En 2011, Marc Andreessen publiait un article devenu fameux « Why Software is eating the World ». Il y décrivait l’importance prise par les logiciels dans notre quotidien, logiciels « dévorant le monde » à travers les outils numériques. Neuf ans après cet article, force est de constater que le numérique est toujours omniprésent... et dévorant. Mais si les logiciels ont submergé le monde, ce sont les plateformes numériques qui en ont le plus profité et qui sont aujourd’hui les agents économiques de première importance.

De quoi parle-t-on ?

Alors, avant toutes choses, une plateforme numérique, qu’est-ce que c’est ?

On peut en première approche définir une plateforme comme un intermédiaire de confiance mettant en relation un ou des offreurs et des utilisateurs de services et de solutions.

En d’autres termes, la plateforme désigne tout lieu d'échanges où se rencontrent l'offre et la demande de façon dématérialisée.

Ebay est très certainement l’exemple historique le plus parlant : si les petites annonces existaient depuis des décennies, la numérisation de ce principe a permis de réduire à quasiment zéro les coûts de mise en relation et de transaction, le tout à l’échelle mondiale (ce qui explique le succès de Ebay et également de PayPal, le service de paiement qui lui était associé).

On peut également en donner une définition un peu plus complète sous l’angle économique en disant que les plateformes mettent en jeu des modèles économiques créant de la valeur en facilitant les échanges et les interactions au sein d’un ensemble cohérent de parties prenantes (une chaîne de valeur, une filière, une communauté d’intérêt, etc.) et en mettant à disposition de ces acteurs des services via une infrastructure digitale.

Ce qui est très caractéristique des plateformes et qu’il faut retenir, c’est que le modèle de plateforme vise à créer de la valeur à partir d’un écosystème alors que les modèles économiques plus traditionnels se déploient de manière plus « linéaire ».

Regardons ensemble comment cela se traduit dans ces deux modèles bien différents.

Le modèle économique classique / traditionnel (dit du « pipe-line »)

  • La valeur est créée à l'intérieur d’une entreprise, elle est linéaire et elle est « à sens unique » (conception à production à distribution à marketing à client)
  • Les produits et / ou les services sont créés et vendus par un producteur ou bien un revendeur à un client consommateur, qu’il soit « grand public » ou « professionnel »
  • Seuls les produits et / ou les services ont une valeur intrinsèque
  • Le modèle est unilatéral : il n’y a pas de demande(s) interdépendante(s)
  • L’entreprise se focalise sur les éléments qui différencient son produit ou son service : des coûts les plus bas possibles et / ou une différenciation par les fonctionnalités

En résumé, dans un modèle classique, la valeur est apportée par l’entreprise. Plus précisément, la valeur ajoutée se trouve dans ce qui fait la différence dans le produit ou la solution offerte. Apple utilise ce modèle pour vendre ses Mac, iPhones, iPads, Apple watchs etc.

Le modèle d’affaire des plateformes :

  • La valeur n’est pas créée à l’intérieur de l’entreprise mais à l'extérieur. Elle est bidirectionnelle, c’est-à-dire vers les « clients » et vers les « fournisseurs ».
  • Les modèles commerciaux dépendent du fait qu’un type d’utilisateurs crée de la valeur pour un ou d’autres types d’utilisateurs
  • La plateforme facilite les transactions entre les participants
  • La valeur d’une plateforme est avant tout apportée par sa communauté d’utilisateurs
  • L'avantage concurrentiel d’une plateforme consiste à contrôler son écosystème

En résumé, dans un modèle d’affaire de plateforme, la valeur est apportée par des partenaires extérieurs et l’avantage compétitif se trouve dans le contrôle de l’écosystème. Ainsi, Amadeus regroupe l'ensemble de l'offre de ventes de billets d'avion, toutes compagnies aériennes partenaires confondues, et la propose aux agences de voyages, aux particuliers, etc.

Dans le même ordre d’idée, UberEats est une plateforme qui propose de livrer les plats de plusieurs restaurants. UberEats n’a pas de cuisine mais utilise celles des restaurants avec qui il est associé.
Apple, qu’on a déjà vu dans le modèle précédent, utilise également ce modèle pour iTunes, iMusic, Appstore, etc. Ainsi les deux modèles, modèle classique de « pipeline » et modèle « plateforme » peuvent converger en se complétant mutuellement.

 

schéma

Caisse des Dépôts

La « plateformisation » de l’économie et de la société

On assiste aujourd’hui à une véritable « plateformisation » de l’économie et de notre société.
Personne ne contestera la domination des plateformes numériques sur les différents aspects de notre quotidien :

  • Communication (Gmail, WhatsApp…) ;
  • Contenus (Facebook, YouTube…) ;
  • « Services courants » (Uber, Deliveroo, AirBnB, BlaBlCar, Drivy…) ;
  • Loisirs et divertissements (Netflix, Spotify, prochainement Stadia…) ;
  • Paiement (PayPal, Lydia,...) ;
  • Santé (Doctolib, Parcours Plus Santé…) ;
  • Education (Kartable, OpenClassRoom…)…

La puissance des plateformes réside dans leur capacité à très rapidement structurer de vastes écosystèmes avec d’innombrables intervenants autour d’offres et de processus permettant de fluidifier la mise en relation, la transaction et la « délivrance » d’un service. L’industrie lourde avait été révolutionnée naguère par l’organisation scientifique du travail – le Fordisme - , l’industrie des services est révolutionnée par l’organisation algorithmique des marchés (Uber, Deliveroo…) via les plateformes.

Quelque part, les plateformes représentent une forme extrêmement aboutie du capitalisme, avec des marchés qui s’auto-organisent en s’appuyant sur les outils numériques, et où les plateformes numériques apparaissent à la fois comme des « usines » (un lieu où se concentre la main d’œuvre) et des gigantesques supermarchés du XXIe siècle (un lieu où se rencontrent l’offre et la demande).

Même l’administration s’est plateformisée avec le portail Services-Public et celui sur l’État Plateforme. Et la Caisse des Dépôts n’échappe pas à cette tendance. Elle a par exemple lancé une plateforme pour le « Compte Personnel de Formation » pour le compte de l’Etat. Elle a également lancé  l’espace personnalisé des employeurs publics sous la forme de la plateforme Employeur Public (PEP’S)

La Caisse des Dépôts est en outre engagée dans une démarche de plateformisation de son offre, notamment à destination des acteurs territoriaux, avec banquedesterritoires.fr

Comment construire une plateforme numérique ?

Une plateforme construit son modèle d’affaires en travaillant sur plusieurs choses : le choix d’un type de plateforme, un modèle de revenus et la mise en avant de ce qui fait sa « valeur » et qui peut être :

  • du contenu
  • une communauté
  • des données
  • des canaux de distribution
  • une place de marché

Avant d’ouvrir un service s’appuyant sur une plateforme, il faut bien s’assurer que la correspondance entre l’offre et la demande atteigne un certain niveau. C’est ce qu’on appelle le « network effect », ou effet réseau en français. Ainsi une plateforme de VTC, par exemple, ne lancera pas son service dans une ville sans s’assurer qu’il y ait suffisamment de voitures et suffisamment de clients.

La valeur des plateformes se fait par le trafic et donc par ce fameux effet réseau.

Différents types de plateformes

Différents types de plateformes ont vu le jour et se sont développées en fonction des besoins de leurs communautés d’utilisateurs.

Citons-en quelques-unes par catégorie :

  • Les plateformes d’interaction

Comme leur nom l’indique, ces plateformes facilitent les interactions (d’information, d’argent, etc.) entre leurs participants. Unilatérales, ces plateformes connectent des participants de même type.

Exemple : Facebook

  • Les plateformes de contenus

Provenant souvent en partie ou totalement des utilisateurs, elles collectent du contenu d’un sous-ensemble d'utilisateurs et le partagent avec une large base d'utilisateurs de cette même plateforme.               

Exemple : Youtube

  • Plateforme de collecte de données

Elles monétisent les données des utilisateurs à des tiers. L'accord pour fournir les données est une condition pour adhérer à la plateforme.

Exemple : Waze

  • Les plateformes « places de marché » ou « Marketplace »

Elles permettent de « relier » l'offre (qui fixe les prix) et la demande.

Exemple : Airbnb.

Pour avoir du succès ces plateformes doivent évoluer rapidement du marché de « niche » vers un marché plus large « grand public ».

  • Les plateformes de distribution

Elles mettent en relation des propriétaires de points de distribution (ou « liens Internet ») avec des propriétaires de contenus souhaitant mettre à profit ces points de distribution pour distribuer leurs produits / solutions.

Exemple : Outbrain.

Plateforme spécialisée dans la recommandation de liens sponsorisés, Outbrain utilise via sa plateforme une technologie de recommandations personnalisées).

  • Les plateformes de services à la demande

Dans ces plateformes, les services sont fournis par un réseau de fournisseurs indépendants.

Exemple : Uber

  • Les plateformes « informatiques »

Elles sont ouvertes à la fois aux utilisateurs et aux développeurs d’applications.

Exemple : Android Market

Il faut un fort effet de réseau dans les deux sens (côté utilisateurs et côté développeurs) pour que cela fonctionne donc ces plateformes nécessitent une certaine « masse critique ».

  • Les plateformes technologiques

Elles fournissent des briques logicielles utilisables dans des produits tiers. Ces plateformes sont unilatérales donc simples à lancer.

Exemple : Microsoft Azure

 

Ces plateformes mobilisent différents modèles. En voici quelques-uns :

Les différents modèles de revenus

Les modèles de revenus des plateformes sont divers :

  • La commission : lorsque la mise en relation vendeur / client donne lieu à une transaction, alors la plateforme reçoit une rémunération. C’est typiquement le cas d’Amadeus qui reçoit une commission en fonction du trafic généré
  • Les modèles Freemium : la solution de base est gratuite (elle s’applique sur une offre limitée ou alors elle suppose que l’utilisateur accepte la publicité par exemple). En revanche ce qui est payant c’est l’offre complète ou sans publicité. Exemple typique dans l’industrie de streaming musical avec Spotify ou Deezer,
  • Le modèle par abonnement : le client paie un abonnement pour avoir accès au service proposé. C’est le cas par exemple, de Netflix
  • Le modèle « Pay as you go » (paiement à la demande, à l’usage), typiquement une des formules proposées par Velib’
  • Le modèle « Crowdsourcing » : ce modèle consiste à faire participer gratuitement un groupe à la création d'un produit ou à la réalisation d'un service. Cette collaboration d'un grand nombre de personnes est récompensée en donnant accès à du contenu. Waze est un parfait exemple de ce modèle

 

Eléments clés d’une plateforme

  • Bien faire correspondre l’offre et la demande
  • Expérience client : Simplifier le parcours client et le rendre le plus fluide possible est clé dans le succès de la plateforme. La plateforme doit permettre l’adhésion rapide de l'utilisateur, faire en sorte que la complexité soit gérée par la plateforme, simplifier au maximum l’offre tout en ajoutant de nouvelles fonctionnalités.
  • Effet réseau
  • Innovation
  • Maîtrise de la technologie et orchestration de la gouvernance des données