en plus une activité de construction d’infrastructures énergétiques assurant une production locale.
L’enjeu réside donc moins dans une opposition frontale que dans une approche territoriale concertée, notamment pour bien choisir la zone, associant élus, citoyens, experts du patrimoine et acteurs de la transition énergétique.
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Notes
[2] Plus de retour d’expériences sur le site du réseau Cler : https://cler.org/wp-content/uploads/2025/02/comprendre-energies-renouvelables-et-patrimoine.pdf
Sources
https://www.anabf.org/faire-decouvrir/les-abf