Dans le monde de l’innovation territoriale, il en est une qui a fait couler de l’encre depuis une dizaine d’années : le jumeau numérique du territoire. Quelques territoires précurseurs comme Rennes et Singapour ont attiré le feu des projecteurs. Mais d’autres projets se sont développés : à Strasbourg, Genève, Londres, Lyon, ... Dans un benchmark réalisé en 2020, la Banque des Territoires a recensé une vingtaine de jumeaux numériques de villes à travers le monde. D’autres se développent à l’échelle d’un quartier.

Historiquement utilisée dans l’aéronautique, puis dans les travaux publics, cette technologie suscite de plus en plus d’engouement de la part des collectivités. Cet essor peut s’expliquer par la maturité croissante de celles-ci dans l’exploitation des données territoriales, mais aussi de celle des fournisseurs de solutions pour proposer des offres répondant aux enjeux de ces clients.

Tirant parti de l’expérience d’experts du jumeau numérique du territoire, ce billet présente les caractéristiques d’un jumeau numérique du territoire, ses usages observés et potentiels, et les enjeux que son développement représente pour une collectivité.

Des caractéristiques qui singularisent le jumeau numérique de la ville d’autres technologies

Le jumeau numérique de la ville peut être défini comme une maquette numérique dynamique et intelligente de la ville qui :

  • Intègre des données statiques et dynamiques, publiques ou privées, dans un environnement de référence unique ;
  • Constitue un système d’information consolidé qui intègre les outils métiers (de cartographie, de planification, de e-administration, etc.)

 

 

Plus qu’une plateforme de données, plus qu’une maquette BIM à grande échelle, le jumeau numérique se distingue par des caractéristiques qui lui sont propres :

  • C’est une plateforme de collaboration (ou environnement commun de données) ;
  • Il s’appuie sur un socle de données 3D ;
  • Il intègre une brique de gestion électronique des documents.

Grâce à ces qualités, il permet de traiter des cas d’usage simples ou complexes, qu’il est impossible de lister de manière exhaustive tant les possibilités sont nombreuses.

Un outil multi-défis et multi-thématiques

Actuellement, le jumeau numérique de la ville est principalement utilisé dans 2 domaines :

  • L’urbanisme, et plus précisément la planification urbaine, la simulation et la scénarisation, la concertation, le respect des règles d’urbanisme ;
  •  L’exploitation / maintenance des infrastructures et des équipements comme les réseaux, le trafic et, à l’avenir, le véhicule autonome.

Il propose des solutions aux défis auxquels font face toutes les collectivités. On peut citer :

  • La communication : en « donnant à voir » le territoire, le jumeau numérique permet de communiquer concrètement auprès des habitants ou des acteurs de l’immobilier par exemple. C’est le cas de la Métropole de Lyon qui souhaitait mettre en avant le territoire, les projets et opportunités foncières pour les entreprises recherchant des implantations.
  • L’optimisation budgétaire : dans le domaine de la gestion du patrimoine (réseaux, bâti), le jumeau numérique peut permettre de détecter ou anticiper des anomalies sur les réseaux, éviter des déplacements sur site, ou encore simuler des coûts d’exploitation. C’est ce qu’explore l’agglomération de Pau dans son projet de maquette numérique.
  • L’E-administration : des applications du jumeau numérique peuvent accélérer la dématérialisation et simplifier certaines procédures. Dans le cas de la gestion des permis de construire, l’Etat de Genève rapporte que « les administrés peuvent déposer et suivre leur dossier en tout temps, de manière fiable et en simultané avec l’ensemble des acteurs ; le suivi est excellent et les données fiables également pour l’administration ; enfin, les délais de traitement sont réduits ».

Un projet de transformation numérique de la collectivité qui requiert des moyens financiers et humains

En dépit de tous ces avantages, développer le jumeau numérique de son territoire n’est pas une solution miracle. C’est un véritable processus de transformation numérique de la collectivité.
Plusieurs chantiers sont incontournables pour accompagner la conception et la maintenance du jumeau :  

  • Si le jumeau numérique est un outil qui favorise la collaboration entre acteurs de la ville, sa mise en place suppose d’en définir la gouvernance : des données (sources, standards, actualisation), du socle technologique (interopérabilité), des parties prenantes (contributeurs, usagers,…)
  • Sans données, le jumeau numérique n’est qu’une coquille vide. Il est donc indispensable de travailler sur l’acquisition des données nécessaires (qui peuvent être différentes d’un cas d’usage à l’autre), sur leur qualité, leur intégration dans l’écosystème logiciel, ce qui rejoint la mise en place d’une gouvernance de la donnée au sein de la collectivité (à ce titre, voir nos travaux sur la gouvernance de la donnée : Les données au service du pilotage des politiques publiques)
  •  Pour accompagner la définition et la mise en œuvre du jumeau numérique, des ressources humaines spécialisées doivent être mobilisées. En interne, un chef de projet disposant d’une compétence digitale (profil BIM ou SIG / géomatique) est un acteur indispensable pour porter la réalisation du projet. Les autres profils nécessaires à la mise en œuvre d’un jumeau numérique peuvent être en régie ou externalisés : développeur, intégrateur, Designer UX (User Expérience).

Un tel projet implique de prévoir un budget tant pour la conception que pour le développement et la maintenance du jumeau. Ce budget varie en fonction de 3 critères principaux :

  • Le périmètre géographique (quartier, ville, agglomération)
  • Les fonctions choisies
  • Les technologies dont dispose déjà la collectivité

Les principaux postes de coûts pour la conception sont :

  • L’acquisition de la donnée 3D (nuage de points ou photomaillage)
  • La structuration de la donnée (par un data manager)
  • L’intégration des données dans l’écosystème logiciel
  • Le déploiement des capteurs
  • L’hébergement de la donnée (dans un espace sécurisé)

Des choix stratégiques pour maîtriser cette technologie

Un jumeau numérique du territoire peut devenir un outil structurant pour la connaissance du territoire et la conduite des politiques territoriales. Aussi, il est indispensable que la collectivité ait la maîtrise de cette technologie pour son propre usage. Cette maîtrise passe par quelques points-clés :

  • L’implication des métiers : dès les prémices du projet, il est indispensable d’associer un métier à la conception du jumeau. C’est le métier qui sera le premier utilisateur du jumeau numérique. Une fois créé, le jumeau numérique aura vocation à s’enrichir de nouvelles applications. Toute nouvelle application doit être faite avec les agents, pour garantir son utilisation. Toute logique de « prestation » en interne ou en externe prend le risque de donner le jour à un outil technique non-approprié. 
  • La propriété du socle de données 3D : une fois acquis, le socle de données 3D est le socle du jumeau numérique. En avoir la propriété, c’est garantir la possibilité d’accéder à ces données sans restriction.
  • L’interopérabilité des solutions logicielles : le jumeau numérique est un écosystème de solutions. Les applications possibles étant presque illimitées, il est indispensable de prévoir l’interopérabilité des solutions logicielles pour permettre une évolution du jumeau selon l’émergence de nouveaux besoins dans les services de la collectivité.

 

Si les retours d’expérience de jumeaux numériques sont encore peu nombreux (ou ne bénéficient que de peu de recul) nous ne pouvons que conclure que cette technologie a de l’avenir. A la croisée de l’indispensable SIG et de l’incontournable « data territoriale », le jumeau numérique de la ville offre de séduisantes perspectives, notamment dans le domaine de la simulation de projets et de phénomènes physiques. Les premiers retours d’expériences montrent qu’il existe un champ d’opportunités important pour les politiques territoriales d’aménagement et d’urbanisme.

Toutefois, on ne peut pas encore affirmer que le jumeau numérique a un modèle économique positif. De plus, il est illusoire de se doter d’un jumeau numérique clé-en-main, remplaçant les technologies et logiciels historiques. Il s’agit plutôt d’un instrument à construire pas à pas, avec les technologies déjà présentes, disponibles et maîtrisées par la collectivité et pour répondre à un besoin métier.