Crédit Le Bel Canto – Fontenay le Fleury ©CDC Habitat

article CD'enjeux 22 fév. 2024

Comprendre l’impact économique, social et environnemental du logement locatif intermédiaire : l’exemple d’un fonds dédié géré par Ampère Gestion

Le développement d’une offre de logements intermédiaires est un enjeu majeur dans de nombreux territoires où le marché immobilier est tendu et vient compléter l’offre locative sociale ou privée, en apportant des solutions d’habitat notamment aux travailleurs clés et aux ménages aux revenus moyens (notamment dans les grandes métropoles, les zones frontalières). Cela fait l'objet d'une attention particulière de la part des investisseurs institutionnels qui se sont impliqués de manière croissante dans son financement depuis 2014.

Cependant, au-delà de la rentabilité financière, il est essentiel d'évaluer l'impact social et environnemental de ces investissements. Dans cet article, nous explorons les retombées de l’offre de logements intermédiaires financée par des investisseurs institutionnels de long terme au travers des fonds gérés par Ampère Gestion, filiale du groupe CDC Habitat. Nous mettons en évidence les critères et les outils utilisés pour mesurer les retombées de ces projets sur la société et l'environnement.

Il apparait ainsi que le gain extra-financier est très significatif, entre 90 M€ et 290 M€ en fonction des scénarios, principalement au profit des résidents à travers les économies de loyers et les baisses de charges permises par la meilleure qualité des logements intermédiaires financés par le fonds.

Ce travail d’évaluation[1] répond à un triple objectif : (i) mesurer les impacts extra-financiers de l’activité d’investissement institutionnel sur le logement locatif intermédiaire (LLI[2]), (ii) comparer la contribution sociétale au rendement financier et (iii) disposer d’un référentiel d’évaluation extra-financière, reproductible sur d’autres activités économiques.

Quelles sont les externalités positives et négatives générées par le financement du logement intermédiaire ?

La première étape du travail évaluatif a été de répertorier l’ensemble des impacts potentiels, positifs ou négatifs, qui sont générés par la production de logements intermédiaires. Une cartographie des impacts a ainsi été établie (cf. figure 1), avec une double entrée de lecture : par typologie d’impacts et par parties prenantes. Au total, 20 impacts potentiels ont été identifiés et regroupés en 16 catégories.

Il apparait par exemple que les locataires bénéficient essentiellement d’effets positifs qui vont de la mise à disposition de logements moins énergivores, qui leur assurent une baisse de charges, au gain de temps de déplacement domicile-travail dans les quartiers concernés.

Une autre lecture de cette cartographie nous indique que les impacts environnementaux sont à la fois positifs (dépollution des sols par exemple) et négatifs (émissions de GES pour la construction entre autres).

Figure 1 : cartographie des impacts d’un fonds dédié au logement intermédiaire géré par Ampère Gestion

cartographie des impacts d’un fonds dédié au logement intermédiaire géré par Ampère Gestion

En vert = impacts positifs ; en magenta = impacts négatifs

Valoriser les impacts extra-financiers grâce à la méthode SROI

Le périmètre d’évaluation a porté sur un fond dédié au logement intermédiaire géré par Ampère Gestion. Celui-ci compte environ 8 000 logements, dont les deux tiers se situent en zones tendues et très tendues (A et Abis), avec un loyer moyen inférieur de plus de 10 % au loyer moyen libre. Une fois le champ des externalités existantes défini, il a été possible de s’intéresser à la quantification de ces impacts. Pour ce faire, la méthode du SROI (Social Return On Investment, ou retour social sur investissement) a été retenue. Celle-ci permet d’estimer un taux de rendement, constitué du rapport entre l’estimation en unité monétaire de la valeur sociétale, et le montant de l’investissement. La valeur sociétale n’est autre que la somme des valorisations actualisées nettes socio-économiques (VAN SE) des impacts observés[3].

La méthode du SROI – par ailleurs très proche des méthodes d’évaluation socio-économiques (ESE) – présente plusieurs caractéristiques :

  • Elle monétarise (en euros) des impacts extra-financiers, à partir de valeurs tutélaires préconisées par l’Etat[4] ou d’hypothèses issues de la littérature scientifique, ce qui permet d’avoir une unité juxtaposable à l’approche financière
  • Sa mesure se réfère à un ou plusieurs contrefactuels (c’est-à-dire des situations de référence, de comparaison).
  • Les impacts positifs et négatifs sont actualisés et donc rapportés à une année de référence pour prendre en compte la dimension temporelle des projets
  • La mesure des impacts se fait à l’horizon 2050, en prenant en compte la stratégie de cession du fonds, après 11 à 16 ans de détention ;
  • Elle ne mesure que des impacts (conséquences) et non les causes ;

 

Par rapport à une situation sans construction l’impact estimé est très positif, pour toutes les parties prenantes

La première situation de comparaison (contrefactuel), appelée situation initiale (SI), correspond à la situation hypothétique où les logements n’auraient pas été construits. Cette situation théorique ne vaut pas prédiction de ce qui se serait passé sans le fonds puisque :

  • Dans certains cas, les logements n’auraient pas été produits du tout
  • Dans d’autres cas, des logements, commerces ou bureaux auraient été construits. Les logements l’auraient été, soit en logement locatif libre ou social, soit en accession.

La comparaison de performance se fait avec le stock de logements dans les zones de production du logement intermédiaire.

En comparant l’option d’investissement (construction de LLI selon les exigences du fonds) et la situation initiale (absence de construction), il ressort que les impacts positifs, nets des impacts négatifs, génèrent une plus-value extra-financière[5] de 289 millions d’euros, se traduisant par un Social Return on Investment (SROI) de 18 %.

 

 

Si l’on distingue la phase de construction des logements et la phase d’exploitation, il est intéressant de constater que la valorisation des effets négatifs de la phase de construction (nuisances sonores des chantiers, émissions de GES, occupation des sols) est très inférieure à celle des effets positifs de la phase d’exploitation. Ceci s’explique par le fait que la plupart des opérations du fonds étudié se sont déroulées sur des friches ou des terrains déjà artificialisés, limitant fortement les impacts environnementaux négatifs liés à la construction.

Figure 2 : décomposition de la VAN SE par rapport à la situation initiale par bénéficiaire

Le renouvellement de l’offre locative intermédiaire en zone tendue permet de générer des effets positifs conséquents. Les ménages peuvent ainsi se loger à des loyers inférieurs au prix du marché libre, dans des logements qui sont également plus performants énergétiquement[6] . Ces deux impacts représentent plus de la moitié de la VAN SE, ce qui place les résidents comme premiers bénéficiaires de la politique de logement intermédiaire étudiée (cf. figure 2). Aussi, les pouvoirs publics bénéficient de recettes importantes liées aux droits de mutation et les acteurs économiques tirent parti de la création d’activité avec le développement des programmes en VEFA[7] nécessaires à la production de logements intermédiaires. Enfin, du point de vue environnemental, les effets sont globalement positifs, avec des émissions de GES bien moindre à l’exploitation qui compensent largement les effets négatifs de la phase chantier (émissions de GES et occupation des sols).

 

Par rapport à une hypothèse de construction de qualité standard, la plus-value extra-financière reste importante, principalement au bénéfice des locataires

Le deuxième contrefactuel, appelé option de référence (OR), repose sur la « plus-value qualitative » engendrée par les exigences du fonds étudié. En effet, la politique d’investissement d’AMPERE Gestion, soutenue par sa politique ISR, et la thèse d’investissement du fonds génèrent des impacts sociétaux positifs (par exemple via les exigences environnementales, la qualité du bâti, la proximité à certains services ou transports, et une décote minimum de 10% exigée vis-à-vis du loyer de marché etc.). Dans ce contrefactuel, nous estimons que les logements auraient été produits sans ce niveau d’exigence qualitative, à un loyer fixé au plafond légal. La comparaison de performance se fait avec un logement neuf de référence, construit au même endroit et à la même période, respectant les derniers standards et normes en vigueur au moment de sa production.

En comparaison à l’option de référence (construction de LLI standard), l’option d’investissement (construction de LLI selon les exigences du fonds) génère une plus-value extra-financière de 93 millions d’euros, se traduisant par un SROI de 5,9 %.

Dans l’option de référence, aucun impact supplémentaire n’est dû à la phase chantier puisque les constructions de logements ont bien lieu, comme dans l’option d’investissement et génèrent les même externalités (par exemple émissions de carbone du chantier).

Figure 3 : décomposition de la VAN SE par rapport à l’option de référence par bénéficiaire

L’essentiel des coûts et bénéfices provient du surcroît qualitatif de la thèse d’investissement du fonds (situation géographique des actifs, performance énergétique, décote au loyer de marché etc.). Ce dernier bénéficie en très grande majorité aux résidents qui profitent d’une économie de loyer, avec un impact conséquent sur leurs finances (cf. figure 3). A cela s’ajoute une baisse des charges puisque les logements du fonds sont plus performants énergétiquement. 8 % de la plus-value extra-financière est due à de moindres émissions de CO2eq par rapport à un logement intermédiaire standard, et bénéficie donc à l’environnement.

Une méthodologie reproductible, et qui peut être complétée par d’autres outils

Ces bénéfices extra-financiers ainsi monétarisés s’ajoutent à la performance financière de l’investissement. L’approche SROI n’est cependant pas exhaustive sur la mesure des impacts extra-financiers et pourrait être améliorée sur certains aspects méthodologiques. Si la liste des impacts a bien été établie à travers la cartographie (cf. figure 1), toutes les externalités environnementales, sociales ou économiques n’ont pas pu être intégrées, faute de travaux de référence permettant leur monétarisation (mixité sociale, attractivité des quartiers, logement des travailleurs clés, lutte contre l’échec scolaire, prise en compte partielle des enjeux d’occupation des sols et d’artificialisation avec une valeur tutélaire qui nécessiterait d’être revalorisée). Sur les 20 impacts identifiés initialement, 11 ont pu être monétarisés et intégrés à l’analyse SROI. En complément :

  • Sur le volet social, des entretiens qualitatifs ont été menés avec des parties prenantes sur les territoires, ce qui permet de documenter les effets qualitatifs du logement intermédiaire sur l’appui aux politiques d’habitat et de mixité sociale.
  • En matière d’économies d’énergie, des travaux complémentaires sont nécessaires pour quantifier l’ampleur de l’effet rebond, lorsque les économies réalisées entraînent une augmentation de la consommation, selon la composition des ménages, leur parcours résidentiel, et les performances techniques des logements.
  • Sur le volet environnemental, les travaux de recherche consultés confirment la pertinence de l’approche du LLI pour la maîtrise de l’étalement urbain et la lutte contre l’artificialisation des sols, par une méthodologie de mesure appropriée, la construction en forte densité de logements, et la réutilisation majoritaire de terrains déjà artificialisés.

En outre, l’évaluation extra-financière pourrait, à l’avenir, être encore affinée avec la consolidation de données complémentaires (lien entre les actifs et les ménages résidents, ajout de données sur la qualité architecturale, enquête locataire, etc.).

Enfin, cette méthodologie reproductible pourrait permettre d’analyser d’autres champs des politiques de l’habitat sur lesquels le groupe CDC Habitat et la Banque des Territoires sont mobilisés, comme le logement social.

Aller plus loin

Télécharger la synthèse réalisée par le service politique durable et évaluation de la Banque des Territoires : 

Evaluation extra-financière d'un fond de logement intermédiaire (Ampère Gestion - CDC Habitat) 

 

 

 

 

 

 

 

Notes

[1] La Banque des Territoires et Ampère Gestion ont travaillé avec les cabinets Pluricité et 1630 Conseil pour réaliser ce travail d’évaluation.

[2] Le LLI dont il est ici question est restreint au strict dispositif créé par l’article 73 de la loi de finances pour 2014 (n°2013-1278 du 29 décembre 2013) et entré en vigueur au 1er janvier 2014.

[3] Pour préserver la confidentialité des données d’activités d’AMPERE, ce sont ces valeurs sociétales (VAN SE) qui sont présentées dans les résultats et non les ratios valeurs sociétales / investissement (SROI).

[4] Par exemple : valeur tutélaire du carbone du rapport Quinet et al. (2019).

[5] ou valeur actualisée nette socio-économique (VAN SE)

[6] Cette analyse ne tient pas compte d’un éventuel effet rebond de la consommation énergétique des ménages

[7] Vente en l’Etat Futur d’Achèvement (vente sur plan)