EPL d’aménagement : quelles transformations de ces outils clés du développement territorial dans un contexte de crise(s) ?

Les mondes de l’aménagement et de l’économie mixte sont en crise(s) et en mouvement : pression croissante sur les ressources et les modèles économiques, recomposition de la chaîne de valeur de l’aménagement et repositionnement de ses acteurs, niveaux de contraintes croissants, urgence des transitions…

Dans ce contexte notamment aggravé par la crise immobilière en cours, quels horizons se dessinent pour les Entreprises Publiques Locales (EPL) œuvrant à l’aménagement de nos territoires ? Dans quelle mesure gardent-elles le cap et se réinventent-elles alors que leurs contextes d’intervention et l’acte même d’aménager se transforment profondément ?

Tempête sur l’aménagement : d’un choc à l’autre

Face à des défis croissants, la filière de l’aménagement du territoire traverse une période de mutation. Quels sont les différents paramètres de la nouvelle et complexe équation qui s’écrit entre pression démographique, contraintes budgétaires et exigences environnementales renforcées ?

• Les besoins conséquents de logements et d’espaces commerciaux / productifs ;
• Les contraintes législatives et réglementaires plus fortes sur les opérations d’aménagement ;
• La nécessaire mise en œuvre des nouveaux principes de la fabrique des territoires :  durabilité, recyclage, frugalité, etc.
• Les importantes implications financières de la complexification des opérations, alliées à une augmentation tangible du coût des matériaux et de l’énergie ;
• Une implication et des oppositions citoyennes plus intenses et fréquentes à l’endroit des aménagements urbains…

Dans un cadre marqué par le changement des modes de faire des acteurs de l’aménagement mais aussi par divers chocs conjoncturels, la crise immobilière a joué un rôle particulier. En effet, elle a déstabilisé le fonctionnement de l’écosystème de l’aménagement du territoire en donnant lieu à des niveaux de tensions très importants sur les marchés immobiliers, à une baisse du nombre de transactions ainsi qu’à une fragilisation du secteur de la promotion. Par un effet « domino », les autres segments de la chaîne de valeur de l’aménagement ont également été impactés. Ainsi, comment les EPL d’aménagement, outils historiques du développement territorial français, ont-elles réagi à ces chocs ?

Des structures sous tension et des modèles en transformation

L’économie mixte à la française a historiquement été créée pour répondre à des problématiques de logement et d’aménagement du territoire. Cet ADN historique est toujours présent puisqu’environ la moitié des EPL compte actuellement parmi ses activités des métiers liés à l’aménagement. À ce titre, elles ont été touchées par les effets des diverses crises récentes (crise sanitaire de la COVID-19, contexte inflationniste, crise immobilière…) et par les transformations de l’acte d’aménager, ce dernier s’étant complexifié et renchéri. Ainsi, on ne peut que remarquer que les exercices financiers 2022 et 2023 des EPL d’aménagement ont été plus défavorables que les précédents. Ainsi, malgré la stabilité notable de leurs chiffres d’affaires depuis 2019 et des projections plus favorables pour 2024-2025, la crise de la construction et du logement a fragilisé les EPL d’aménagement, dont le résultat net a connu une baisse de 32% sur la période 2022-2023.

Pour faire face à ces chocs, les EPL d’aménagement ont conduit des efforts importants de consolidation de leur structure financière, en augmentant fortement leurs capitaux propres (passés de 23,24 milliards d’euros en 2018 à 32,89 milliards d’euros en 2023, soit une hausse d’environ 42%) ainsi que leur capital social (soit en sollicitant leurs actionnaires, publics comme privés, soit en incorporant leurs réserves), mais aussi en résorbant leur endettement. Les EPL d’aménagement – à l’instar de l’ensemble des EPL – se sont tournées vers des logiques de diversification accrue de leurs activités, leur permettant parfois de sécuriser leurs opérations et de trouver des équilibres financiers en cas de crise et de revers de fortune.

Dans ce contexte marqué par de nombreuses incertitudes, on s’aperçoit que les EPL cherchent à se donner les capacités d’agir. Par cela, elles démontrent leur résilience et leur caractère de structures tournées vers l’adaptation et l’innovation dans un monde en changement.

Des couteaux suisses taillés pour faire face aux crises et concrétiser les transitions ?

Malgré les difficultés financières et les crises - historiques comme plus récentes - traversées par les EPL d’aménagement, celles-ci demeurent des opérateurs essentiels de l’action publique locale. En effet, elles peuvent s’appuyer sur leurs atouts opérationnels et leur vision stratégique. Elles peuvent notamment compter sur des capacités de réalisation et de gestion d’opérations d’aménagement complexes, une inscription à long terme sur leurs territoires d’intervention et la création de liens de confiance avec leurs décideurs, des leviers certains d’expérimentation mais aussi la possibilité de générer un effet levier à partir de leur dette.

Les recompositions en cours du monde de l’aménagement ouvrent également de nouvelles opportunités d’intervention et d’alimentation de leur plan d’affaires, à travers les sujets suivants : la massification du traitement de l'habitat ancien dégradé, la régénération, la densification et la redynamisation des zones d’activités et des entrées de ville, les démarches et les programmes de réindustrialisation, la généralisation des interventions de recyclage urbain, l’adaptation du parc immobilier et des espaces urbanisés au vieillissement de la population…

À l’aune de ces recompositions, les EPL se réinventent en menant de front plusieurs chantiers majeurs. Pour partager le risque et innover dans leurs modalités de réalisation de projets, elles renforcent les synergies entre elles et avec d’autres acteurs à travers divers modes de partenariats (création de grappes d’EPL, logique de filialisation, signature de protocoles de collaboration…). Par ailleurs, elles empruntent différentes voies de diversification de leurs activités et se positionnent sur de nouveaux segments de la chaîne de l’aménagement, que ce soit vers l’amont (prestations de conseil pour leurs actionnaires, interventions foncières de long terme, etc.) ou vers l’aval (gestion patrimoniale, exploitation de services urbains…). Elles diversifient également leurs métiers et modalités d’intervention, en développant entre autres des expertises pointues sur la gestion de la dureté foncière, les montages d’opérations innovants, la rénovation énergétique des bâtiments ou encore la gestion des problématiques environnementales liées aux opérations (gestion durable des ressources, gestion des risques naturels, labellisation des programmes immobiliers, etc.).

Sans occulter les défis et difficultés qu’elles rencontrent à l’aune des crises actuelles, les EPL font évoluer leurs compétences, outils et structuration afin d’être capables de répondre aux urgences des territoires, tout en anticipant leurs besoins futurs. Un chantier à la hauteur de l’importance des transitions en cours – et de ces structures incontournables du développement territorial.

Pour approfondir :

Consultez l’intégralité de l’étude « Les Epl d’aménagement : Données et tendances », portée par la Fédération des élus des Entreprises publiques locales et la Banque des Territoires, pour découvrir un panorama passé, présent et futur des Epl d’aménagement, de leurs activités et de leurs perspectives.