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article CD'solutions 09 nov. 2023

Évaluer les innovations d’adaptation au changement climatique : une boussole pour se repérer

Afin d’adapter les villes au changement climatique, de nombreux acteurs proposent des solutions d’aménagement. Cette profusion de solutions sur le marché de l'innovation soulève des questionnements. Comment se repérer parmi toutes les possibilités d’action ? Comment identifier et appréhender leurs externalités, positives comme négatives, pour assurer un impact aussi vertueux que possible ?

 Outil d’évaluation généraliste et d’aide à la décision élaboré par quatre étudiants du master Stratégies Territoriales et Urbaines de Sciences Po Paris, la boussole des 5 sens entend guider les choix d’innovations, éviter que ceux-ci ne prennent le cap de la mal-adaptation. La boussole permet de questionner la pertinence d’une solution d’adaptation au changement climatique en milieu urbain. Les questions qu'elle pose ont été enrichies par une revue de littérature, une série d'entretiens avec des experts de l'évaluation et de l'adaptation au changement climatique ainsi que par les échanges avec l’Institut pour la Recherche de la Caisse des Dépôts.

Présentation synthétique de la Boussole des 5 sens


Pour avoir bon goût : questionner la pertinence des choix d'innovation

Évaluer la pertinence d’une innovation signifie interroger la pertinence de la mise en place de l'innovation par rapport aux risques climatiques identifiés sur le territoire. La solution d’adaptation est ainsi questionnée à la lumière du risque et de sa probabilité, des autres options d’adaptation envisagées ainsi que par rapport aux ressources économiques des villes étudiées. Les Solutions d’Adaptation Fondées sur la Nature, qui ont particulièrement retenu notre attention, bénéficient de plusieurs opportunités de financement publics et sont des dispositifs aisément réversibles, réplicables et ajustables, aussi bien du point de vue technique qu'économique. Ces solutions contribuent finalement à soutenir la biodiversité des écosystèmes et participent à un embellissement et à une harmonisation du paysage. Néanmoins, elles peuvent, comme toute innovation, présenter des risques de maladaptation et doivent faire l'objet d'une évaluation approfondie.

Élargir son champ de vision : penser l'environnement et l'adaptation au changement climatique à travers des politiques intégrées

Des injonctions contradictoires – soutenir une économie attractive et compétitive, rechercher la sobriété, garantir l’accessibilité de tous aux espaces publics, renaturaliser et adapter la ville au changement climatique – marquent les politiques publiques. Il demeure, dans ces conditions, particulièrement compliqué d’engager le changement. L’action des collectivités locales, souvent à travers des politiques sectorielles, peine à modifier en profondeur les comportements des acteurs de la vie locale (habitants, usagers, organisations, etc.) en inadéquation avec les enjeux climatiques. La défense des modes de vie actuels entrave le volontarisme en matière d’adaptation au changement climatique qui anime pourtant de nombreux responsables politiques locaux. Une clarification de la réglementation en vigueur, ainsi qu’un effort pour concilier les politiques sociales et climatiques, s’imposent. Par ailleurs, les projets non accompagnés par des expertises scientifiques manquent de légitimité auprès du public, qui ne peut ni mesurer la nécessité de les réaliser ni les bénéfices retirés. Sans étude suffisamment étayée en amont du projet, les responsables se hasardent à mener des opérations possiblement maladaptées au changement climatique.

Être à l'écoute : communication, co-construction, négociation... quelle stratégie d'association des usagers ?

Déterminante dans le succès ou l'insuccès du projet, la participation citoyenne présente divers degrés plus ou moins avancés. Entre apathie, acceptation voire appropriation de l'innovation, le citoyen suit, coconstruit ou négocie l'insertion de l'innovation au terrain.

Objet non consensuel, l'innovation est d'abord pensée par une minorité (services municipaux, experts, personnalités charismatiques, chercheurs) pour une majorité (riverains, habitants voire usagers). Par conséquent, si l'objectif de faire naître une culture du risque sur des territoires soumis au risque climatique est largement partagé, l'association des publics au projet fluctue considérablement dans la pratique. Bien souvent, la sensibilisation et l'information prennent le pas sur le débat démocratique.

Plus largement, cette dissonance entre le discours de l’aller vers et la réalité du faire pour se traduit dans les outils mobilisés pour faire participer le public. Les enquêtes publiques, les réunions, les débats peinent à mobiliser les populations. D’où la nécessité de penser et d'investir dans des outils innovants de participation, de négociation ou encore de co-construction des projets d'adaptation au changement climatique avec la population locale.

Sentir l'avenir : allier court et long terme

Constamment refaçonné en fonction des nouvelles attentes des acteurs et des dynamiques collectives, le projet est pensé et repensé pour répondre à l’urgence de l’adaptation des villes au changement climatique. Cette obligation à agir à court terme peut se faire au détriment d’une vision de long terme qui pérenniserait l’innovation. La cohérence entre court et long terme ne devrait pas seulement être envisagée, mais pensée dès le début du projet, sans qu’elle ne soit figée ad vitam aeternam. Selon la gravité des effets du changement climatique dans les décennies à venir, une innovation pourrait présenter des maladaptations à plus ou moins long terme.

Toucher du bois : questionner et multiplier les cadres d'évaluation

L'incertitude des modèles climatiques qui fondent en partie l'intervention des collectivités dans les politiques d'adaptation doit être prise en compte. Il convient ainsi de garder un regard critique sur l'appréciation de toute innovation et de ne pas l'enfermer dans les cadres d'évaluation de la boussole. Dans un contexte d'accumulation croissante de connaissances sur le changement climatique et de remise en cause du modèle socio-économique, l'évaluation des solutions d'adaptation à travers différents cadres d’évaluation permet une appréciation plus complète des conséquences à court, moyen et long terme des innovations d'adaptation au changement climatique et minimise le risque de maladaptation.

De cette façon, la recherche de la solution “idéale” n’a plus lieu d’être. La solution d’adaptation est examinée avec attention, soin et patience au regard du contexte dans lequel elle s’inscrit. La compréhension de l’environnement social, physique et organisationnel de la solution s’avère en effet décisive dans la réussite du projet tout comme l’association de l’ensemble des acteurs notamment citoyens qui n’est plus à considérer comme une option mais comme un préalable à tout projet d’innovation. Enfin, et malgré l’urgence climatique, charge au décideur de réunir court, moyen et long terme pour penser des projets de territoire plutôt que des projets répondant à des cadres d’évaluation ou à une seule et unique boussole d’évaluation des innovations d’adaptation au changement climatique.