Les travaux relatifs à la réforme des retraites devraient prochainement reprendre, et avec eux toute une série de sujets sensibles comme les pensions de réversion.
Lorsque l’un des conjoints décède, une fraction de sa pension de retraite peut continuer d’être versée au membre du foyer survivant, sous conditions (et dans certains cas même s’il n’est pas retraité) : c’est ce qu’on appelle la pension de réversion. Son montant moyen était de 374€ en 2017. Elle est versée chaque mois à plus de 4 millions de retraités après le décès de leur conjoint, soit environ un quart des retraités.

Ces traites représentent des enjeux financiers importants pour la branche retraite de la Sécurité sociale puisqu’elles représentent environ 10% des 308 md€ de pensions versées en 2016. De surcroit, ces dépenses devraient sensiblement augmenter avec le vieillissement de la population, les plus de 60 ans représenteront en 2030 près de 30% de la population métropolitaine et les plus de 65 ans presque le quart (source INSEE).

Dans le cadre de la concertation sur la réforme des retraites amorcée en 2018, certaines interrogations demeuraient concernant la pérennité ce dispositif sous sa forme actuelle et plus largement sur les droits à accorder aux conjoints en cas de décès.

En effet, il est nécessaire d’avoir un dispositif de couverture du risque veuvage financièrement viable dans un contexte de vieillissement de la population impliquant une hausse relative des besoins de financement de l'assurance maladie et du coût des régimes de retraite, ainsi qu'une montée en charge des dépenses liées à la dépendance. Tout projet d'amélioration de la situation financière des veufs et des veuves se heurte en effet à des contraintes financières très fortes, compte tenu du niveau déjà très élevé du total des dépenses sociales (plus de 30 % du PIB) qui place notre pays au troisième rang des Etats de l'OCDE.

Nous pouvons donc nous interroger sur les conditions à remplir pour rendre ce dispositif de solidarité viable financièrement tout en lui permettant d’assurer un niveau de pension décent à chaque retraité.

Nous verrons dans un premier temps que le dispositif actuel essentiel pour assurer la cohésion sociale, est menacé car il n’est pas financièrement viable (I)

Puis, nous verrons que des pistes de propositions permettent de rendre le dispositif plus soutenable (II)

 

 

1. Le dispositif des pensions de réversion est menacé car il n’est pas viable financièrement alors qu’il contribue à la cohésion sociale

1.1 Les pensions de réversion répondent à des objectifs de solidarité, historiquement assignés au système de retraite français

Le dispositif de pension de réversion répond pleinement aux objectifs initiaux du système de retraite français, plus particulièrement aux « objectifs de solidarité entre les actifs et les retraités, de traitement équitable entre générations, entre sexes et entre régimes et de pérennité financière du régime » réaffirmés dans la réforme de 2014 dans l'article L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale.

En effet, il permet en cas de décès de votre époux ou ex-époux salarié, travailleur indépendant, professionnel libéral ou agriculteur, d’obtenir, sous conditions, une pension de réversion. Elle représente une partie de la pension de retraite que votre époux décédé percevait ou aurait pu percevoir.

A l’origine, la pension de réversion était réservée aux veuves des agents de la fonction publique : puisqu’elles ne touchaient pas de retraite. Elle a été étendue au secteur privé, puisqu’elle a été inscrite dès 1945 dans le régime général des retraites, puis aux hommes veufs. La pension était d’abord réservée aux personnes qui ne percevaient aucune retraite. A partir de 1975, il a été possible de la cumuler avec une pension personnelle, sous conditions de ressources. Elle devient donc étendue à tous les régimes de retraites même si des disparités existent concernant les modalités d’accès ou les montants des traites.

Ces traites profitent à une part importante des retraités puisqu’on dénombrait 4,4 millions de bénéficiaires en 2016, soit environ un quart des 17,2 millions de retraités (source Drees 2016).

Elles permettent notamment à 1,1 millions personnes (essentiellement des veuves) de bénéficier de cette unique source de revenu et à plus de 3 millions d’autres de compléter leur revenu lorsque leur pension de retraite est faible

En outre, ces traites garantissent un revenu décent aux bénéficiaires, surtout pour des femmes majoritairement (89% des bénéficiaires) dépourvues de pension de retraites car elles étaient rarement salariées.

 

1.2 Les pensions de réversion contribuent au déficit de la branche retraite qui n’est pas financièrement viable

1.2.1 La branche retraite déficitaire dès 2020

Après avoir renoué avec les excédents en 2016 et connu une amélioration sensible de son solde en 2017, celui-ci ayant atteint 1,8 Md€, l'excédent (hors FSV) de la branche retraite s'est réduit à 0,2 Md€ en 2018.

La dégradation s’est poursuivie en 2019, puis sur toute la période pour s'établir à -6,3 Md€ en 2023. La CNAV serait la cause principale de ce très fort déficit, en raison d'une croissance soutenue de ses dépenses et de recettes moins dynamiques en lien avec un scénario macroéconomique peu favorable et de pertes de recettes, comme l'extinction du financement du minimum contributif (« retraite plancher ») par le fonds de solidarité vieillesse en 2020 ou les exonérations portant sur le forfait social pour les petites et moyennes entreprises.

Tout d’abord, les départs en retraite des « baby-boomers » entraineront une augmentation importante des dépenses en assurance vieillesse. Entre 2015 et 2020, les effectifs progresseraient de 1,4 % par an du fait de la poursuite de la montée en charge de la réforme de 2010, puis cette progression sera de 1,2 % par an en moyenne, entre 2020 et 2035, avec le recul progressif de l'âge de départ à la retraite.

Ensuite, le rapport cotisants/retraités, variable clé de l’équilibre des régimes de retraite, qui dépend de la démographie mais aussi de l’emploi et de l’âge effectif de départ en retraite, dépassait 4 ans dans les années 1960. Il était en 2014, tous régimes confondus de 1,7. Selon le Conseil d’orientation des retraites, il baissera ensuite progressivement à 1,4 en 2040 (même avec l’hypothèse d’un recul à 64 ans en 2030 de l’âge de départ).

Ensuite, le ratio démographique a fortement baissé durant les années 2000 avec la retraite du baby-boom, il continuerait de diminuer après 2010 mais à un rythme plus contenu. Ce ratio se situerait en dessous de 1 à l'horizon de 2070 (contre 1,38 en 2018).

 

1.2.2 Les pensions de réversion représentent une part non négligeable des dépenses de la branche retraite et leurs gestions sont complexes

Les dépenses totales des régimes de retraite au titre de la réversion se sont élevées à 40 Md€ en 2017, soit 13% de la masse des pensions, qui s’élevait à 308 Md€, soit environ un septième du produit intérieur brut (PIB) et près d’un quart du total des dépenses publiques.

Aussi, la gestion du dispositif est complexe et donc coûteuse pour les caisses de retraites puisque les bénéficiaires de la réversion perçoivent en moyenne plus de 2 pensions de droit dérivé différentes, puisque leur conjoint a souvent cotisé à plusieurs régimes.

De surcroit les modalités de réversion diffèrent d’un régime à un autre. La réversion est calculée, dans tous les régimes, par référence à la pension du défunt, ou, s’il ne l’avait pas déjà liquidée au moment de son décès, à celle à laquelle il aurait eu droit. Pour autant, les règles de fixation du montant de la pension diffèrent très fortement d’un régime à l’autre, selon plusieurs dimensions : niveau du taux de réversion, périmètre de la pension du défunt pris en compte, existence ou non de conditions d’âge et de ressources et plafonnement de la pension.

Aussi, le taux de réversion diffère d’un régime à l’autre, mais il est toujours compris entre 50% et 60% du montant de la pension du défunt. La définition de ce montant peut toutefois varier selon le régime : dans la plupart des régimes de base non intégrés, le taux de réversion est en effet appliqué sur le montant des avantages principaux sans tenir compte des majorations de retraite

 

2. La simplification de la gestion des pensions et la modification des conditions d’accès pour assurer la pérennité de ce mécanisme de solidarité

2.1 la diminution des inégalités dans l’accès au travail entre les hommes et les femmes entrainerait une diminution des dépenses de réversion

La pension moyenne des femmes resterait en deçà de celle des hommes mais l'écart se réduirait. La pension des femmes représenterait 89 % de celle des hommes en 2070 contre 82 % en 2007. Cette augmentation des droits propres induirait une diminution des masses de pensions de droit dérivé à long terme, les veuves remplissant de moins en moins la condition de ressources. Cette tendance serait par ailleurs accentuée par la diminution des écarts d'espérance de vie entre les femmes et les hommes dans les nouvelles projections démographiques de l'INSEE.

 

 2.2 Simplifier l'exercice des droits des assurés et les modalités de calculs

Les règles de calcul du montant de la pension de réversion sont moins restrictives dans les régimes complémentaires et les régimes intégrés.
 

200 000 personnes chaque année déposent une demande de réversion. Longtemps vécue comme une étape complexe, cette demande est désormais digitale et simplifiée.

Ce service, mis en ligne en juillet 2020, permet en cas de décès d’un conjoint ou d’un ex conjoint de demander en une seule fois une pension de réversion auprès de tous les régimes de retraite du défunt. Ce service illustre bien le caractère simplificateur de la démarche nouvellement proposée qui va bien au-delà du caractère unique répondant au principe « Dites-le nous une fois ».

Jean-Louis Barsottini

Directeur des Projets Inter-régimes à la Direction des politiques sociales de la Caisse des Dépôts

 

Voir la vidéo sur le site internet de la direction des politiques sociales de la Caisse des Dépôts

En effet, le téléservice intègre la diversité très large – on ne recense pas moins de 13 systèmes distincts de réversion en France - des règles d’attribution : conditions d’âges, situation maritale ou encore plafonds de ressources.

Il permet de vérifier au fur et à mesure de la saisie le respect de ces conditions en fonction des régimes du défunt et évite ainsi au demandeur de constituer une demande et de fournir des justificatifs pour rien si ces conditions ne sont pas satisfaites.

Ce service a été développé par les équipes de la Caisse des dépôts et du Service des retraites de l’Etat [SRE) qui contribuent ainsi au travers du GIP Union Retraite° à simplifier les démarches de français en matière de retraite. Le service est accessible sur les espaces de services personnalisés aux affiliés des régimes gérés par la Caisse des Dépôts et sur www.info-retraite.fr

 

Aussi, le calcul des pensions pourrait être simplifié en appréciant les ressources des conjoints survivants sur la base des données en possession des services fiscaux.

 

2.3 Dégager des marges d’économies en rendant les conditions d’accès plus restrictives pour les nouveaux retraités :

A l’avenir, les conditions d’accès aux dispositifs pourraient être plus restrictives afin de limiter son coût pour la branche retraite tout en assurant ses objectifs de solidarité :

  • Restreindre l’accès aux personnes n’ayant jamais ou peu travaillé et ne bénéficiant pas de source de revenu. La pension représenterait l’unique source de revenu du conjoint survivant, ce qui représente aujourd’hui un quart des bénéficiaires, soit environ un million de personnes. 
  • Envisager de faire varier le taux de la réversion à l'intérieur d'une fourchette, en fonction des revenus du conjoint survivant
  • Rétablir une condition d'âge minimale de cinquante ans pour l'ouverture des droits dans le régime général et les régimes alignés
  • Rétablir une condition de durée minimum d’union (mariage, PACS, etc.), en transposant dans le régime général et les régimes alignés les dispositions applicables à la fonction publique
  • Introduire un plafond pour la réversion des traitements les plus élevés, en contrepartie d'un relèvement des basses pensions

 

Ces mesures constitueraient un changement de taille pour un dispositif qui bénéficiait, en 2016, à 4,4 millions de personnes – dont 89 % de femmes – et qui vise à corriger en partie les inégalités de pensions très fortes entre hommes et femmes, notamment à cause de salaires plus faibles.