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Alors que les conséquences des changements climatiques se font davantage ressentir - comme en témoignent la multiplicité et la fréquence des catastrophes météorologiques (sécheresse, canicule, inondation…) - les émissions d’énergies fossiles continuent, hélas, d’augmenter. Le corolaire de cette situation réside dans l’augmentation des risques financiers résultant des changements climatiques, mais de quoi s’agit-il exactement ?

Les deux grandes catégories de risques financiers liés au climat

Dans ce contexte peu reluisant, le système financier est, en effet, particulièrement vulnérable. S’il fait consensus que le secteur financier doit contribuer massivement à la transition écologique en réorientant les flux financiers vers des projets favorables à une économie bas-carbone, il est également en première ligne en termes de risques liés aux changements climatiques.

Ainsi, deux grands types de risques climatiques financiers ont été identifiés :

  • Le risque physique correspond aux pertes et aux dommages sur les acteurs économiques causés par le climat. Ce risque peut toucher, par exemple, des entreprises ayant des actifs (comme des usines) dans des zones susceptibles de subir des aléas météorologiques ; des assureurs enregistrant une hausse de leur sinistralité et donc une augmentation des indemnisations à fournir à leurs assurés ; ou encore des banques ayant accordé des prêts à des entreprises affectées par le climat. Certes, le risque physique peut engendrer des pertes considérables : les dommages des catastrophes naturelles ont atteint la somme record de 275 milliards de dollars dans le monde entier, en 2022, selon un rapport du réassureur suisse Swiss Re. Mais, il reste assez simple à appréhender sur le plan conceptuel dans les modélisations. Ces dernières incluent ainsi une fonction de dommage classique qui dépend de variables climatiques.

En revanche, ce n’est pas le cas du second risque, qui est plus complexe à cerner et nécessite davantage de recherche de la part des régulateurs, des académiques et des acteurs concernés (pouvoirs publics, secteur privé).

  • Le risque de transition se définit comme l’ensemble des sous-risques liés à l’adaptation des économies vers une trajectoire bas-carbone. Il regroupe donc toutes les conséquences économiques à long terme relatives à l’instauration de nouvelles règles environnementales pour mettre en place un modèle économique bas-carbone. Cela inclut notamment la question de la valeur future des actifs des secteurs appelés à décroître (actifs échoués) et symétriquement celles des secteurs de la transition (actifs verts). Dès lors, les projections financières sont difficiles à réaliser et dépendent d’hypothèses et de variables particulièrement incertaines et éloignées.

Les problématiques spécifiques au risque de transition

Suivant la définition du risque de transition, dont la complexité principale réside dans des incertitudes de long terme, l’établissement de projections financières ne peut pas s’effectuer avec les modèles traditionnels utilisés en finance, comme la Value-at-Risk (VaR). De fait, les nombreuses variables et hypothèses sont majoritairement inconnues, car elles dépendent de problématiques non résolues.

Comment prévoir un prix du carbone dans 10, 20 ou 30 ans ? Les nouveaux investissements dans le pétrole et le gaz seront-ils des actifs échoués dans 15 ans, alors que leur durée de vie est largement supérieure ? Quelles seront les futures normes pour les industries polluantes ? Quid des évolutions technologiques prometteuses ? Si ces interrogations ne sont pas exhaustives, elles contiennent des incertitudes majeures rendant les exercices financiers prospectifs très difficiles à réaliser.

Les superviseurs se penchent de plus en plus sur le risque de transition

Malgré les problématiques mentionnées précédemment, plusieurs superviseurs au niveau européen, mais aussi en France - en particulier la Banque centrale européenne (BCE), l’Autorité bancaire européenne ou encore l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et la Banque de France - se sont emparés de la question des risques climatiques dont celui de transition. Ainsi, ces dernières années, plusieurs exercices prudentiels ont été effectués comme des stress tests climatiques, notamment par la BCE et la Banque de France. Ceux-ci se sont basés notamment sur les différents scénarios de transition élaborés par le NGFS (Network for Greening de Financial System), qui est un réseau regroupant des banques centrales et des superviseurs pour le verdissement du système financier.

Cependant, si ces travaux ont le mérite d’exister et d’impulser une dynamique primordiale pour comprendre et évaluer les risques climatiques, ils ont également des limites. Premièrement, les scénarios établis par le NGFS - qui servent de références dans la communauté académique et le secteur financier – n’ont pas suffisamment de variantes. Deuxièmement, dans les exercices prudentiels (stress tests) des régulateurs, le secteur financier est un module externe sans interdépendance avec les autres secteurs, ce qui conduit à ne pas prendre en compte les éventuels effets retours du secteur financier, par exemple un rationnement des crédits ou plus généralement un moins bon fonctionnement de l’intermédiation financière. Troisièmement, le risque de transition doit être modélisé à tous les secteurs et les actifs, car ils seront tous concernés par ce risque. Or, pour l’heure, seul ceux des énergies fossiles ont fait l’objet d’études et d’analyses spécifiques.

La recherche académique doit se poursuivre

Outre les régulateurs, la recherche académique tente de contribuer également à combler les lacunes liées à la modélisation du risque de transition, qui est très complexe pour les raisons évoquées au préalable. La principale question de recherche étudiée est la suivante : des incertitudes dans la transition bas-carbone (sur la rapidité de transition, les secteurs concernés etc …) peut-elle créer une crise financière ? Sur ces points, les recherches académiques se poursuivent pour affiner les recommandations et les différentes projections. Entre temps, plusieurs de mes articles de recherche ont déjà été publiés ou présentés comme Decarbonisation and financial instability in a stock-flow consistent model et Transition risks, asset stranding and financial instability. Dans ses deux articles, et plus globalement dans mes travaux de recherche, je m’intéresse aux risques financiers, en général comme les actifs échoués, les risques de marché et de liquidité ou encore l’instabilité financière.

Des questions de recherche encore à creuser par la communauté académique

En dépit de la recherche existante sur le risque climatique de transition, de nombreuses questions restent en suspens et sont particulièrement difficiles à résoudre. Dans une revue de la littérature existante sur le risque climatique et son impact sur la stabilité financière, j’ai identifié plusieurs avancées, mais aussi des écueils persistants.

Parmi les percées scientifiques, il est parfaitement consensuel que les conséquences de l’inaction climatique sur la stabilité financière seront probablement plus élevées que celle de l’action climatique. Néanmoins, il est clair que la transition vers une économie bas-carbone impliquera des transformations profondes des systèmes énergétiques et économiques, qui pourrait entraîner des conséquences néfastes sur la stabilité financière. La littérature sur le risque de transition financière a ainsi montré que la conjonction de la politique climatique, des changements technologiques et des modes de consommation peuvent se propager aux marchés financiers. Dans les cas extrêmes, par exemple des prix du carbone soudainement très élevés, un développement disruptif des technologies ou l’absence de stratégie de transition chez certains agents, d’après Mark Carney, dans son célèbre discours sur la tragédie des horizons de 2015, lorsqu’il était gouverneur de la Banque d’Angleterre, une transition désordonnée peut même aboutir à des implications systémiques en provoquant un moment « Minsky ». Celui-ci est un phénomène durant lequel les investisseurs sont contraints de vendre leurs actifs précipitamment pour obtenir des liquidités, ce qui déclencherait une spirale baissière sur les prix et un assèchement de la liquidité. Certes, cette littérature est très importante et doit se poursuivre, mais, pour l’heure, elle reste insuffisante pour mieux anticiper une question aussi complexe que le risque de transition climatique.

Du côté des limites dans la littérature académique, j’ai constaté une multitude de méthodes et approches développées, qui rendent difficiles la comparaison des résultats, l’établissement d’une synthèse des résultats ou encore l’identification des incertitudes subsistantes. Par ailleurs, les travaux de recherche récents se basent sur un nombre de scénarios restreints, en particulier à long terme, qui mériteraient d’être élargis. D’autres limites ont été également observées comme l’absence d’interactions entre le système financier et l’économie réelle bas-carbone dans les modélisations sur une longue période. Ici, une question à résoudre concerne la modélisation des bilans dynamiques des banques et leurs interactions entre elles, qui pourraient engendrer de l’instabilité financière.

Enfin, sans rentrer dans des détails exhaustifs, d’autres champs des changements climatiques - et pas uniquement le réchauffement climatique - doivent être étudiés et inclus dans la transition bas-carbone comme la perte de biodiversité, la pollution ambiante, la déforestation, la baisse de la ressource en eau ou encore l’acidification des océans. En clair, il y a plus que jamais besoin d’accentuer la recherche sur le risque de transition pour le cerner davantage.

 

 

La Caisse des Dépôts, à travers l'Institut pour la recherche, a noué un partenariat avec l'Institut Louis Bachelier, portant sur les enjeux prospectifs de la finance, notamment les enjeux liés au financement de la TE et à la finance durable.