Nous traversons actuellement une crise énergétique majeure, conséquence de la guerre en Ukraine et de la baisse de nos capacités de production domestique d’électricité. Elle entraine une forte inflation des prix à la consommation, et pourrait engendrer dès cet hiver des coupures de gaz et d’électricité. Pour éviter ce scénario, des efforts de sobriété seront nécessaires. A plus long terme, la sobriété sera un atout dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Risque de coupures, de pénurie, envolée des prix : plus personne n’ignore l’ampleur de la crise énergétique en cours. Longtemps assimilée, à tort, à la décroissance, la sobriété sera nécessaire pour faire face au choc qui se profile. L’urgence de la situation appelle à la mobilisation de tous, particuliers, entreprises et pouvoirs publics. Personne ne doit avoir le sentiment d’être seul à porter l’effort. Pour cela, il faut mettre en œuvre une politique de sobriété juste, efficace et proportionnée. Comment ?

Rationnement, efficacité et sobriété

Trois leviers peuvent être actionnés pour réduire notre consommation d’énergie : le rationnement, l’efficacité et la sobriété. Le premier est l’instrument de dernier recours : il sanctionnerait un cuisant échec de notre politique énergétique. Tout doit être fait pour l’éviter. L’efficacité consiste, pour sa part, dans l’amélioration des performances techniques de nos équipements sans dégrader les services rendus ni modifier les usages. Les marges de manœuvre sont conséquentes dans ce domaine et passent généralement par la mise en place de normes réglementaires couplées à des systèmes d’aide (MaprimeRenov, bonus-malus automobile …). Toutefois les gains d’efficacité ne peuvent être vertueux qu’à condition de maîtriser suffisamment les usages pour empêcher les effets rebond (faire en sorte, par exemple, que l’augmentation du poids des véhicules n’annule pas les gains liés à l’amélioration des performances énergétiques des moteurs). Autrement dit, le progrès technique ne suffira pas : pour produire la plénitude de ses effets, l’efficacité énergétique doit s’accompagner d’un effort de… sobriété.

Celle-ci implique des changements d’usage, de comportement, d’organisation de nos espaces de vie ou des pratiques de consommation qui engendrent une baisse des besoins. A l’échelle individuelle, elle peut se traduire par des écogestes de la vie quotidienne. Souvent jugées négligeables, ces actions individuelles peuvent avoir des effets sensibles sur la consommation globale si elles se généralisent, l’effet cumulé de millions de micro-décisions pouvant être considérable.

La sobriété peut également se déployer à l’échelle des modes d’organisation de notre société. Selon que nous autorisions ou non les terrasses chauffées en extérieur, que nous développions ou non des infrastructures pour les mobilités douces et collectives, ou que nous facilitions ou non le télétravail, nos usages et les consommations énergétiques qui en résultent seront radicalement différents.

Commencer par appliquer les lois existantes

De nombreuses mesures de sobriété énergétique sont d’ores et déjà inscrites dans la loi mais ne sont pas respectées faute de contrôles ou de volonté suffisante. Les terrasses chauffées en extérieur sont ainsi interdites depuis le 31 mars 2022 par la loi « Climat et résilience », mais cette interdiction n’a donné lieu à aucune verbalisation à ce jour. De même concernant les normes de chauffage ou de climatisation des bâtiments figurant dans le code de l’énergie et qui seront longtemps restées théoriques. S’il s’avère complexe d’appliquer ces normes dans l’habitat privé, l’Etat et les collectivités locales doivent en revanche les observer dans leurs propres bâtiments. Il sera ensuite nécessaire d’étendre cette exigence aux bureaux et aux espaces commerciaux.

La même question se pose en matière d’éclairage des enseignes commerciales. Depuis 2018, la loi prévoit que les enseignes commerciales soient éteintes à partir d’une heure du matin. Il pourrait être opportun d’étendre cet horaire à 1h après la fermeture de l’enseigne et de l’appliquer également dans les gares et les aéroports ainsi qu’aux écrans publicitaires. Mais d’ores et déjà mettre en application cette disposition serait une belle avancée.

Enfin, d’autres mesures en vigueur gagneraient à être généralisées. En 2012, les pouvoirs publics avaient fixé un objectif aux hypermarchés : équiper au moins 75% de leurs réfrigérateurs de portes afin de favoriser l’efficacité énergétique. Cette convention s’est avérée extrêmement efficace. Pourquoi ne pas viser désormais les 100%.

Exemplarité et lutte contre les consommations superflues

Pour des raisons d’exemplarité comme de pédagogie, la question des consommations superflues d’énergie doit être traitée. Si elles ne représentent parfois par elles-mêmes qu’une part limitée de la demande d’énergie, les préserver découragerait tout un chacun de participer à l’effort collectif. Ainsi, l’éclairage public des monuments pourrait être éteint lors des jours de tension ainsi que les écrans publicitaires. Un volet ciblant la consommation des infrastructures événementielles et en particulier l’éclairage, pourrait également être intégré dans la charte « 15 engagements éco-responsables » des organisateurs d'événements sportifs, pour embarquer les secteurs du sport et de la culture, grands vecteurs de liens sociaux et de normes collectives.

Encourager les écogestes et les incitations à la sobriété

Le « bouclier tarifaire » devient de moins en moins soutenable pour les finances publiques. De plus, en annihilant le signal prix, il freine l’incitation des particuliers et des professionnels aux économies d’énergie et aux investissements d’efficacité. Comment réintroduire un signal prix efficace sans pour autant faire exploser la précarité énergétique ?

Une première évidence est qu’il faut pouvoir sécuriser un socle minimal de consommation d’énergie correspondant aux besoins essentiels. Terra Nova a ainsi proposé une « tarification duale » de l’énergie avec un quantum de premiers kWh à prix administré pour tous, pour sécuriser des usages essentiels. Toutefois, ce mécanisme est imparfait, tant la situation peut varier d’un ménage à l’autre (selon la situation géographique, le nombre d’occupants, le mode de chauffage, l’isolation du logement). Alors que des mesures redistributives seront particulièrement indispensables à mesure que le bouclier tarifaire s’éteindra, une autre solution serait de renforcer le chèque énergie, de modifier sa base d’éligibilité et de le rendre convertible en numéraire pour assurer sa pleine utilisation par les ayants droit.

Lors des chocs pétroliers passés, de nouveaux tarifs avaient vu le jour chez EDF, avec des prix différenciés par heure mais aussi des tarifs à « pointe mobile », comme le tarif EJP ou le tarif TEMPO, basés sur des jours de tension déclarés la veille, où les prix sont plus élevés. Ces tarifs, en extinction, représentaient un grand gisement de flexibilité pour le réseau électrique. Ils permettaient aux consommateurs d’adapter leurs comportements, d’être vigilants les « jours de pointe » et de décaler dans le temps certains usages. A mesure que le bouclier tarifaire s’estompera, ces tarifs redeviendront économiquement justifiés, les écarts de prix entre les pics et les creux de consommation étant majeurs sur les marchés de gros. Ils gagneraient donc à être remis en avant, que ce soit via les tarifs réglementés d’EDF ou par une généralisation à l’ensemble des fournisseurs qui pourraient ainsi les proposer en s’appuyant sur le compteur Linky. Le chèque énergie pourrait d’ailleurs être abondé pour tous les ménages souscrivant à ce type de tarif, leur permettant ainsi de réaliser des économies en déplaçant leurs usages à des périodes où les tarifs sont avantageux et de payer leurs factures avec un chèque énergie abondé au titre des services rendus au réseau.

Ensuite, pour réduire au minimum les risques de délestages tournants, le dispositif Ecowatt mis en place par le transporteur d’électricité RTE gagnerait à être généralisé. Simple et lisible, particuliers et professionnels peuvent s’y inscrire pour recevoir des alertes en cas de risque d’approvisionnement. Les bulletins météos pourraient intégrer pour cela une « météo de l’énergie », celle-ci étant fortement dépendante des températures, pour sensibiliser aux risques d’approvisionnement électrique.

Pour terminer, un plan collectif de sobriété ne pourrait prendre tout son sens qu’en incluant des mesures sur le pétrole, qui reste encore la première énergie consommée en France. Nous proposons pour cela d’essayer de supprimer un maximum de trajets domicile-travail en mobilité thermique en favorisant le télétravail et en renforçant les mesures évitant les trajets domicile-travail à la pause méridienne (espace cuisine sur le lieu de travail, renforcement des tickets restaurants…).

Cette crise énergétique peut être le déclencheur d’un réveil généralisé : au-delà même des urgences présentes, la lutte contre le réchauffement climatique et la recherche de la neutralité carbone en 2050 nous imposent de ne plus considérer l’énergie comme une commodité infinie. Comment organiser notre société pour qu’elle soit cohérente avec ces objectifs de long terme ? Pour une grande partie, la réponse tiendra dans la refonte de communs. Le collectif, que ce soit dans notre urbanisme, notre mobilité ou nos modes de consommation, joue en faveur de la sobriété et contre les fossiles. Dès lors, nos efforts de sobriété collective dans les mois qui viennent pourraient être l’occasion d’une transformation plus durable de notre organisation sociale.

 

La Caisse des Dépôts soutient les travaux de Terra Nova (www.tnova.fr). Ce think tank progressiste indépendant produit et diffuse des solutions politiques innovantes en France et en Europe grâce à un réseau d’experts de haut niveau.