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SOMMAIRE
1.Renaturation ou restauration des sols ? Une définition à éclaircir
2.Refonctionnaliser les sols : quelles conditions techniques et socio-économiques ?
3. Renaturer les territoires : quelles échelles, quels acteurs ?
La renaturation, si elle est décrite dans la loi Climat et Résilience (article 192, 2021) comme un ensemble d’« actions de restauration ou d’amélioration de la fonctionnalité d’un sol », fait encore l’objet de définitions en tension. Le sol bénéficie d’une attention croissante dans les travaux scientifiques sur le sujet, et la renaturation tend à devenir synonyme de « refonctionnalisation des sols ». Pourtant, la mise en œuvre de la renaturation sur les territoires occulte parfois les sols et est plus souvent associée à un ensemble de pratiques de restauration d’espaces de nature en milieu anthropisé. Lorsque l’on quitte l’échelle du profil de sol pour s’intéresser à celle du territoire, de nouveaux enjeux doivent être interrogés, plus socio-politiques que technico-scientifiques. Qui sont les acteurs et populations concernés par la renaturation ? Quels conflits d’usage peuvent apparaître ? Quels outils sont mobilisés par les acteurs pour territorialiser ces stratégies de renaturation ?
Cet article reprend les principaux enseignements de la journée d’étude organisée par la Chaire Transition Foncière le 12 décembre 2024 à l’Ecole des Ingénieurs de la Ville de Paris, intitulée « Renaturer les territoires : quelles échelles, quels acteurs ? ». Après un temps dédié à l’exploration des définitions et des notions associées à la renaturation, comme le rewilding, la journée s’est concentrée sur les outils de territorialisation de la renaturation et sur les acteurs et populations concernés par ces projets, avant d’interroger les enjeux liés à la politisation de ce concept.
La renaturation est un concept polysémique : au-delà de son utilisation réglementaire – évoquée ci- dessus – pour désigner des pratiques de refonctionnalisation des sols, le terme évoque dans l’imaginaire collectif des logiques de réintroduction d’espaces de nature – ou d’espèces sauvages – dans des milieux anthropisés. En cela, il fait écho à d’autres concepts utilisés en conservation de la nature, notamment le réensauvagement (rewilding). Celui-ci, développé aux Etats-Unis, est d’abord issu d’une volonté des militants environnementalistes de sortir d’une lecture esthétisante des paysages sauvages (wilderness) en mobilisant les principes de l’écologie de la conservation. Il s’agit en premier lieu de réinstaurer des espaces sauvages, dans une logique expansive, depuis les zones protégées, vers leurs marges1. Ces dernières années, des expériences de réensauvagement commencent à s’appliquer aussi au tissu urbain, en exploitant ses marges et ses interstices.
Cette approche nommée « ensauvagement urbain »2, renvoie à des processus écologiques spontanés, en promouvant des espaces urbains avec peu d’interventions humaines. En se distinguant d’approches plus classiques de « végétalisation », elle suppose la diminution ou l’absence de pratiques de maintenance, sans pour autant impliquer un moindre usage de ces espaces.
La notion de renaturation, qui s’en approche, suppose une narration de la transformation de la ville, d’un milieu minéral à un milieu renaturé, ensauvagé. Ce faisant, une multitude de récits s’appuient sur ce concept : « ville-nature », « ville-forêt » ou encore « ville-éponge »3.
A écouter : Un retour à la nature ou un retour de la nature ?
Au-delà des débats sémantiques, la mise en œuvre de la renaturation suscite des interrogations liées à son déploiement dans l’espace : maîtrise foncière, planification, articulation des documents d’urbanisme …
Les pratiques mises en œuvre dans le cadre de la restauration des cours d’eau peuvent éclairer ces enjeux, notamment sur le plan du foncier. Les configurations foncières lors du reméandrage des cours d’eau peuvent être complexes, et le nombre d’interlocuteurs particulièrement important, face à des acteurs de la restauration encore peu outillés. L’acquisition foncière peut être mobilisée pour les opérations d’ampleur, mais reste une stratégie de dernier recours, la contractualisation avec les propriétaires étant privilégiée4.
Au-delà des enjeux de maîtrise foncière, la renaturation, pensée à l’échelle territoriale, doit reposer sur une métrique commune, aujourd’hui difficilement établie. La mesure des processus de désartificialisation et de renaturation fait face à des limites importantes et de nombreux biais d’observation. Si la renaturation semble représenter un contre-poids négligeable face aux dynamiques d’artificialisation, elle doit se penser en articulation avec les stratégies écologiques locales, dans une logique de projet de territoire. Les acteurs locaux soulignent un besoin d’expertise et d’ingénierie en matière de fonctionnalité des sols : cet outillage doit s’articuler avec une actualisation du langage cartographique, du foncier au sol vivant.
A écouter : Planifier et spatialiser la renaturation
Si la renaturation a des incidences spatiales, elle a aussi des incidences sociales. La troisième séquence de la journée d’étude était dédiée aux acteurs parties prenantes des processus de renaturation, mais aussi aux populations qui en bénéficient ou en sont exclues.
La renaturation des espaces urbains peut être pensée comme un moyen de participer au bien-être des citadins5, véritable outil de santé publique. La géographe Lise Bourdeau-Lepage souligne l’importance de développer une approche de la renaturation par le soin, invitant à considérer la ville comme un espace relationnel, un espace d’interactions entre les citadins et leur milieu naturel.
Les acteurs de la renaturation sont aussi ceux qui participent à la production de nature en ville. L’anthropologue Ana-Cristina Torres s’est intéressée au travail des jardiniers des jardins collectifs, et à leur démarche pour exercer leur droit aux sols urbains. En étant régulièrement confrontés à des problématiques de pollution des sols, les jardiniers ne sont pas de simples usagers mais aussi des producteurs de ces espaces de nature et de ces sols restaurés.
Les opérations de renaturation peuvent aussi contribuer à exclure certaines populations, en sélectionnant les usages et les populations qui y sont jugées légitimes6. Le quartier de la Bouillie à Blois est un exemple de processus de désurbanisation support d’un nouveau projet métropolitain, au détriment de certaines populations marginalisées qui habitent ces espaces vulnérables.
A écouter : Une renaturation par qui et pour qui ?
La renaturation devient un mot d’ordre politique, mobilisé par les collectivités territoriales pour mettre en œuvre des projets de territoire, comme celui du Grand Chemin à Est Ensemble. Ce type de projet structurant d’un point de vue physique mais aussi stratégique constitue aussi un outil d’argumentation pour d’autres projets opérationnels qui s’appuient sur son tracé.
Le passage du concept de renaturation d’une arène technique à une arène politique interroge également la posture des concepteurs, paysagistes, urbanistes ou architectes. Les controverses et oppositions à certains projets d’aménagement révèlent des tensions dans les discours sur la renaturation, et renvoient à des approches différentes du rôle des concepteurs : certains comme le paysagiste Karim Lahiani (atelier Le Vent se Lève !) font le choix de mettre en lumière des contre-projets portés par des collectifs citoyens.
Au-delà des enjeux techniques et scientifiques, la renaturation des sols et des territoires soulève donc des questions de faisabilité opérationnelle, de mise en œuvre et d’appropriation par les populations concernées. Si le sol est un habitat pour les êtres vivants, il est aussi un objet politique !
A écouter : Des pratiques de renaturation en débat
Pour approfondir : Vous pouvez consultez le podcast de la journée d’étude du 12 décembre 2024, ou consulter le prochain Cahier de la Chaire, à paraître en juin 2025 !
1 Barraud R., Andreu-Boussut V., Chadenas C., Portal C. et Guyot S. « Ensauvagement et ré-ensauvagement de l’Europe : controverse et postures scientifiques ». Bulletin de l’Association de géographes français, 2019, 96 (2), 301-318.
2 Bonthoux, S., & Chollet, S. (2024). « Wilding cities for biodiversity and people: a transdisciplinary framework ». Biological Reviews, 99(4), 1458-1480.
3 Lavigne J. (2025), « Re-naturation(s), fonctions narratives du préfixe re- », Renaturer les territoires : quelles échelles, quels acteurs, Cahier de la Chaire Transition Foncière, à paraître.
4 Mathieu Bonnefond et Marie Fournier, « Maîtrise foncière dans les espaces ruraux. Un défi pour les projets de renaturation des cours d’eau », Économie rurale. Agricultures, alimentations, territoires, no 334 (15 mars 2013): 55-68, https://doi.org/10.4000/economierurale.3908.
5 Bourdeau-Lepage L. et Wiesztort L. « Pratiques et attentes citadines de nature(s) en ville. Enquête sur les parcs et jardins publics de Lyon », in Bourdeau-Lepage L. Nature en ville. Désirs et controverses, Editions La Librairie des Territoires, 64-75, 2017
6 Cardinal J., « Questionner les effets inégalitaires de la mise en place d’une solution fondée sur la nature face aux risques d’inondation. Étude de cas du territoire de La Bouillie, à Blois », Développement durable et territoires, Vol. 14, n°2, 2023.