L’impact du fonctionnement du système alimentaire sur le climat, la biodiversité et la santé rend nécessaire son évolution. De l’adoption de la stratégie nationale bas carbone (SNBC) à celle du Pacte Vert dite « De la fourche à la fourchette », en passant par les plans de relance européen et nationaux, les cadres politiques se mettent en place et actent la volonté de reconstruire l’économie en la transformant, pour rester dans les limites de la planète. Pour les territoires français, ces évolutions ont des effets multiples, qui vont au-delà des secteurs agricoles et agroalimentaires, puisque c’est de leur viabilité économique future dont il s’agit.

L’Iddri[1] prend, à sa façon, part aux débats et interroge dans son rapport Vers une transition juste des systèmes alimentaires - Enjeux et leviers politiques[2] pour la France les conditions d’une transition bas-carbone socio-économiquement juste, qui délivre une alimentation saine pour tous et préserve la biodiversité.

L’étude, menée en partenariat[3] sur plus de trois ans, suit la trajectoire de décarbonation de la SNBC qui prévoit une division par deux des émissions de gaz à effet de serre agricoles d’ici 2050. Sur cette base, deux scénarios contrastés de l’évolution du système alimentaire français ont été développés pour en évaluer les impacts à 2030 sur deux filières majeures : le lait et les grandes cultures (70 % de la surface agricole utile, 52 % de la production agricole en valeur et un peu plus de 40 % de la production agroalimentaire en valeur). 

Le scénario « France duale », une décarbonation sous contrainte de compétitivité prix

Dans ce schéma où les décisions sont dominées par le seul enjeu climatique, l’intensification « durable » de la production agricole est perçue comme solution principale. L’action sur la demande alimentaire est réduite à de simples mesures de sensibilisation destinées à faire évoluer les pratiques des consommateurs via des mécanismes articulés au marché. La consommation alimentaire se structure de façon inégale, entre marchés de niches vertueux, mais sélectifs, et progression de la consommation de produits ultra-transformés pour une large catégorie de la population.

Les dynamiques de concentration et de spécialisation des exploitations agricoles et des industries agroalimentaires se poursuivent, tout en intégrant les impératifs environnementaux aux stratégies de croissance. Economies d’échelle et volumes de production importants sont alors clés pour faire face à une pression compétitive accentuée par la concurrence internationale, même si des marchés de niches liés à la production biologique ou aux labels territoriaux se maintiennent.

Dans ce paysage très polarisé, on ne note pas d’amélioration substantielle de la qualité de l’alimentation ni de la biodiversité. Sur les deux filières analysées, les stratégies mises en place conduisent à une baisse importante du nombre d’emplois agroalimentaires (-12% par rapport à 2015) et à une accélération de la disparition des emplois agricoles (-9% environ par rapport aux tendances actuelles), au profit d’un développement du salariat. Elles créent aussi un aléa sur les niveaux de revenus, lié notamment aux montants d’investissements importants à mettre en œuvre pour poursuivre l’agrandissement des structures.

Le scénario des « Recompositions socio-territoriales », l’ambition d’une montée en gamme

L’approche multisectorielle développée ici reprend les dispositions des stratégies européennes « De la fourche à la fourchette » et « Biodiversité », et associe à l’enjeu climatique des préoccupations de santé-nutrition, d’emploi et de biodiversité. Cette seconde déclinaison fait le pari d’une inversion de tendances, dont on voit aujourd’hui les prémices. En premier lieu, une politique volontariste accompagne le rééquilibrage des pratiques alimentaires (moyens importants consacrés à l’information, normes nutritionnelles et sanitaires rigoureuses pour limiter la consommation de produits ultra-transformés et promouvoir la réduction de la consommation de protéines animales...). L’accompagnement des ménages les plus modestes permet un accès élargi à une alimentation saine et durable. 

Des changements structurels sont également apportés d’amont en aval de l’offre alimentaire. La diversification des cultures, reconnectées à l’élevage, est encouragée pour freiner la concentration des acteurs et varier productions et paysages. Au niveau agroalimentaire, un système « à l’italienne » se met en place, qui permet aux petites et moyennes entreprises de participer pleinement, en lien avec les territoires, à l’équilibre économique global de la filière. Soutenue par une demande de produits alimentaires de qualité, l’impact socioéconomique de ce maillage déconcentré est nettement plus favorable au maintien des emplois : on note une progression de 8% dans l’agroalimentaire et un ralentissement de la diminution des emplois agricoles (+10% par rapport aux tendances actuelles), sans perte de revenu.

En termes de biodiversité, les mesures adoptées (moindre taille des exploitations, développement de prairies par la reconnexion culture/élevage, développement homogène de l’agriculture biologique sur le territoire…) permettent une reconquête de la biodiversité.

Dans ce scénario, les voies d’action ne sont pas seulement nationales, elles associent également un volet politique important au niveau européen et international, par l’harmonisation des conditions de production entre Etats-membres européens (mise en œuvre des plans stratégiques nationaux de la PAC) et par une approche ambitieuse en matière de commerce international sur le relèvement des normes sociales, environnementales et fiscales.

 

Une nécessaire convergence des visions au niveau européen

Ces deux scénarios répondent tous deux aux exigences de décarbonation de la SNBC mais leurs effets sont très contrastés en termes d’emploi, de santé et de biodiversité. Si « Recompositions socio-territoriales » pose les bases d’une transition juste, il requiert des transformations structurelles importantes sur l’ensemble de la chaîne alimentaire qui vont au-delà du cadre national et en font un projet résolument européen où les visions des Etats-membres devront converger. 

L’étude met en exergue la place centrale des territoires sur ces questions et les résonnances multiples des transformations du système alimentaire qui s’y opèrent.

©Iddri

 

L’Iddri a choisi d’approfondir ses travaux dans une nouvelle phase de recherches étendue à trois secteurs clés de la transition (les filières viande, maraîchage et protéines alternatives) et à une mise en perspective à l’échelle européenne. La Caisse des Dépôts sera partie prenante du comité d’acteurs de ces prochains travaux.

 

[1] L’Institut du développement durable et des relations internationales (www.iddri.org) est un centre de recherche indépendant qui diffuse ses travaux pour faciliter la transition vers le développement durable. Son objectif est d’identifier les conditions et de proposer des outils pour placer le développement durable au cœur des relations internationales et des politiques publiques et privées.

[3] Les recherches, faites avec le BASIC (Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne), en partenariat avec l’ADEME, et les ministères en charge de l’agriculture et de la transition écologique, ont débuté en 2018.