Depuis le rapport alarmant de la Plateforme Intergouvernementale sur la Biodiversité et les Services Ecosystémiques (IPBES) de mai 2019 sur l’évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques, la biodiversité a rejoint le climat sous les projecteurs. L’étendue et le rythme de l'érosion de la biodiversité s’accélèrent, alerte l’IPBES, estimant qu’environ 1 million sur les 8 millions d’espèces animales et végétales sur Terre sont aujourd’hui menacées d’extinction dans les prochaines décennies. Pour restaurer et protéger la nature, des « changements transformateurs » importants sont nécessaires, à l’échelle internationale bien sûr, en incitant les dirigeants, les institutions publiques et les acteurs économiques à agir, mais également à l’échelle locale en plaçant les habitants au cœur des démarches.

Si le constat est largement partagé, comment passer maintenant concrètement de la prise de conscience à l’action ? Comment encourager chaque citoyen à imiter le colibri en faisant « sa part » et impliquer davantage ceux qui le souhaitent ? Quel rôle peuvent jouer les collectivités pour impulser et accompagner ces dynamiques de transition à l’échelle locale ?

 

L’innovation ouverte : de la participation à la contribution des citoyens

Les enjeux de la préservation de la biodiversité passent par une vision territoriale, et ce, afin d’évaluer au plus juste les besoins locaux spécifiques et les acteurs qui assureront le développement et la structuration d’une démarche efficiente. Dans cet écosystème, le plus ouvert possible, voué à faciliter le dialogue et les interactions entre les collectivités, les entreprises privées établies, les startups, la communauté scientifique et d’autres acteurs de l’innovation, la place du citoyen est centrale. Plus que jamais, dans un monde traversé par de multiples transitions, il importe que de nouvelles formes de coopération soient trouvées pour assurer la mise en place de mécanismes puissants de changement et avoir un impact à une échelle globale.  

Les initiatives qu’accompagne la Banque des Territoires via son Lab des Territoires à l’échelle locale visent à initier, de nouvelles méthodes de travail et de collaborations qui mettent les citoyens en position de contributeurs actifs et non plus seulement de participants, à l’instar du dispositif Oh la Biodiv et de l’application de jardinage Hortilio (qui fera l’objet d’un second billet)

Ces démarches s’appuient également sur des programmes de sciences participatives liés à la biodiversité en France, consistant à améliorer les connaissances de la communauté scientifique via des protocoles de collecte de données qui sont issues de l’observation de la nature et l’inventaire d’espèces par des citoyens amateurs ou confirmés.

 

Oh la Biodiv ! L’intelligence collective à la rescousse de la biodiversité

Oh la Biodiv ! est un dispositif expérimental créé par La Hive[1] qui réunit la Ville de Carpentras, la Banque des Territoires, le Museum National d’Histoire Naturelle et CDC Biodiversité.

L’objectif fixé par la Banque des Territoires, initiateur de ce défi, était de concevoir un protocole qui encourage l’implication des citoyens dans la régénération de la biodiversité dans leur ville, tout en engageant la collectivité dans une stratégie volontariste et sur le long terme.

Avant de présenter le projet, rappelons le cadre de cette expérimentation. Le projet s’est déroulé au second semestre 2020, dans des contraintes sanitaires qui ont empêché la phase de co-construction avec les habitants . Cette phase, essentielle à toute démarche d’innovation ouverte, sera donc mise en place ultérieurement pour valider définitivement le dispositif - prototype conçu. Néanmoins, la Hive a pu travailler étroitement avec les usagers tiers : collectivité, Museum, acteurs des sciences participatives, et rencontrer plusieurs associations et acteurs du territoire. 

Il convient également de préciser que la communauté Hive n’est pas experte en matière de biodiversité, mais apporte un cadre méthodologique pour pouvoir aborder un défi sociétal à partir d’une méthodologie qui lui est propre -  prenant ses sources dans les méthodes d’intelligence collective, de Creative Problem Solving, de design thinking - et  un savoir-faire particulier de prototypage “maker”. Pour répondre à ce défi complexe, la construction d’un protocole d’engagement des citoyens aux enjeux de la biodiversité a été imaginé, qui place ceux-ci au cœur d’une expérience sensible et dans une démarche apprenante. Ce protocole permet la mise en œuvre de la stratégie « biodiversité » de la collectivité sur son territoire.

Cette démarche lui permet de travailler dans une posture qui n’est pas celle de “l’expert”, du “sachant” mais plutôt dans une posture dite “basse” de facilitateur de solutions pensées collectivement.

Des enjeux variables selon les acteurs

Dans ce type de processus, la première étape est de comprendre et de révéler les enjeux respectifs de chaque partie prenante, lesquels peuvent, ou non, converger : 

  • Du point de vue de la collectivité, il était important de pouvoir mesurer et rendre visible la transformation progressive du territoire, à travers un outil qui, tout en permettant le suivi des actions menées, soit aussi un moyen de “faire œuvre commune” autour de la biodiversité.
  • Du point de vue des usagers (habitants, commerçants, forains, associations…), il s’agit de redonner de la place à la végétation sur un territoire très minéral et imperméabilisé. Mais aussi de (re) découvrir la nature présente, afin de mieux vivre dans l’espace urbain.
  • Du point de vue des acteurs des sciences participatives, l’intérêt d’un tel projet est d’augmenter l’utilisation de ces outils à l’échelle d’un territoire et de pouvoir passer d’un usage individuel à un projet plus collectif d’une ville.

Un dispositif réplicable mais pas standardisé

A ces enjeux, s’ajoute la volonté que le protocole soit réplicable pour en maximiser l’impact. Cela ne signifie pas de “formater” un dispositif et de le coller de façon standardisée sur d’autres territoires, mais plutôt d’être dans une démarche de design de services dont le squelette soit suffisamment solide pour donner la possibilité de déployer un protocole et des outils qui contribueront à atteindre un objectif d’intérêt général qui dépasse le cadre strict du territoire d’expérimentation.

Une solution pour une cause universelle (la biodiversité) qui s’adapte à des situations locales propres. C’est toute l’agilité dont il est important de faire preuve sur ces démarches d’innovation ouverte. Concevoir et prototyper à partir d’un territoire réel (Carpentras), observer le terrain, s’entretenir avec les acteurs locaux (citoyens, commerçants, forains, élus, techniciens, associations, entreprises…), comprendre les spécificités mais aussi identifier les archétypes, et imaginer un service

Des impacts qui doivent être quantifiables et visibles

Protéger et renforcer la biodiversité sont des messages qui doivent avoir plusieurs niveaux de lecture. La préservation de la biodiversité est un sujet qui doit nous concerner tous. Pour que les comportements s’accordent à la réalisation de cet objectif ambitieux, il est impératif que les impacts soient quantifiables et visibles. De tels défis ayant pour bénéfice principal la valorisation globale du cadre et de la qualité de vie implique de passer par des processus engageant où l’usager est directement responsabilisé et gratifié. C’est ici qu’intervient la démarche créative, pour analyser le contexte puis penser les dispositifs à destination des usagers.

Le dispositif déployé par la Hive propose une intervention à 3 niveaux :

  • l’accompagnement de la collectivité dans son diagnostic Biodiversité et les actions prioritaires à mettre en place.
  • la conception d’une série d’ateliers participatifs pour les habitants visant à les sensibiliser sur la richesse vivante de leur territoire. Les ateliers vont apprendre à recenser, à découvrir et à régénérer autour de 4 thèmes - les insectes, les hérissons, les plantes, l’alimentation et les déchets. Une boîte à outils et des tutoriels ont été créés permettant la formation des animateurs et l’organisation des ateliers de façon autonome.

Jonathan Kemper - Jessica Delp

 

  • La création d’une cartographie partagée qui agglomère l’ensemble des datas existantes : celles produites par la ville (via les ateliers mais aussi les actions directement portées par la collectivité, les entreprises…), et celles produites à plus grande échelle par les applications de sciences participatives, mais qui grâce à cette cartographie vont pouvoir être géolocalisés.

Hive


 

C’est en envisageant un protocole global, alliant à la fois des expériences physiques de terrain, mais aussi un outil numérique permettant de suivre, visualiser et valoriser l’engagement des territoires, qu’un tel programme peut générer de l’impact, au niveau des individus et plus collectivement.

                                                                                                                                Sylvia Andriantsimahavandy

 

En conclusion

Il est intéressant de noter que les solutions étaient déjà en grande partie à la portée des parties prenantes : le diagnostic est un service de CDC biodiversité (SGREEN), la plupart des villes ont des acteurs ressources qui peuvent porter des démarches de sensibilisation s’ils ont les bons outils pour le faire, et les applications de sciences participatives existent déjà mais leurs informations n’étaient pas géolocalisables et valorisables pour une collectivité. L’intérêt de l’expérimentation a été de pousser plus loin l’existant avec l’aide de toutes les parties prenantes et de le mettre dans une perspective de réplicabilité pour en maximiser l’impact.

Si l'enjeu universel de la préservation de la biodiversité n’est plus à prouver, c’est l’engagement et la responsabilisation qui veulent être générés. De l’habitant à la municipalité, les dispositifs prototypés s’activent à travers l’expérimentation, la rencontre et la pratique du territoire, envisagé comme un bien commun.

Ce qui peut être distingue l’intervention de la Hive c’est qu’elle ne se contente pas de poser des recommandations mais a les compétences pour prototyper les solutions : boîte à outils ateliers et cartographie participative ont donc été livrés dans un format de prototype, ainsi qu’une documentation complète proposant différentes stratégies d’engagement pour les collectivités.

 

 

[1] La Hive (Ruche en anglais) est une communauté pluridisciplinaire de jeunes talents créatifs internationaux, qui à travers des méthodes de créativité, de design et de prototypage, propose des solutions à des problématiques sociétales et environnementales.