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étude CD'idées 25 nov. 2021

Quel effet de la pratique d’activités socialisées des seniors sur l’âge d’entrée en dépendance ?

La dépendance n’est pas une fatalité ! De nombreuses études démontrent l’effet bénéfique des activités socialisées sur l’état de santé des seniors et son impact sur le retardement du vieillissement cognitif. Nous avons cherché à évaluer précisément l’impact de la pratique d’activités socialisées sur l’âge d’entrée en dépendance à partir de l’observation de l’écart d’âge d’entrée en dépendance entre les pratiquants d’activités socialisées et les non pratiquants. Cette étude s’inscrit dans les travaux de la Chaire Transitions démographiques, transitions économiques (TDTE), placée sous l'égide de la Fondation du Risque, soutenue par l’Institut pour la Recherche de la Caisse des Dépôts.

La perte d’autonomie, un enjeu économique et sociétal

Les sociétés développées font aujourd’hui face à un nouvel enjeu inévitable, le vieillissement démographique. En effet selon l’Insee, en France, en 2050, 24 millions d’habitants seront âgés de plus de 60 ans[1]. Ce vieillissement démographique va s’accompagner inexorablement d’une augmentation du nombre de personnes en situation de perte d’autonomie, estimée à 4 millions de seniors en 2050[2]. L’entrée en dépendance est un véritable défi car elle engendre des coûts monétaires élevés, évalués à 30 milliards d’euros en 2014[3]. Selon le rapport Libault de la concertation grand âge et autonomie (2019), 10,4 milliards d’euros supplémentaires seront nécessaires d’ici à 2030 pour accompagner l’augmentation du nombre de personnes âgées dépendantes.

 

Au-delà de l’aspect financier, la perte d’autonomie est un état qui demande une aide constante et peut être difficile à vivre pour ceux qui la subissent. Une personne âgée sur cinq vivant en établissement souffre de dépression. Un tiers des résidents et un quart des personnes âgées de plus de 75 ans vivant à domicile sont en situation de détresse psychologique[4]. Cependant, il est possible de vieillir sans incapacité via notamment un mode de vie plus actif et la pratique d’activité socialisées.

Les activité socialisées, facteurs de bien-être…

Les activités socialisées désignent toutes « activités sociales, un peu contraignantes, d’intérêt général, et pas nécessairement rémunérées » qui garantiraient aux seniors un niveau de bien-être élevé. Elles se matérialisent à travers le bénévolat, la participation sociale ou communautaire, et la solidarité intra ou intergénérationnelle.

Les activités socialisées s’intègrent dans la notion de vieillissement actif et proposent une vie à la retraite heureuse et épanouissante. Et, en effet, elles sont facteurs de bien-être ! De nombreuses études montrent que les activités sociales et notamment la participation à des activités bénévoles ont un impact significatif et positif sur le bien-être des seniors[5].

… et de vie en bonne santé

D’autres études démontrent l’effet bénéfique des activités socialisées sur l’état de santé reporté du senior[6]. Cependant, relativement peu d’articles mesurent le gain que peuvent représenter les activités socialisées en termes d’âge d’entrée en dépendance. Adam et al (2007)[7] estiment que la pratique d’activités non professionnelles, telles que les activités associatives, l’aide à une personne âgée, la formation ou l’appartenance à un club sportif ou à une organisation religieuse, retarderait de 3,23 ans le vieillissement cognitif.

La pratique d’activités socialisées retarde de 3,2 ans l’âge d’entrée en dépendance

Dans ce contexte, nous avons cherché à comprendre l’impact des activités socialisées sur l’âge d’entrée en dépendance. Nous avons utilisé les données d’enquête européenne SHARE – Survey of Health, Ageing and Retirement in Europe, des Français âgés de plus de 60 ans sur 4 vagues de données, de 2011 à 2017.

Nous avons observé l’évolution de caractéristiques clés sur six ans. Premièrement, la pratique de quatre activités : le bénévolat, la participation à un cours ou à une formation, à un club sportif ou social et la participation à une organisation politique ou communautaire. Ensuite, nous avons relevé la mesure de leur niveau de perte d’autonomie, exprimé par la variable AVQ – Activités de la Vie Quotidienne, et enfin le niveau d’éducation de l’individu. Nous avons considéré que les individus peu qualifiés correspondent aux individus ayant obtenu le baccalauréat ou un diplôme inférieur, et les individus qualifiés comme ceux ayant obtenu un diplôme de l’enseignement post-secondaire.

Nous avons évalué l’impact de la pratique d’activités socialisées sur l’âge d’entrée en dépendance à partir de l’observation de l’écart d’âge d’entrée en dépendance entre les pratiquants d’activités socialisées et les non pratiquants, toutes choses égales par ailleurs et par itération statistique.

La pratique d’activités socialisées chez les plus de 60 ans retarde en moyenne de 3,2 ans l’âge d’entrée en dépendance, toutes activités confondues et la pluriactivité[8] inclue. Nous observons par ailleurs que certaines activités ont des effets bénéfiques de manière isolée ; participer à un club sportif ou social retarde l’âge d’entrée en dépendance de 2,8 ans, le bénévolat de 1,9 ans, la formation ou la participation à un cours éducatif de 1,5 ans et enfin la participation à une organisation politique ou communautaire de 1,2 ans.

L’effet est différencié selon le niveau de qualification. Le bénéfice de la pratique d’activités socialisées sur l’âge d’entrée en dépendance est supérieur chez les peu qualifiés avec un gain de 3,6 ans, alors qu’il est de 2,2 ans chez les individus qualifiés du supérieur.

Quelles politiques pour inciter à la pratique d’activités socialisées ?

Cette étude constitue une avancée importante et c’est la première à s’intéresser à l’impact de la pratique d’activités sur l’âge d’entrée en dépendance. Le résultat des 3,2 ans de retard d’entrée en dépendance chez les individus seniors pratiquant des activités socialisées est essentiel. Il montre que la dépendance n’est pas une fatalité ! Le vieillissement actif et la pratique d’activités socialisées peuvent être des outils de prévention remarquables pour retarder l’âge d’entrée en dépendance.

Encore faut-il que nous soyons capables d’accompagner les seniors à leur nouvelle période de vie, la retraite. Force est de constater que l’engagement n’est pas inné mais émane d’une envie, d’une sensibilisation et d’une connaissance des activités existantes. Dans ce cadre, la Chaire TDTE a recommandé 8 politiques pour inciter les seniors à rester actifs à la retraite[9]  ; dont mettre en place un parcours « activités socialisées » dans les entreprises, rendre systématique le bilan de compétences à l’âge de 55 ans ou encore créer un compte de formation destiné aux retraités pour financer des formations aux activités socialisées.  

Avec des chercheurs, elle développe un programme de formation court destiné aux seniors et dispensé par l’enseignement supérieur. Démarche essentielle pour former les seniors à cette nouvelle vie ! Il y a urgence ; le taux d’engagement des plus de 65 ans a diminué de 8 points sur neuf ans. Construisons une politique globale de l’activité socialisée des seniors !

Télécharger l'étude :

 

[1] Insee (2019) « 4 millions de seniors seraient en perte d’autonomie en 2050 », Insee Première, n°1767.

[2] Idem

[3] DREES, « Personnes âgées dépendantes : les dépenses de prise en charge pourraient doubler en part de PIB d’ici à 2060 », Etudes & Résultats, Octobre 2017, Numéro 1032.

[4] Abdoul-Carime, S. (2020) « Un tiers des personnes âgées vivant en établissement sont dans un état psychologique dégradé », Études et Résultats, n°1141, Drees, janvier.

[5] Zimmer, Z, Hickey, T, Searle, M.S (1995) “Activity participation and well-being mong older people with arthritis”, The Gerontology, Vol 35, n°4.

Greenfield, E. A., Marks, N. F. (2004). Formal volunteering as a protective factor for older adults’ psychological well-being. Journal of Gerontology: Social Sciences, 59B, S258–S264.

Hammou-ou-Ali, H. (2020) « Les activités socialisées et le bien-être psychologique des seniors », Chaire TDTE, 16 septembre 2020, disponible sur le site : tdte.fr.

[6] Van Willigen, M. (2000). Differential benefits of volunteering across the life span. Journal of Gerontology, 55B, S308–S318.Morrow-Howell, N, Hinterlong, J, Rozario P,A, Tang, F (2003) “Effects of Volunteering on the well-being of older adults”, Journal of Gerontology, Vol 58B, n°3, S137-145.

[7] Adam, S., Bonsang, E., Germain, S., Perelman, S. (2007) « Retraite, activités non professionnelles et vieillissement cognitif. Une exploration à partir des données SHARE », Economie et Statistique, n°403-404, pp. 83-96.

[8] Le fait de pratiquer plusieurs activités en même temps.

[9] Lorenzi, J-H., Albouy, F-X., Villemeur, A. (2020) « Les activités socialisées des seniors », avec la collaboration de Adeline Moret, Chaire TDTE

 

 

Au sein de l'Institut Louis Bachelier, La Chaire "Transitions démographiques, Transitions économiques" (TDTE) est un lieu de recherche et de débat sur l’impact du vieillissement et de la longévité sur l’économie et la société en France.

La Chaire TDTE traite des enjeux économiques liés à la transition démographique à travers cinq axes d’études englobant la pluri-dimensionnalité de la Société du Vieillissement :

  1. L’approfondissement de la Société du Vieillissement
  2. La liquéfaction, le transfert et l’acquisition du patrimoine
  3. La santé et la perte d’autonomie
  4. Les compétences des seniors
  5. L’épargne collective et la retraite