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Crédit ©SCET
Après des décennies de relative stabilité, les résiliations unilatérales de contrats d’assurance des collectivités locales, la hausse vertigineuse des primes ((multipliées par 2 à 4 selon les communes) et la difficulté croissante à trouver un assureur marquent la fin d’un « âge d’or ». Selon l’Association des maires de France (AMF) environ 1 500 collectivités seraient aujourd’hui concernées. Le phénomène, d’abord perçu comme conjoncturel, traduit une crise structurelle d’assurabilité qui menace la soutenabilité des territoires eux-mêmes. 
Des territoires risquent de devenir inassurables, et les entreprises et particuliers présents sur ces territoires en ressentiront les effets au même titre que les collectivités.
Publié en octobre 2025 par Bureau T, l’unité stratégie et prospective du groupe SCET, le livre blanc intitulé « L’assurabilité des territoires, une affaire d’État ? » analyse un marché de l’assurance des collectivités locales en crise profonde.
Les causes sont multiples. D’un côté, la sinistralité liée aux risques naturels explose : sécheresses, inondations, submersions marines, tempêtes ou retrait-gonflement des argiles. D’ici 2050, le coût moyen annuel des catastrophes naturelles pourrait doubler, générant entre 50 et 70 millions d’euros de charges supplémentaires par an pour les collectivités. La fréquence et l’intensité des événements se cumulent désormais sur des zones restreintes, fragilisant le modèle économique de l’assurance.
De l’autre côté, les risques sociaux, tels que les violences urbaines (800 millions d’euros de dégâts lors des émeutes de 2023, trois fois plus de communes touchées qu’en 2005), aggravent la situation. Ces phénomènes s’étendent à des territoires jusque-là préservés, y compris ruraux, accentuant la volatilité du risque pour les assureurs.
Sur les 12 900 communes exposées, dans les 37 départements les plus vulnérables au changement climatique, 5 100 cumulent en plus un contexte budgétaire tendu : faible épargne, fort endettement, capacité d’autofinancement négative. Ces collectivités risquent de devenir inassurables, faute de moyens pour se prémunir ou réparer.
La fracture territoriale s’accentue : les communes dotées d’une ingénierie et de marges de manœuvre financières peuvent négocier, s’assurer, prévenir, s’adapter. A terme, c’est l’attractivité territoriale dans sa globalité (auprès des entreprises, des particuliers) qui se trouve compromise.
Le marché des assurances des collectivités s’est fragilisé à force de concurrence tarifaire. Entre 2017 et 2022, les primes ont chuté de 18% alors que la sinistralité augmentait de 23%. La rentabilité s’est effondrée, le ratio sinistres/primes atteint 75%, contre 64% pour les entreprises. Seuls deux acteurs dominent aujourd’hui (SMACL et Groupama) dans un marché devenu étroit et risqué.
Ce déséquilibre a entraîné un brutal rattrapage tarifaire : certaines communes ont vu leurs primes multipliées par deux à quatre, indépendamment de leur sinistralité réelle. Parallèlement, la méconnaissance du patrimoine assurable, le manque de culture du risque et les lourdeurs de la commande publique aggravent les difficultés : appels d’offres inadaptés, absence de dialogue, surdéclaration de sinistres mineurs.
Les initiatives récentes – plan pour l’attractivité, cellule CollectivAssur, médiateur de l’assurance – offrent des solutions ponctuelles mais restent limitées en moyens et en portées. Elles ne s’attaquent ni aux causes structurelles ni à la question des territoires véritablement inassurables.
Dans ce contexte, le livre blanc propose une stratégie articulée autour de deux axes : anticiper les risques majeurs et assainir le marché de l’assurance des collectivités.
Tout d’abord, la gestion du risque doit être intégrée dans la planification territoriale : plans locaux d’urbanisme, PPRN, plans communaux de sauvegarde. Une « OAP vulnérabilité » pourrait systématiser les actions de prévention à l’échelle locale. Les franchises pourraient être modulées selon les rapports de prévention réalisés.
Ensuite, dans les zones où la renaturation ou le recul du trait de côté s’imposent, l’intervention publique doit être directe. L’Etat pourrait aussi encadrer la prévention via un référentiel national harmonisé, élaboré avec la CCR et les assureurs. 
En outre, le régime CatNat doit être renforcé (extension, modulation, revalorisation automatique des surprimes) et élargi à de nouveaux risques comme les émeutes. L’Etat étudie la création d’un fonds de réassurance public. 
De plus, des « captives d’assurance territoriales » pourraient mutualiser les risques à l’échelle régionale. Pour les cas extrêmes, une couverture publique résiduelle, conditionnée à la prévention, garantirait un filet de sécurité aux communes les plus exposées (700 identifiées).
L’étude de Bureau T plaide pour un encadrement plus fort du marché : supervision par l’APCR, préavis de réalisation minimum, plafonnement des franchises et accompagnement renforcé par le médiateur ou le Bureau central de tarification.
Pour aller plus loin :
Téléchargez le Livre Blanc : L’assurabilité des territoires, une affaire d’État ?