Alors que le secteur cinématographique vit une série de bouleversements, les salles de centre-ville conservent aujourd’hui un rôle primordial dans le dynamisme des territoires et la transmission culturelle, malgré des fragilités économiques persistantes. Portée par un divertissement artistique et populaire, la salle de cinéma peut et doit se réinventer comme un lieu de vie à la fois culturelle et sociale, et jouer sur ces atouts de proximité, pour continuer à exister dans un paysage dominé par les multiplexes et les plateformes.

La salle de cinéma, la rencontre entre un film et son public

Le cinéma a connu deux bouleversements majeurs au cours de la dernière décennie : l’essor des plateformes de streaming et la crise sanitaire.

Le streaming par abonnement a connu un essor majeur en France depuis 10 ans, avec un nouveau record en 2025 : 58% des Français sont abonnés à au moins un service (Netflix, Prime Video, Disney+…). Au départ, ces plateformes ont été perçues comme une menace frontale pour les salles, tant par la concurrence directe (un catalogue conséquent de films disponibles en ligne) qu’indirecte (le développement des séries, qui captent le temps de loisirs). Mais après une phase de confrontation, on observe désormais une forme de cohabitation et même de coopération.

Des festivals, dont le plus emblématique d’entre eux : le Festival de Cannes, continuent d’imposer une sortie en salle pour concourir, et les grands studios ont compris que l’exploitation en salle reste un vecteur de visibilité et de rentabilité indispensable. En parallèle, les plateformes de streaming étrangères investissent dans le cinéma français : en 2023, elles ont cofinancé près de 40 films pour un total de 48 millions d’euros, doublant ainsi leur effort par rapport à 2022.

Résultat : loin d’être supplantée, la magie collective et immersive de la diffusion sur grand écran a conservé une place cœur dans l’écosystème cinématographique, confirmant son rôle comme fenêtre incontournable pour lancer un film et valoriser son exploitation ultérieure (plateforme, télévision, DVD).

La crise sanitaire, une épreuve révélatrice pour le secteur

La crise sanitaire a représenté un séisme pour le secteur. Les salles françaises ont subi plus de 300 jours de fermeture entre 2020 et 2021, avec une chute de fréquentation de –70 % en 2020 et –55 % en 2021 par rapport à 2019.

La reprise a été progressive : en 2022, la fréquentation s’est redressée (152 millions d’entrées), puis a franchi 181,5 millions d’entrées en 2024, pour se rapprocher du niveau d’avant-Covid. Fait notable, la part de marché des films français s’est élevée à 44,8 %, un record depuis 2008 et une exception en Europe.

Mais derrière ces résultats satisfaisants à l’échelle nationale, les disparités sont fortes. Les grands groupes ont résisté grâce à leur assise financière, tandis que de nombreuses salles indépendantes ont souffert de trésoreries fragiles. L’État a massivement soutenu le secteur (près de 440 millions d’euros injectés via le CNC), mais les petites salles restent marquées par une reprise plus lente, faute de moyens pour réinvestir.

Une économie des salles indépendantes toujours fragile

Les salles indépendantes représentent plus de 40% des écrans, mais ne génèrent que 26 % des entrées, alors qu’elles portent une mission culturelle et sociale essentielle. Leur gestion est souvent soutenue par des bénévoles, dont l’engagement cinéphile participe à la vie culturelle du territoire. Ces structures, moins dotées en fonds propres, mettent plus de temps à moderniser leurs équipements ou à diversifier leurs recettes.

Elles dépendent largement du soutien du CNC et des collectivités locales, ce qui les rend plus vulnérables aux aléas budgétaires. Quant aux réhabilitations ou constructions de nouvelles salles, elles restent complexes et coûteuses : la Banque des Territoires accompagne les collectivités dans ces projets via ses programmes « Action Cœur de Ville » et « Petites Ville de Demain », comme à Dieppe, Trévières ou Nay.

Un modèle de cinéma de centre-ville à développer, pour soutenir sa place en tant qu’équipement culturel et social du territoire

Les cinémas indépendants de centre-ville doivent trouver un nouvel élan. Leur rôle ne se limite pas à projeter des films : ils sont des lieux de vie culturelle et sociale, capables de revitaliser un territoire. Trois leviers apparaissent essentiels :

1. Renforcer l’ancrage local : en multipliant les partenariats avec les écoles, les universités, les associations, pour faire du cinéma un outil d’éducation populaire et d’animation locale.

À Dieppe, le projet de cinéma multiplex s'articule avec la Scène Nationale de Dieppe (DSN) qui participe activement au projet Ecole et Cinéma développé dans une trentaine d'écoles de territoire. Sur réservation, des séances spéciales sont organisées pour les groupes, les écoles et les centres de loisirs, généralement accompagnées de documents pédagogiques et pouvant donner lieu à des prolongements (rencontres, discussions visite de la cabine de projection…). Le nouveau cinéma bénéficie d'un écosystème éducatif déjà structuré avec une salle classée « Art et essai » avec les label « Patrimoine et Répertoire », « Recherche et Découvertes », « Jeune public » (seules 220 salles sont ainsi labellisés sur les 2000 que compte l'Hexagone.)

 

2. Affirmer une identité singulière : par une programmation culturelle diversifiée, des événements réguliers (débats, ciné-concerts, ateliers), et une médiation pour tous les publics.

Le cinéma de Nay illustre parfaitement cette approche avec une programmation pluraliste, populaire et accessible tout en visant le classement « Art et essai ». Un grand espace du hall commun permettra d’organiser des apéros ateliers et des rencontres en lien avec les films.

 

3.Diversifier l’offre et les recettes : par des activités annexes au cinéma, comme la restauration, des ateliers, de la location d’espaces aux associations, des diffusions d’événements culturels… autant de moyens d’élargir les publics et de soutenir l’économie de la salle.

À Trévières, la réhabilitation du cinéma et de l’ancienne Poste vise à revitaliser le centre-bourg en associant offre culturelle, restauration locale et logements à loyer modéré. Ce projet de 3 millions d’euros, soutenu par le programme « Petites Villes de Demain », prévoit un cinéma modernisé, un restaurant bistronomique et trois logements. Inscrit dans une démarche patrimoniale et écologique, il valorise un bâtiment labellisé « Patrimoine de la Reconstruction » et bénéficie du soutien de la Fondation du Patrimoine ainsi que de financements publics et énergétiques pour favoriser une rénovation durable.

 

Plutôt que de s'aligner sur les multiplexes, les salles indépendantes ont tout à gagner à valoriser leurs atouts propres : proximité, convivialité et programmation sur mesure. Elles peuvent ainsi devenir tout à la fois un lieu de vie au cœur de leur quartier, et une vitrine culturelle pour leur commune

 

Sources : CNC, Sénat, cabinet NPA, Insee