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Le marché immobilier résidentiel neuf connaît une crise sensible. Dans cet article, après avoir fait le point sur les derniers chiffres illustrant le caractère historique de la crise en cours et les principaux mécanismes à l’œuvre, nous portons un regard sur l’effet « tache d’huile » de cette crise, en nous interrogeant sur les facteurs de rééquilibrage et de relance.

Une spectaculaire chute de la production et de la demande de logements neufs

Le marché du neuf décroche sensiblement. On constate un recul dépassant −15 % des mises en chantier par rapport au précédent pic, au plus bas niveau des 25 dernières années, et une baisse de plus de −45 % des réservations de logements neufs par des particuliers. Les enquêtes de conjoncture dans la promotion immobilière témoignent d’un grand pessimisme quant aux perspectives de demande (proche du plus bas niveau des 30 dernières années) ainsi qu’aux perspectives de mises en chantier à venir.

Il y a des freins sur l’offre (disponibilité du foncier, différences territoriales quant à l’octroi des permis de construire, coûts de construction, etc.) mais le choc qui l’emporte est celui sur la demande, dont les principales raisons sont :

  1. La baisse du pouvoir d’achat par endettement des ménages : la hausse des taux directeurs de la BCE provoque une réévaluation des taux des crédits à l’habitat qui sont passés, en quelques trimestres, de niveaux proches de 1 % à près de 4 %. Cette hausse engendre un recul du pouvoir d’achat par endettement de l’ordre de 30 %. Dit autrement, toutes choses égales par ailleurs, c’est 30 % de la demande qui est évincée du marché.
  1. Un moindre appétit pour l’immobilier des investisseurs ; dans la seconde partie de la décennie 2010, les investisseurs étaient confrontés à des taux d’intérêt sur les placements financiers à moindre risque, à savoir le marché monétaire et l’obligataire souverain, qui étaient nuls voire négatifs : leur réaction a été d’investir des classes d’actifs à meilleurs rendements (en absolu et offrant une protection à l’inflation via la revalorisation des baux), au prix d’une prise de risque, en l’occurrence sur l’immobilier et relativement aux placements sus cités, de liquidité et spécifiques à l’immobilier (vacance, impayés, etc.). Maintenant que les taux d’intérêt dit « sans risque » s’établissent entre 3 % et 4 %, il n’y a logiquement plus autant d’appétit de ces investisseurs pour l’immobilier, d’autant que leur capacité à augmenter les loyers à un niveau qui leur assurerait un rendement satisfaisant est limitée.
  1. De moindres incitations fiscales : le marché immobilier neuf est intimement lié aux mécanismes incitatifs qui y redirigent l’épargne qui ne s’y tournerait pas naturellement (cf. graphique ci-après où on constate bien un essor de la part des investisseurs à chaque dispositif). La fin programmée du Pinel, le recentrage du PTZ, la hausse des taxes foncières et l’encadrement des loyers en zone tendue dégradent l’attrait de l’immobilier neuf. La vente « en accession » a chuté de 31,7 % au 1er trimestre 2023 par rapport au 1er trimestre 2022, celle « pour investissement » s’est effondré de -52,3 % (Source : FPI).

Une première observation est que nombre de ces facteurs de recul de la demande apparaissent, tels quels, comme des facteurs structurels, de long terme : ils n’ont pas qu’une composante cyclique. Certes, lorsque la BCE aura gagné son combat contre l’inflation, le taux directeur refi reviendra de 4,5 % actuellement à un niveau de politique monétaire « neutre » (taux directeurs proches de 2 % selon les autorités de politique monétaire), même si l’ampleur du reflux des taux de crédit à l’habitat sera moindre : il pourrait plutôt y avoir un atterrissage autour de 3 % à moyen terme. Cela redonnera de l’oxygène à la demande. Ce sont des niveaux que les marchés du crédit et de l’immobilier ont déjà connus mais i) à dispositifs fiscaux distincts et ii) à prix de production du neuf (dynamique du foncier, des coûts des construction…) très différents. Retrouver, à l’avenir, des taux d’intérêt déjà observés historiquement n’aboutit donc pas, mécaniquement, à retrouver une demande qui pouvait s’exprimer à ces niveaux. Un recul structurel de la demande est à anticiper.

Le besoin de logements neufs : nettement supérieur à la production actuelle

Les mises en chantier s’établissent à un peu plus de 376 000 en 2022 (-3,7 % vs 2021). Pour 2023, elles se dessinent à un niveau très inférieur : sur 12 mois, en juillet, elles atteignaient environ 330 000 et pourraient, si les dernières tendances se poursuivaient, passer nettement en-dessous de ce seuil sur l’ensemble de l’année 2023. Les conditions ne semblent pas réunies pour un retournement en 2024.

Cette chute de la construction pourrait ne pas attirer l’attention si elle était cohérente avec une baisse de la demande future de logements du fait de l’évolution des facteurs démographiques et sociologiques (sous surveillance : démographie, immigration, décohabitation, nombre de ménages, localisation territoriale, sortie du parc de logements énergivores, résorption du mal logement, etc.). Toutefois, les différentes études effectuées récemment font état d’un besoin annuel élevé de nouveaux logements d’ici 2030 : entre 395 000 (selon l’Institut Thomas More : lien vers l’étude), 495 000 logements (selon la Fédération des promoteurs immobiliers). Le monde HLM, de son côté, via l’Union Sociale pour l’Habitat, note qu’il y a actuellement une demande non satisfaite de 2,2 Mln de personnes, dont 1,6 Mln qui ne sont pas déjà dans le logement social, et estime le besoin de logements par an d'ici à 2040 à 518 000 (l’étude Habitat et Territoires Conseil, en bas de page du lien).

La production de nouveaux logements prend donc un retard certain.

La crise du neuf ne s’arrête pas au neuf : elle nourrit d’autres déséquilibres

La conséquence en termes de construction ne s’arrête pas au seul poids du secteur de la construction dans le PIB, la crise du neuf va faire tache d’huile :

  • il a des effets sur le marché résidentiel de l’ancien : à moindre offre nouvelle, cela va générer pour les prochaines années un prix d’équilibre plus élevé et un niveau de transactions plus bas qu’avec un accroissement de la construction ;
  • il a des effets sur le marché locatif : le marché de l’ancien étant grippé, il y a moins de nouveaux accédants, moins de mobilité immobilière, ce qui nourrit les tensions sur les prix des nouveaux loyers.

Cela a un effet négatif pour les agents : la production de richesse en pâtit via le facteur travail (localisation de la main d’œuvre), le pouvoir d’achat est érodé (prix du neuf, de l’ancien, loyers, etc.), le bien-être est amputé (moindre combat contre le mal logement, hausse des dépenses contraintes, accroissement du temps de transport, etc.).

Le rééquilibrage du marché : les freins à lever

La relance de la production ne peut se faire de manière spontanée, comme sur certains biens et services où, en cas de moindre demande, les entreprises ont en effet la possibilité de baisser les prix, grâce à un prix de matière première qui se corrige cycliquement à la baisse et éventuellement en rognant sur le taux de marge.

  • Les derniers chiffes infra sectoriels détaillés disponibles pour le secteur de la construction, datant de 2021, font état d’un taux de marge pour le sous-secteur de la construction de bâtiment de 19,9 % de la valeur ajoutée (contre 24,8 % en 2019 et 18 % en bas de cycle au milieu des années 2010) et de 16,7 % dans celui de la promotion (respectivement 17,9 % et 13 %) : la latitude pour un ajustement baissier du taux de marge existait encore en 2021, a commencé à être utilisée, mais ne semble plus majeure. La hausse des prix finaux entre 2019-2020 et 2023 a donc été, dans ces secteurs, limités par la correction des marges.
  • On observe une baisse de certains prix de production (cf. graphique) mais cette baisse est lente et risque d’être fortement contrariée par la demande de matériaux qui va être forte dans le cadre des travaux de réhabilitation et pour d’autres denrées utilisées de manière intensive dans la TEE (ex : cuivre)

 

  • On n’observe pas de baisse de coût de la production de bâtiment (cf. graphique) car même si certains prix d’input baissent, d’autres continuent de progresser et seront rigides à la baisse (ex : salaires, qui constituent la moitié des prix de production) ;

  • Le prix du foncier aura du mal à s’ajuster dans ce cycle, compte tenu notamment de la limitation de l’offre, du fait de la démarche de Zéro Artificialisation Nette (baisse de 50 % du rythme d’artificialisation des terres d’ici 2030 par rapport à la décennie passée)

Au total, il apparaît que les prix ne sont pas la variable d’ajustement dont on peut espérer beaucoup pour un rééquilibrage spontané de la demande donc de la production de logements.

Conclusion

Le secteur de la construction connaît un changement de paradigme, avec d’un côté la fin des taux d’intérêt bas et le non-renouvellement de dispositifs fiscaux qui nourrissaient une forte demande, et de l’autre, des coûts de production qui semblent structurellement haussiers vu le nouvel environnement inflationniste (monde plus fragmenté, marché du travail tendu, TEE qui est un choc plutôt inflationniste). L’effet « ciseau » est certain et menace l’équilibre du marché immobilier dans son ensemble. À crise multifactorielle, les remèdes doivent être pluriels :

  • La possibilité d’une relance passe par le maintien d’une capacité de production : c’est pour cela que des acteurs contracycliques interviennent (ex : CDC Habitat, cf. détails dans le lien)
  • La capacité du secteur à sortir de la crise de façon spontanée et endogène n’apparaissant pas aisée (pas d’influence sur les prix de matières premières, pas de choc technologique ou de gains de productivité évidents), les acteurs de la construction demandent que les mesures soient prises à la fois côté demande (accompagnement au gain du pouvoir d’achat pour accompagner la hausse des taux via des conditions bancaires plus favorables, ou des dispositifs fiscaux nouveaux…) et côté offre (réglementation…), mesures qui dépendront des arbitrages des autorités de politique économique (de nature budgétaire, intertemporelle, sectorielle ou infra-sectorielle par exemple si la priorité est la rénovation plutôt que la construction), comme récemment (non application de la formule théorique et gel du taux du livret A jusque février 2025 pour soutenir la production de logement social).