« Pour sauver la planète, il faut manger moins de viande », entend-on de plus en plus. Si cette affirmation est largement fondée scientifiquement, quels en sont les ressorts ? Est-ce seulement parce que les vaches éructent du méthane, à la différence des poulets, que l’on considère souvent que les premières sont plus néfastes pour l’environnement que les seconds ? Petit voyage au pays de l’azote et des protéines pour mieux comprendre les enjeux environnementaux de la consommation de produits animaux (et réhabiliter le rôle des ruminants dans un système alimentaire durable !).

Les protéines et les produits animaux dans l’alimentation humaine

Les produits animaux (lait, œuf, viande) ont la particularité d’être riches en protéines facilement assimilables par le corps humain. Or, ces protéines constituent l’un des trois macro-nutriments indispensables au bon fonctionnement du corps humain, aux côtés des lipides (les gras) et des glucides (les sucres). Elles assurent des fonctions essentielles comme par exemple, la défense des cellules contre les microbes ou le transport de l’oxygène dans le sang. En outre, les aliments d’origine animale sont également riches en de nombreux micro-nutriments indispensables (par exemple, les viandes rouges sont sources de de Fer, Zinc ou Vitamine B123). Et ils sont consommés pour des raisons très variées, qui vont bien au-delà de la question de leurs apports nutritionnels : pour des raisons culturelles, par plaisir gustatif, par facilité d’accès ou praticité de consommation, etc.

Aujourd’hui, les Français consomment en moyenne entre 90 et 100 grammes de protéines par jour, dont les 2/3 sont issus de produits animaux, contre des besoins qui se situent entre 50 et 60 grammes journaliers. Ils en consomment donc près de deux fois plus que ce dont ils ont besoin. Si cette surconsommation protéique ne présente pas, en tant que telle, de risques pour la santé humaine, elle a des conséquences environnementales importantes. Et pour comprendre pourquoi, et en quoi réduire notre consommation de produits animaux est un levier puissant de transition du système alimentaire, il faut remonter la chaîne alimentaire… et faire un détour par la chimie !

Derrière la protéine : l’azote, au cœur du système alimentaire

Pour produire des protéines animales, il faut des animaux ; et pour élever des animaux, il faut leur donner de l’énergie et… des protéines, qui sont en général d’origine végétale. Ainsi, plus on consomme de protéines animales, plus on a besoin d’élevage, et plus on a donc besoin de protéines végétales. Derrière la protéine se trouve l’azote, 7e élément du tableau périodique de Mendeleiev - dont certains se souviennent peut-être. Produire des protéines végétales suppose donc un apport important en azote sous une forme leur permettant de synthétiser celles-ci, car malheureusement, si 80% de l’air que l’on respire est constitué d’azote, il l’est sous une forme tellement stable que l’immense majorité des plantes (comme des animaux) ne peuvent l’assimiler. 

Cet azote doit donc être apporté sous une autre forme. Depuis les années 1960, c’est l’azote minéral de synthèse (autrement appelé « engrais chimique ») qui joue ce rôle central (il représente plus de 50 % des apports, le reste étant constitué des déjections animales issues de l’élevage). Cet azote minéral est fabriqué au travers d’un procédé très énergivore, en mettant sous pression l’azote atmosphérique pour le transformer en une forme assimilable : l’azote « réactif ». Mais si on apporte aujourd’hui beaucoup d’azote aux plantes pour assurer des rendements élevés, elles n’en captent qu’une fraction limitée : plus de 40 % de l’azote mobilisé pour faire pousser les cultures n’est pas capté par ces dernières. C’est autant d’azote qui s’échappe ; et si cet azote est appelé « réactif », ce n’est pas pour rien : il réagit fortement dans le milieu, avec des conséquences environnementales en cascade.

Les conséquences sur l’environnement des « fuites » d’azote

Une partie des 40% de l’azote fourni aux plantes est d’abord volatilisée dans l’atmosphère sous forme de protoxyde d’azote (N2O), un gaz à effet de serre dont le pouvoir de réchauffement est 270 fois plus puissant que le dioxyde de carbone. Une autre partie se volatilise sous forme d’ammoniac, qui est un précurseur de particules fines, à l’origine de pollutions atmosphériques néfastes pour la santé, qui se re-dépose également dans les écosystèmes terrestres et y provoque des déséquilibres. Enfin, une dernière partie est perdue dans les nappes phréatiques ou les eaux superficielles, sous forme de nitrates, qui contribuent en l’enrichissement des milieux et donc au développement incontrôlé de la végétation aquatique, et peuvent parfois rendre l’eau impropre à la consommation.

Ces pollutions environnementales sont des conséquences directes de notre trop forte consommation de protéines animales.

Pour résumer, la chaîne de causalité est la suivante :

  1. on consomme beaucoup de protéines animales,
  2. donc il faut beaucoup de protéines végétales pour nourrir les animaux,
  3. donc il faut beaucoup d’azote réactif sous forme d’engrais,
  4. donc de l’azote réactif non absorbé par les plantes est rejeté dans la nature, ce qui est à l’origine de pollutions sous diverses formes.

Dans un tel système, il n’y a plus de cycle (au sens de système fermé) de l’azote. Au contraire, il y a d’un côté, des entrées massives d’azote, sous forme d’azote minéral de synthèse, et sous forme de protéines végétales produites ailleurs dans le monde et importées pour nourrir les animaux (il s’agit le plus souvent de soja importé d’Amérique dont une partie contribue à la déforestation de l’Amazonie) ; et de l’autre, des pertes d’azote dans le milieu, dont les effets ont été décrits plus haut.

Comment concilier la consommation de protéines pour l’alimentation humaine et la préservation de l’environnement ?

La solution consiste à « boucler » le cycle de l’azote pour, tout à la fois, réduire drastiquement les fuites d’azote et leurs effets négatifs ; et réduire le besoin de faire « rentrer » de l’azote minéral, dont la production est très énergivore. Cela suppose de recycler l’azote à l’intérieur du système alimentaire, et de limiter tout apport extérieur. Un tel système repose sur une famille de plantes tout à fait spéciale, les légumineuses (de la famille botanique des « Fabacées »). Celles-ci ont la capacité de capter l’azote atmosphérique, pourtant très stable, pour le transformer en azote réactif grâce à des bactéries symbiotiques présentes dans leurs racines, les rhizobium, et ceci « gratuitement » – c’est-à-dire sans recours aux énergies fossiles. On trouve ces légumineuses soit sous forme cultivées, à destination de l’alimentation humaine (lentilles, pois chiches, soja), ou animale (soja, trèfle, luzerne, pois), soit sous forme spontanée, dans les prairies naturelles, où paissent les ruminants. Toute la question devient alors de savoir si l’on peut se reposer sur les seules légumineuses pour satisfaire les besoins en azote, et par suite en protéines, du système alimentaire.

C’est ce que l’Iddri a testé, dans le cas de l’Europe, avec le scénario TYFA. Nous y montrons que grâce aux légumineuses, l’Europe peut s’affranchir à la fois de l’azote minéral de synthèse et des importations de protéines végétales d’Amérique, tout en produisant assez de protéines pour tous les Européens à l’horizon 2050. Toutefois, cela suppose plusieurs changements importants dans l’organisation de notre système alimentaire.

  • Premièrement, de réduire de presque de moitié notre consommation de protéines animales ;
  • deuxièmement, de plus que tripler les surfaces en légumineuses (qui ne représentent aujourd’hui qu’1/29e de la surface agricole française) ;
  • et troisièmement, d’assurer un transfert d’azote depuis les prairies naturelles vers les surfaces cultivées, via le fumier des vaches qui s’y nourrissent. Ce dernier point implique, plus fondamentalement, de reconnecter l’élevage et les cultures afin d’optimiser le recyclage et le transfert d’azote par les animaux. Une telle reconnexion passera nécessairement par des recompositions territoriales, importante, dans un contexte où l’élevage est de plus en plus concentré dans certaines régions et les cultures dans d’autres.

 

Ainsi, la consommation de produits d’origine animale est emblématique de l’interconnexion entre nos choix alimentaires, les enjeux environnementaux et les dynamiques territoriales, et illustre le besoin de rechercher des réponses conjointes au triple objectif de préservation de la biodiversité, de lutte contre le changement climatique et de fourniture d’une alimentation saine. Une transition agroécologique ambitieuse telle que celle proposée dans TYFA en est un exemple.

 

Pour aller plus loin

Ecouter le podcast de l'IDDRI avec Pierre-Marie Aubert "De l’azote aux protéines : comment notre consommation de viande et produits animaux affecte l’environnement"

La Caisse des Dépôts soutient les travaux de l’Institut du développement durable et des relations internationales (www.iddri.org). Ce centre de recherche indépendant diffuse ses études pour faciliter la transition vers le développement durable. Son objectif est d’identifier les conditions et de proposer des outils pour placer le développement durable au cœur des relations internationales et des politiques publiques et privées.