Quand sort-on de la vie politique et qui sont les sortants ? L’objectif de l’étude est d’apporter des explications à la sortie des élus locaux. Son apport majeur est de proposer une typologie des sorties de mandat pour l’ensemble des élus municipaux indemnisés au cours ou à l’issue du mandat 2008-2014, en tenant compte du passé de chaque élu local en tant qu’élu indemnisé.

Le sujet de la sortie de la vie politique a connu une forte actualité lors des dernières élections municipales de 2020. Plusieurs enquêtes menées auprès des maires ont en effet pointé la forte proportion d’élus indiquant ne pas vouloir se représenter, en en faisant un indicateur de la crise de la vie politique municipale en particulier, et de la démocratie locale en général. En cause : les pressions accrues exercées par l’État, l’intercommunalité et les citoyens qui auraient considérablement durci les conditions concrètes de l’exercice du mandat.

 

Une ampleur du mouvement à nuancer

Tout d’abord, les données produites par les services du ministère de l’Intérieur ont relativisé l’importance des démissions durant la mandature. Ce sont ensuite d’autres enquêtes qui, à l’approche des élections, ont révisé à la baisse l’évaluation du phénomène : ainsi une enquête de l’Association des petites villes de France évalue à trois quarts la proportion des maires prêts à se représenter, en dépit des difficultés auxquelles ils sont confrontés. Enfin, nombre de démissions sont en réalité des départs qui font suite à des transformations plus générales (fusions de communes, règles de non-cumul…).

Notons d'abord que le sujet est mis en avant par les maires eux-mêmes, ou par certaines instances qui les représentent et défendent leurs intérêts. Tant et si bien qu’il occulte les départs plus nombreux encore des autres élus municipaux, adjoints et conseillers. Notons ensuite que, en pleine période électorale, ce débat recouvre une multitude d’enjeux politiques, qu’on pense aux négociations entre associations d’élus et Gouvernement ou à l’usage que les sortants peuvent en faire dans la compétition politique locale. Notons enfin qu’en déplorant la propension des maires à ne pas souhaiter se représenter, le débat amalgame crise des sortants et crise des vocations et tend à faire de la réélection une règle implicite.

 

Quelles raisons poussent les élus vers la sortie ?

S’interroger sur les raisons qui peuvent pousser des élus – ici des élus locaux – vers la sortie est une question importante, ne serait-ce qu’au regard de ses enjeux démocratiques. Pourtant, peu d’études existent sur ce sujet. Les travaux disponibles documentent plutôt la tendance à la professionnalisation politique et considèrent que le réengagement est la règle, animé par la vocation des détenteurs de « petits » mandats locaux, motivé par l’attachement aux rétributions généreuses pour les mandats plus importants et plus convoités. Le vieillissement, la dégradation de la santé et le décès seraient ainsi les principales causes d’interruption de l’activité politique. Les rares travaux sur la sortie de la vie politique, en la considérant comme une défaite, confortent cette idée que l’élu cherche à se faire réélire. Par vocation ou par intérêt, ou pour éviter la défaite, la réélection apparaît donc naturelle et la sortie de la vie politique impertinente.

Cette étude apporte quelques éléments de compréhension de ce phénomène peu connu, en partant de deux questions simples : quand sort-on de la vie politique municipale et qui sont les sortants ? Pour y répondre, nous avons mobilisé les données de cotisation retraites au régime complémentaire Ircantec (Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’Etat et des collectivités publiques) des élus municipaux indemnisés durant la mandature 2008-2014 en distinguant, au sein de ce groupe, ceux qui ne siègent plus après 2014. Rappelons que les maires, les adjoints aux maires, les conseillers municipaux des villes de plus de 100 000 habitants ainsi que ceux disposant d’une délégation bénéficient d’indemnités, plafonnées en fonction du type de mandat et de la taille de la commune. Notre échantillon comporte ainsi 185 000 élus municipaux indemnisés (nous avons dû exclure de notre échantillon les élus des villes de Paris, Lyon et Marseille qui disposent de prérogatives particulières). Les trois quarts siègent dans une petite ou très petite commune (moins de 3 500 habitants), tandis que les élus des moyennes et grandes communes (plus de 3 500 habitants) sont minoritaires, du fait de la démographie des communes françaises. En outre, 60 % d’entre eux perçoivent une indemnité annuelle inférieure à la moitié du SMIC net (soit environ 5 300 € annuel en 2008).

Les données de l’Ircantec utilisées fournissent différentes informations sur ces élus (âge, genre, durée et montant de la cotisation, taille de la commune) mais elles ne permettent pas d’identifier le mandat de l’élu. Pour ce faire, nous avons dû l’inférer des données disponibles, en postulant que les indemnités les plus élevées sont celles du maire, puis des adjoints, puis (en cas de dépassement du nombre d’adjoints) de conseillers délégués. Les différentes analyses statistiques (analyse en composante multiple, régressions logistiques) menées grâce à ces variables nous permettent de pointer l’importance structurante de l’ancienneté comme facteur explicatif de la sortie de la vie politique : entre deux maires d’une commune de même taille, l’un fraîchement élu et l’autre ancien conseiller et ancien adjoint, les probabilités de sortie sont très différentes (graphique 1). Plus précisément, nous avons dégagé une typologie articulant trois moments de sortie et trois profils de sortants (cf. tableau 1).

 

Graphique 1. Taux de réélection en 2014 en fonction de la longévité politique en 2008

 

Les profils de sortie de mandat

  • La première catégorie de sortants regroupe très majoritairement des élus avec une faible ancienneté, percevant une indemnité faible, avec peu de points acquis. Nombreux sont les élus de cette catégorie qui sortent en cours de mandat. Ces élus sont peu engagés dans l’institution, leur niveau de responsabilité est peu élevé, tout comme celui de leurs rétributions. Les conséquences de leur départ pour la collectivité comme pour eux-mêmes sont donc vraisemblablement plus faibles. Les plus jeunes d’entre eux, par leur âge et par leur ancienneté (indemnisée) dans la vie municipale, ont une propension à sortir plus forte, que vient tempérer éventuellement une indemnité plus élevée.
  • La deuxième catégorie est essentiellement composée d’élus disposant d’une petite expérience et d’une indemnité moyenne, très majoritairement des adjoints de communes de petites tailles. Pour cette catégorie d’élus, c’est le rapport entre les rétributions et le degré d’engagement qui semble éclairer les choix de sortie. L’expérience de longue durée la favorise, tandis que les perspectives d’évolution de l’engagement la suspendent : un engagement possible au niveau intercommunal, des responsabilités municipales plus importantes, par exemple. Pour ces élus, la sortie semble donc procéder d’une mise en tension de l’engagement, du fait de sa durée ou de son intensité.
  • La troisième catégorie concerne des individus très expérimentés (3 mandats indemnisé au moins), occupant des positions de responsabilité (majoritairement des maires, siégeant plus souvent dans une institution intercommunale), disposant d’une indemnité non négligeable. Ce sont le plus souvent des hommes, âgés de plus de 60 ans. Pour ces individus à la carrière longue, la sortie traduit la possibilité de « passer la main » ou le « sentiment du devoir accompli ». Ce départ peut s’expliquer comme le fruit d’un réagencement entre les sphères d’engagement personnelle, professionnelle et politique. Par exemple, au-delà des problèmes de santé corrélés à un âge avancé, on constate que l’atteinte de l’âge de la retraite favorise la probabilité de sortie.

 

 

Aller plus loin

Retrouver le document complet « Les fins de mandat des élus municipaux indemnisés (2008-2014) » dans Question Politiques Sociales - Les cahiers n°10 ainsi que les données des tableaux et graphiques. QPS – Les cahiers est une série de documents de travail publiée par la direction des politiques sociales (DPS) de la Caisse des Dépôts. Cette collection a vocation à faire connaitre des études approfondies dans les domaines de la retraite, du vieillissement, de la protection sociale et de la formation professionnelle.