cicéron
c'est poincarré
Crédit © Ralph Ouassa Kouassi
Les Halles de la Cartoucherie, Wikivillage, l’Accorderie du Pays Diois…Si ces noms n’évoquent rien pour vous, pour les résidents de ces sites, ça veut dire beaucoup. Trouver un site répondant à ses besoins immobiliers, échanger avec un interlocuteur qui soutient et accompagne les activités à impact, ou encore accéder à des espaces à loyer modéré, sont autant de réponses apportées aux enjeux des résidents par ces acteurs de l’immobilier nouvelle génération.
Dans un marché immobilier à la peine, et parmi la galaxie des outils de portage, les foncières solidaires tirent leur épingle du jeu, en proposant des modalités d’intervention innovantes et une réponse aux défis contemporains. Leur activité consiste à acquérir et réhabiliter des biens immobiliers, puis les mettre à disposition d’opérateurs à impact ou s’inscrivant dans les principes de l’Economie Sociale et Solidaire (ESS). Les actifs proposés peuvent être selon les cas des locaux d’activité, des tiers-lieux, des commerces et des logements, au sein du même site. Ils attirent ainsi des publics variés, entrepreneurs, associatifs, artisans, habitants, retraités…dans des lieux de vie mêlant culture, économie et convivialité, et basés sur la coopération et la (re)création du lien social.
L’objectif recherché est de redéfinir durablement la destination des biens réhabilités, vers des usages plus durables et plus inclusifs. Car l’accès au foncier reste bien souvent le nerf de la guerre pour le développement de projets à impact social et territorial.
Ces modèles hybrides demandent une offre adaptée et patiente, avec laquelle les approches standards sont en général peu compatibles :
La plupart des foncières solidaires ont émergées récemment durant les années 2010, mais elles ont pu s’inspirer de leurs illustres ainés d’Habitat & Humanisme et Solidarités Nouvelles Logement (SNL), œuvrant sur le logement inclusif, et Terre de Liens, dédiée au foncier agricole. On retrouve ainsi logiquement certaines caractéristiques structurantes, au premier rang desquelles le maintien de la destination des biens dans le temps. Celle-ci se concrétise lors d’un changement de propriété, via l’acquisition du bien par le locataire à prix décoté, ou – cas le plus répandu – en conservant l’actif sur un temps long. Cette spécificité explique que ces structures lancent régulièrement des levées de fonds pour soutenir leur développement, auprès des institutionnels et des citoyens. Pas étonnant non plus que l’on retrouve des modèles juridiques originaux, à l’instar des montages en société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) ou du recours à la Société en Commandite par Action.
Etic, Bellevilles, Base Commune ou Villages Vivants, font partie de ces acteurs qui réinventent l’immobilier. Au-delà des dénominateurs communs déjà cités, chacune met en œuvre une stratégie de développement cohérente avec son projet. Etic, pionnière en la matière, porte essentiellement des tiers-lieux dans les grandes aires urbaines ; Bellevilles intervient en territoires prioritaires et en zones tendues, en spécialiste de la mixité d’usages ; Villages Vivants réhabilite des locaux d’activité dans les zones rurales ; Base Commune réactive les pieds d’immeubles en locaux d’activité, dans les zones denses et en quartier politique de la ville.
Certaines se développent via des groupements pilotés par des promoteurs en réponse à des Appels à Projets, réservant une partie de la programmation à des activités « utiles », quand d’autres sourcent directement des projets potentiels. Toutes innovent en cherchant, projet par projet, l’équilibre nécessaire entre impératif financier, de durabilité et de cohésion sociale. Il s’atteint par une approche pragmatique et lucide, incluant une programmation pertinente avec les besoins locaux, une frugalité des travaux à réaliser, et une acquisition au juste prix. Contrairement à ce que l’on serait en droit d’imaginer, les aides ne sont pas systématiques et ne représentent en moyenne qu’une partie limitée des financements.
Ce modèle de la foncière solidaire affiche ainsi généreusement ses plus-values d’usage sur « l’immobilier traditionnel ». Il permet la réhabilitation des patrimoines, en intervenant sur des bâtis récents comme sur des friches, en pilotant l’ensemble de la chaine de valeur, des études préalables à l’exploitation, dans une optique de rationalisation des usages et de performance environnementale. Cette dernière passe par des actions sur la gestion des eaux et le recours à l’économie circulaire, comme par exemple le réemploi des matériaux de construction. Ce modèle participe aussi au développement d’activités de cohésion, vertueuses et à forts impacts extra-financiers, en direct en ayant par exemple recours à des chantiers d’insertion pour la réalisation des travaux, et indirectement, en rendant l’immobilier accessible aux acteurs dont l’action génère ces impacts. Les foncières interviennent enfin des territoires prioritaires, action cœur de ville, petites villes de demain, quartiers politiques de la ville, ou en zone rurale.
Malgré un développement rapide, ces acteurs vont faire face à trois défis dans les années à venir. Le premier est de réussir sur le long terme à attirer des volumes de financements suffisants à des conditions compatibles avec leur modèle économique. Le deuxième défi réside dans l’équilibre à maintenir entre pérennité économique et impacts extra-financiers, au sein du portefeuille et opération par opération ; cela passera très certainement par des mutualisations à inventer sur des fonctions transversales opérationnelles, de financement, communication, etc…et ce d’autant que fleurissent de nombreuses initiatives de foncières locales. Le dernier défi est celui de la valorisation de l’impact bâtimentaire, car s’agissant de la matière immobilière, on ne saurait accepter que la performance environnementale des projets soit reléguée au second plan.
Les foncières solidaires apportent des réponses innovantes et concrètes aux défis contemporains, en alliant accessibilité, durabilité et solidarité. Leur montée en puissance est un signe encourageant d’une prise de conscience collective des enjeux environnementaux et sociétaux. Elles semblent essentielles pour déployer systématiquement des modèles soutenables sur l’ensemble de nos territoires.