Numérique, digital… Tout le monde ne parle que de ça ! Ces termes sont même parfois devenus une sorte d’étendard que l’on brandit comme l’argument absolu : n’ayez aucun doute, soyez sans crainte, nous sommes bons, nous sommes « digital » ! Alors, pour paraphraser le général de Gaulle, suffit-il de sauter sur sa chaise comme un cabri en disant « numérique ! digital ! » ?

Au-delà de ces mots-valises, qui peuvent parfois être un cache-sexe bien pratique couvrant l’absence d’une vraie réflexion stratégique, de quoi parle-t-on exactement ? Qu’est-ce qui caractérise l’économie numérique ? Qu’est-ce qui en fait quelque chose de si singulier ? Et comment distinguer les « bons » projets numériques, notamment quand on veut se lancer ou investir ?

Avant d’entrer dans le vif du sujet, précisons qu’il existe une abondante littérature sur cette thématique.  Nous n’aurons évidemment pas la prétention au travers de ces quelques lignes d’être exhaustifs.

Le lecteur curieux et avide de savoirs pourra aisément compléter sa lecture avec de nombreux ouvrages sur ce sujet…

 

Quelques particularités de l’économie numérique

Les technologies numériques ont cette particularité de transformer radicalement la façon dont des « biens » ou des « services traditionnels » peuvent être apportés ou fournis à leurs clients.

Cela se traduit la plupart du temps par une baisse des coûts, une réduction des délais, et aussi par une personnalisation du service offert.

Ainsi, au lieu d’aller au kiosque à journaux, le journal du dimanche matin sera directement téléchargé sur la tablette. Pas besoin d’aller acheter le DVD du dernier Clint Eastwood, on le visionnera directement sur une plate-forme de « streaming » qui nous recommandera par ailleurs d’autres films ou séries du même genre. Finies les brocantes, on chinera désormais directement depuis le canapé du salon… De tels exemples de la vie quotidienne sont aujourd’hui nombreux et montrent à quel point les services numériques ont transformé nos habitudes de consommation.

Au-delà de la forme d’optimisation que permet le numérique dans l’économie traditionnelle, il suscite de nouveaux modèles de création de valeur, qui sont caractéristiques de ce que l’on pourrait appeler l’ « économie numérique » :

 

  • Une nouvelle distribution des contenus 

Le numérique crée une nouvelle économie de production de contenus mais aussi et surtout de distribution de ces contenus (presse en ligne, vidéo à la demande…).

Ces facilités dans la distribution permettent une diffusion rapide du côté des clients. Elles rendent les choses plus simples et moins coûteuses pour le « commerçant » qui se passe ainsi, totalement ou en partie, d’un réseau de commercialisation physique (points de vente) en s’appuyant désormais sur le réseau de distribution offert par Internet. D’autres encore, comme Amazon, mettent en place en parallèle un réseau logistique extrêmement puissant. Outre cette facilitation de la distribution, ce modèle facilite aussi grandement le passage à l’échelle, qu’il soit national ou même international.

 

  • De nouveaux producteurs 

Le numérique tire parti de la multitude, en mobilisant de nouveaux « producteurs », conscients ou non de ce rôle de producteur. Il peut s’agir de simples particuliers qui par leur utilisation d’un service et par la production de données associées, permettent de rendre ce service encore plus performant. Un exemple frappant de cette utilisation de la multitude est le service « waze » qui sans la production de données de circulation de ses utilisateurs ne servirait pas à grand-chose !

Mais la multitude peut aussi être composée de travailleurs indépendants voire d'entreprises trouvant un complément de revenu dans un nouveau service.  Blablacar ou Airbnb sont de parfaites illustrations de ce concept : chaque particulier devient ainsi un acteur potentiellement rémunéré du service proposé.

 

  • Un modèle d’affaires « biface »

Le modèle d’affaire d’un service numérique est souvent « biface »Que cela signifie-t-il ? Biface signifie que le service s’adresse à deux cibles, deux groupes d’« agents » distincts. La participation d’un groupe à ce modèle augmente la valeur de la participation pour l’autre groupe, et souvent réciproquement. L’exemple sans doute le plus illustratif de ce modèle est celui de Google qui s’adresse à la fois aux particuliers et aux annonceurs. C’est la participation de la première catégorie qui permet de tirer des revenus publicitaires de la seconde. Ce modèle « biface » peut permettre d’offrir apparemment « gratuitement » le service à une des cibles. C’est le fameux « si c’est gratuit, c’est ce que vous êtes le produit ! »

 

  • Le « freemium »

Le modèle d’affaires peut parfois être « freemium », c’est-à-dire qu’une offre gratuite permet de rassembler une large base d’utilisateurs. Une offre complémentaire payante, souscrite par une partie de ces utilisateurs, permet alors de générer des revenus et alimentent ainsi le modèle économique

 

  • La production de données à valeur marchande

Une autre caractéristique de ces services numériques c’est qu’ils créent des données qui ont une très forte valeur et participent ainsi parfois au modèle économique.

C’est sur cette valeur des données que s’est créé par exemple la société DAWEX qui propose une plateforme sécurisée de monétisation et d’échange de données (marketing, commerciales, industrielles, financières, administratives…). La vocation de cette plateforme est extrêmement simple : faire se rencontrer « détenteurs » de données et acheteurs, et simplifier drastiquement les étapes qui permettent la commercialisation ou le partage de la donnée. La question de la valorisation des données peut parfois susciter des débats, en particulier quand il s’agit des données individuelles. En France, ceci est encadrée, notamment par la CNIL, et également par la réglementation RGPD.

 

  • La diversification des sources de revenus

Les sources de revenus potentielles des services numériques sont ainsi multiples : abonnement, à la transaction, publicité, freemium, valorisation des données, etc. 

 

  • L’innovation marketing

L’innovation dans les services numériques est finalement assez rarement technique mais elle est avant tout marketing. Ainsi, Uber est un succès considérable qui ne repose sur aucune innovation technique particulière ; dans cet exemple, le design et la facilité d’usage sont des facteurs-clés de succès du service numérique.

 

  • Le MVP

Un service numérique est souvent lancé sur la base d’une offre réduite par rapport à la cible envisagée, mais suffisante pour tester le concept ; d’où la notion de produit minimum viable ou MVP en anglais (Minimum Viable Product) ; c’est ainsi l’essai directement sur le marché, et non des études plus ou moins théoriques, qui apportent les indications nécessaires à poursuite des développements et permettent ainsi une grande réactivité ainsi qu’une plus grande souplesse et flexibilité dans le développement du produit. Le succès n’est pas toujours immédiatement au rendez-vous, et plusieurs cycles d’essai peuvent être nécessaires avant de trouver les clefs du marché et d’assurer ainsi une rentabilité à la solution.

 

  • Le modèle à rendement croissant

La croissance est souvent à la fois une opportunité et une obligation. Les modèles d’affaires sont en effet souvent à rendement croissant. Le « leader » du marché créé par le service peut alors rapidement acquérir une position extrêmement dominante. C’est le concept bien connu du « winner takes all » . L’exemple qui vient évidemment tout de suite à l’esprit est celui des GAFAM (google, amazon, facebook, apple, microsoft) qui ont acquis chacun une position si dominante que nombreux sont ceux qui se demandent si de tels monopoles peuvent être mis à mal par la concurrence. Au-delà de la spécificité liée aux plates-formes numériques, quelques indications commencent à montrer que cette domination n'est pas sans recéler certaines faiblesses : demande de plus en plus forte de régulation, méfiance grandissante des utilisateurs, émergence de solutions techniques (exemple des adblocks notamment qui bloquent la publicité sur les navigateurs Internet), émergence de solutions alternatives parfois plus « locales ».

 

  • La loi de Metcalfe

L’effet réseau et la fameuse loi de Metcalfe sont souvent une caractéristique forte des services numériques. La Loi de Metcalfe dit simplement que plus il y a d'utilisateurs dans un réseau, plus ce réseau a de la valeur. Elle trouve notamment à s'appliquer dans n'importe quel réseau social (de type Facebook par exemple). Si vous êtes le seul inscrit, vous n'y trouvez aucune utilité, mais si toutes vos connaissances font également partie du réseau alors les fonctions de partage et d'échange commencent à prendre du sens, et le service de l’intérêt ! La loi de Metcalfe explique aussi que le contenu d'outils collaboratifs (Wikipédia ou OpenStreetMap par exemple) s'enrichit et devient plus efficace, de manière encore plus rapide que la vitesse de croissance du nombre des contributeurs.

 

  • Les applications

Un service numérique est une application, conçue pour un usage particulier (ex : Blablacar) ou une plateforme (ex : Appstore), qui permet le développement d’applications par des « sur-traitants », intermédiaires avec les utilisateurs finaux. A noter que d’un point de vue technique une plateforme donne accès à ses ressources (fonctionnalités, données…) par des API (Application Programming interface).

 

Enfin, il ne faut pas oublier que l’innovation est portée par des personnes physiques qui sont des ressources clefs pour la réussite du projet.

 

Quels sont les bons réflexes à avoir avant de se lancer ou d’investir dans un projet de services numériques ?

Pour l’entrepreneur ou l’investisseur, l’économie des services numériques a donc de fortes spécificités et induit un certain nombre de « règles » de bon sens et de réflexes :

 

  • S’agissant d’activités nouvelles, et même en rupture par rapport aux modèles d’affaires connus, le risque est souvent élevé pour l’investisseur – dans ce cas, on se situe dans ce qu’on appelle du « capital-risque ».
  • En contrepartie, il est possible d’obtenir un rendement important à ces investissements notamment quand le modèle économique est basé sur une plateforme logicielle, puisque dans ce cas, les besoins en CAPEX (« capital expenditure », c’est-à-dire les dépenses d’investissement) d’une plateforme peuvent être assez faibles, le coût marginal de commercialisation et de production également, alors que le revenu récurrent, va assez vite s’accroître.
  • Pour l’investisseur qui est tenté de se positionner sur ces services numériques, la rentabilité est donc obtenue dans une logique de portefeuille. Dans un « portefeuille » de projets, chacun pourra avoir des fortunes diverses : certains vont échouer ou simplement végéter, et les quelques autres vont à eux seuls permettre d’assurer le retour sur investissement de l’ensemble.
  • Pour ce qui est des services s’appuyant sur le concept de plateforme, la prime au leader (le fameux « winner takes all » évoqué ci-dessus) pousse à la recherche de croissance rapide. Il s’agit donc d’assurer une cadence d’investissement suffisante pour soutenir la course à la taille.
  • Dans le cadre d’investissement dans les services numériques, l’investisseur doit la plupart du temps accepter le réinvestissement de l’essentiel des bénéfices dans la société plutôt que dans la redistribution régulière de dividendes. L’investisseur est plutôt dans une logique de se rémunérer à la cession de ses parts ; le multiple de sortie peut alors être important.

 

Quelques bonnes pratiques dans l’analyse d’un dossier de services numériques

Une des premières étapes consiste à tester quelques clients existants et/ou potentiels, et ne poursuivre que s’ils donnent des retours unanimement très positifs.

Un certain nombre de points sont particulièrement à regarder – comme pour tout autre projet d’investissement – dans un projet de services numériques :

  • Quel est le marché potentiel accessible ?
  • Quelle est la proposition de valeur pour les (segments de) clients ciblés ?
  • Quelles sont les sources de différentiation durable sur les marchés ciblés ?
  • Quels sont les autres choix clés dans la gestion de l’activité ?
  • Quelle est la commercialisation (le « go to market ») envisagée ?
  • Comment les flux de revenus et coûts se transforment-ils en cash-flow?
  • Quel est le plan d’affaire (Business Plan) et quelles hypothèses explicites permettent de simuler des scénarios dégradés ?

La réalisation d’audits sur un certain nombre de sujets pertinents est conseillée : technique, social, fiscal, comptable, audit autour de la valorisation, étude marché…

 

Et évidemment, un certain nombre d’éléments doivent faire l’objet d’attentions particulières :

  • Aspects humains et cohésion de l’équipe porteuse du projet :

Le profil des fondateurs, et notamment leur expérience d’entrepreneur. Le développement d’une activité nouvelle fait appel à des savoir-faire très spécifiques, et à la complémentarité des compétences est cruciale : techniques, marketing, commerciales, financières ;

Quels sont les « hommes-clés » du projet, ceux sans qui il n’existe plus, et comment y sont-ils associés ?

 

  • Aspects technologiques :

Le projet est-il basé sur une nouvelle technologie non mise en œuvre à ce jour, ou bien s’agit-il de l’adaptation à un segment de marché, d’une technologie existante ? ;

Dans le cas d’une nouvelle technologie, existe-t-il un démonstrateur ? La technologie utilisée (nouvelle ou existante) a-t-elle fait l’objet d’une recherche d’antériorité (propriété intellectuelle) ? ;

Le projet introduit-il une rupture technologique sur les segments de marchés visés ? Et dans ce cas, les conséquences (acceptabilité, formation, investissements complémentaires à la charge de tiers...) de cette rupture ont-elles été évaluées ?

 

  • Propriété intellectuelle :

Marques et brevets, ainsi que « droits d’auteur » : Logiciels : certaines spécificités sont à intégrer, comme l’enregistrement des codes sources, la valorisation des licences apportées, la vérification de la validité des licences utilisées.

 

  • Bases de données :

Un double régime de propriété intellectuelle s’applique aux bases de données ; elles constituent souvent un actif important à prendre en compte dans les services numériques, mais certaines contraintes sont fortes (par exemple la réglementation Informatique et Liberté) et l’application de la propriété en qualité de producteur de base de données ou la démonstration de l’arrangement original et innovant qui prévaut à la propriété reconnue sont parfois compliquées à prouver.

 

  • Temporalité :

Le processus de développement technique du projet (si c’est le cas) est-il itératif avec la possibilité de mettre en exploitation les versions intermédiaires, ou bien faut-il avoir terminé le projet pour pouvoir l’utiliser ?

 

La Caisse des Dépôts, au travers notamment de la Banque des Territoires s’intéresse fortement aux services numériques car ils peuvent contribuer à améliorer le fonctionnement et les services offerts par les collectivités territoriales, les professions juridiques et les acteurs de l’habitat. Les territoires, notamment, se sont progressivement intéressés à la façon dont le numérique pouvait contribuer à améliorer les services, que ce soient les services urbains ou plus largement tous types de services. C’est ainsi que les projets français de ville intelligente et durable se sont multipliés dans les grandes métropoles et s’étendent aux villes moyennes. Chaque projet est le résultat d’une trajectoire particulière des équipes et de leurs élus, tous conscients de leurs particularités géographiques, économiques et culturelles. La plupart des projets visent aujourd’hui à optimiser les services publics urbains (eau, éclairage, déchets), à créer une véritable mobilité multimodale ou encore à créer une relation avec les habitants.ville